Claude Castagnos
Auteur : Denis Turina
En 1968, mon premier commandant d'escadre à la 3 était le Commandant Claude
Castagnos. Ancien leader de la Patrouille de France, pilote et chef respecté,
il avait été fait prisonnier à Dien Bien Phu où, à 24 ans, il était pilote
de Bearcat et PGA. Il n'aimait pas en parler.
Un soir, à Solenzara où il nous avait rejoints pour tirer quelques obus
et pour larguer quelques bombes, en petit comité nous l'avons un peu humidifié
et il a bien voulu nous livrer quelques souvenirs. C'était limite malhonnête
de notre part.
Il nous a donc raconté un peu « la longue marche ». J’ai surtout retenu
qu’il s'estimait chanceux car ses plaies avaient des asticots, qui pouvaient
remplacer les sulfamides en mangeant
les chairs gangrenées. Avec des camarades, aussi « chanceux »
que lui, il devait donc rester à coté d’un toubib qui veillait sur leur
santé et sur leur alimentation, et prélevait leurs asticots pour nettoyer
les plaies de ceux qui n'en avaient pas.
Il nous a aussi parlé des commissaires politiques français qui, dans les
camps, faisaient signer des pétitions aux pères de famille en leur expliquant
qu'elles seraient relayées par « le parti » et que leurs proches
pourraient ainsi savoir qu'ils étaient encore en vie. Voir "Le manifeste
du camp n°1" de Jean Pouget.
Plus
drôle, en juillet 68 j'avais fait 48 h de vol (1) et mon