Et que ça saute : Deuxième ! Escadron de chasse 1/11 "Roussillon" - F-100 N° 42150 –
11-EG
Auteur
: Denis Turina Ce
jour là, nous décollons de Cazaux, où notre mission principale est le
remorquage des cibles air/air au profit d’un escadron de Mirage de la
13ième escadre de chasse basée à Colmar, pour une mission
d'assaut à très basse altitude à deux avions. Un des points qu'il nous
a été donné à « attaquer », est l’entrée d’un tunnel situé
dans le Sud-Ouest de la France. La météo est bonne. Le leader, le sergent-chef
J., sous chef de patrouille et ancien pilote de H 34 en Algérie, est
un bon camarade expérimenté et assez exigeant. C’est lui qui, pour l’instant,
est en tête. Je suis donc son équipier et sur la prochaine branche de
navigation nous échangerons nos rôles. Je prendrai sa place, il deviendra
mon numéro deux. Nous
sommes à moins de deux minutes du tunnel et nous volons en formation
d’attaque à 450 Kt (840 Km/h) et 600 pieds/sol (180 mètre de hauteur).
Tout va bien, j’essaie de suivre la navigation tout en gardant ma place
et en surveillant le ciel. A ces vitesses là, un avion extérieur à la
patrouille peut se rapprocher très vite et le risque de collision est
bien réel. Soudain,
un grand bruit qui ressemble à une explosion un peu étouffée retentit
à l’arrière. Le moteur perd un peu de poussée, une discrète odeur de
fumée arrive dans la cabine et de légères vibrations « titillent »
mon épiderme. J’ai un coup au cœur. Instantanément, je réduis un peu
les gaz et monte sous la couche, vers 4.000 pieds (1.200 mètres). Je
préviens mon leader : -
Leader, je viens de ressentir « comme un choc » et d’entendre
une explosion. Viens voir dans quel état est mon avion. -
O.K. J’arrive. Je
pense être entré en collision avec « quelque chose » ou avoir
perdu une des charges accrochées sous les ailes. L’inspection du leader,
qui examine de près mon avion, ne donne rien. Il trouve cependant que
mon réacteur fume beaucoup, même pour un J-57… Par
précaution, nous décidons de renter à Cazaux qui se trouve à une vingtaine
de minutes de vol. Tout parait normal dans la cabine, mais je ressens
toujours des vibrations inquiétantes et je dois remettre un peu de gaz
pour tenir la vitesse de 400 Kt (740 Km/h), vitesse normale de navigation.
Le leader surveille mon avion. Boum.
Une deuxième explosion, comme un coup de canon, se fait entendre et
mes pieds sautent du palonnier. C’est un « beau » décrochage
compresseur et, comme sur F-100 nous sommes assis sur la veine d’air
qui alimente le moteur, c’est très impressionnant pour le pilote. Le
leader voit une flamme de plusieurs mètres sortir de ma tuyère et croit
que j’enclenche la post combustion, alors que je n’ai pas touché à la
manette des gaz. Nous
décidons de rejoindre Toulouse, à un peu moins de 10 minutes de vol,
pour faire un atterrissage d’urgence pendant qu’il en est encore temps. Deux
minutes plus tard, les décrochages du compresseur se font moins violents
mais plus fréquents, la poussée et la vitesse diminuent doucement. Le
leader m’informe que la fumée qui me suit devient de plus en plus dense
et que des flammes apparaissent par instant à la sortie de la tuyère.
Tout sauf une situation d’avenir ! La
manette des gaz est à fond en avant, la vitesse et l’altitude diminuent
régulièrement. Je comprends que je ne pourrai probablement rejoindre
aucune piste et que je dois préparer mon éjection, au cas où, en espérant
que l’avion n’explose pas avant que j’aie trouvé une zone dégagée de
toute habitation. Maintenant,
les décrochages du compresseur sont permanents. Ils font un bruit et
des vibrations de marteau-piqueur assez impressionnants. Je dois descendre
pour maintenir une vitesse qui me permet de contrôler l’avion. C’est
la fin. Heureusement, sur la caméra du viseur, devant mes yeux, une
bande « dymo » de couleur verte indique : « siège
fusée ». Tous les avions n’étaient pas encore équipés de ce type
de siège éjectable et, dans ma tête, je pars du principe que tant que
l’avion est en l’air, le siège me sortira de là. Je
vérifie la bonne position du « Zéro seconde » sur la poignée
du parachute et je cherche, pas trop loin, un endroit où « planter »
l’avion sans qu’il fasse trop de dégâts au sol. Côté parachutisme, je me sens prêt. A
Nancy, l’année précédente, nous avions comme instructeur sur Mystère
IV, un pilote membre de l’équipe de France de parachutisme et chef de
la section sportive de parachutisme de la base d’Ochey. J’avais donc
repris les sauts, fait pas mal de chute libre à Azelot et à Lunéville
et continué à sauter quand j’avais été affecté sur F-100. Je
sautais régulièrement à Colmar et à Bremgarten avec les commandos parachutistes
de la base. J’avais à peu près 250 sauts et je devais profiter de mon
séjour à Cazaux comme remorqueur de cibles, pour passer le test vrille
(en chute libre) à Biscarosse où se trouvait le Centre National de Parachutisme.
C’était le seul organisme habilité à délivrer aux militaires ce test
qui leur permettait, dans le cadre des sections sportives militaires,
de sauter à plus de 2000 ou 2500 mètres. Devant
moi se trouvent un village et quelques fermes isolées. A ma droite le
Lot, qui longe une pente assez escarpée, haute d’une centaine de mètres.
Au-delà, un plateau qui semble désert. C’est là que je vais essayer
de « planter » l’avion. Ma vitesse est faible, de l’ordre
de 220 Kt (400 Km/h) et je vois des cultivateurs qui travaillent dans
les champs. Je me dois de rester les ailes horizontales pour ne pas
trop descendre et pouvoir m’éloigner d’une ferme, avant de virer vers
la pente et de sauter. Je
suis bas, peut-être à moins de 200 mètres du sol, quand la ferme glisse
sous mes ailes. Je
vire à droite en direction du plateau et, avant d’avoir fini mon virage
et remis les ailes horizontales, je comprends. Le plateau sur lequel
j’avais prévu d’écraser l’avion monte dans mon viseur. Je suis trop
bas. Un instant de panique me noue les tripes. C’est pourtant le moment
de penser vite et bien. En réalité, il n’y a plus rien à faire. La seule
issue c’est de sauter, et vite. L’avion
est face à la pente, ailes horizontales. Je tire sur le manche pour
annuler autant que possible la vitesse verticale de descente, place
mes pieds dans les cale-pieds du siège et remonte les accoudoirs pour
éjecter la verrière et dégager les détentes qui commandent l’éjection. Accoudoirs
relevés, sans verrière et sans rideau devant les yeux, la vue sur le
paysage est imprenable. La pente escarpée fait face à l’avion, l’eau
du Lot arrive sous mes pieds. Je suis fasciné et tétanisé par le spectacle.
Je regarde, plus haut que moi, les arbres sur lesquels je vais m’écraser. Du
fond de moi, une petite voix s’élève et semble dire : -
Qu’est ce que tu attends ? La
partie n’est pas finie, il te reste encore quelque chose à faire. -
Ha, oui, les détentes. Avec
un réel effort de volonté, je me force à ouvrir mes mains, crispées
sur les accoudoirs, et j’actionne les détentes. La sortie de l’avion
se fait « en catastrophe », très bas. L’avion
disparaît sous le siège en rétrécissant, un peu comme dans un dessin
animé. Je le vois qui percute la pente à une bonne centaine de mètres
devant moi. Une boule de flammes et de fumée grossit rapidement, car
il reste 4 à 5 000 litres de carburant et quelques centaines d’obus
à bord. C’est un spectacle grandiose auquel les lois de la gravitation
et de l’aérodynamique me poussent à participer, d’autant plus que le
parachute me parait bien lent à s’ouvrir. Qui va gagner ? Dès
que je peux (coup d’œil en haut, le parachute finit à peine de se déployer),
je tire sur les suspentes pour m’éloigner de l’incendie. Le vent est
avec moi. Je m’estime à 50 mètres du sol. Coup
d’œil en bas, le Lot. Pas d’accord pour me mouiller les fesses. Je tire
plus fort sur les suspentes et saute une haie d’arbres sur la rive.
Derrière : des vignes. Pas d’accord pour être transformé en « sucette ».
Quelques tractions, un lancé de jambes, je me pose debout entre deux
rangées de piquets. Je
suis en bon état, content. J’ai évité l’incendie, la rivière, les piquets
et les tendeurs des vignes. Je
souffle un grand coup. Mon
leader tourne au dessus. J’enlève mon parachute, dégrafe ma mae-west
pour lui faire des grands signes et gesticule en courant, pour lui monter
que tout va bien. A lui de faire passer l’info. Des
cultivateurs me rejoignent : -
Qu’est ce qu’on a eu peur. On pensait qu’il n’y avait plus personne
dans l’avion. On a d’abord cru qu’il allait nous tomber dessus dans
les champs, ensuite qu’il allait tomber sur la ferme et puis on a vu
le parachute, alors on arrive. Tiens, bois un coup avec nous. Des émotions
comme ça on sait ce que c’est, ça creuse. Ils
m’offrent à boire un breuvage de leur cru qui sent très bon mais que
je refuse poliment, prétextant un contrôle d’alcoolémie par les gendarmes,
comme après chaque accident. Ils compatissent et proposent de m’entraîner
chez eux pour boire un sirop. A
ce moment la sirène des pompiers se fait entendre. Leur camion apparaît
et s’arrête à quelques centaines de mètres. Nous les voyons descendre
une barque de leur camion, alors que, de l’autre coté de la rivière,
de petites explosions retentissent dans l’épave qui brûle. Je
demande à un jeune garçon, à bicyclette, de les prévenir que je suis
sain et sauf, qu’il n’y a plus personne dans l’avion et qu’il ne faut
pas s’approcher de l’épave à cause du risque d’explosion. Nous les rejoignons
au moment où ils allaient mettre la barque à l’eau. Ils veulent être
certains qu’il n’y a pas de blessé, promeneur ou chercheur de champignons,
autour de l’avion. Je les dissuade se s’approcher car les obus continuent
d’exploser. Avec
les cultivateurs, nous retournons à la ferme pour nous désaltérer. Ils
m’apprennent que nous sommes sur la commune de Parnac. Un
Commandant de gendarmerie se présente alors, avec son chauffeur et une
escorte. Il me prend à part et, avec un air de conspirateur, me demande
ce que je transportais. Je suis étonné qu’un aussi haut gradé soit déjà
là et je ne comprends pas bien sa question. Me prendrait-il pour un
receleur ou pour un contrebandier ? Après
quelques échanges verbaux, il m’explique qu’il a été prévenu qu’un avion
« porteur de la bombe atomique » s’était écrasé sur ses terres.
Il y a un an seulement que les F-100, ne sont plus « nucléaires ».
Rassuré l’officier repart, laissant à ses troupes locales le soin de
poursuivre le travail. Transport
à la gendarmerie, interrogatoire sérieux et amical par le chef de la
brigade de Luzech. Nous
sommes un peu perturbés par l’animation et le bruit qui règnent sous
les fenêtres de la gendarmerie qui donnent sur la rue. Les habitants
du lieu sont rassemblés et tenus informés par un des témoins de la ferme
qui raconte l’histoire avec force détails. Beaucoup veulent « voir
le pilote », certains se font la courte échelle, d’autres sautent
derrière les vitres. Je n’ai malheureusement pas grand-chose à dire
car je ne connais pas la cause de la défaillance de mon moteur. Le
gendarme insiste gentiment pour avoir des détails. Il est un peu triste
et semble très malheureux. Puis
il me dit : -
S’il vous plaît mon lieutenant, donnez moi des détails. Vous comprenez,
ici une histoire pareille ça n’arrive pas tous les jours. Alors, si
je n’en ai qu’une page sur mon carnet, les gendarmes des autres brigades
vont se moquer de moi. Je
commence donc à lui raconter ma journée et le début du vol. Il me remercie
du fond du cœur, commence à écrire et envoie un de ses hommes calmer
mes « supporters ». J’ai
une copie du rapport d’enquête, avec les dessins de l’épave faits par
la gendarmerie du lieu. Je trouve que le travail est remarquable. Arrivée
de l’hélicoptère H-34 de Cazaux, passage un peu ému au dessus de ce
qui reste de mon bel avion, qui continue de brûler doucement sous le
contrôle des pompiers. Retour
à la base, passage par l’infirmerie où je négocie une soirée au mess
(plutôt qu’une nuit en observation) pour mener une vie normale au milieu
de mes camarades. Le lendemain, radio de la colonne vertébrale à Bordeaux
et, le surlendemain, reprise des vols sans état d’âme. J’ai
été très sensible au fait que ce soit l’adjudant « W », le
chef de piste, qui me brêle pour ce premier vol. Depuis bien longtemps
il laissait ce soin aux jeunes « pistards » sauf, peut-être,
pour brêler le commandant d’escadron le 14 juillet, au décollage vers
Paris pour y défiler à la tête de ses troupes. Pour
moi, jeune lieutenant, tout juste « pilote opérationnel »,
c’est une vraie reconnaissance des mécanos. Un peu comme une décoration.
Nous nous sommes regardés, nous nous sommes souris et, je crois, nous
nous sommes compris. Entre
temps j’avais récupéré et « planqué » la poignée du parachute. Cet accident a été le premier d’une série d’événements qui, en quelques jours, ont perturbé mon existence de jeune pilote. 12 septembre 2017. Sur la route, de Toulouse
vers Loctudy pour rejoindre la promo, cinquante ans plus tard à quelques
jours près, Bernadette et moi avons fait une halte à Parnac. |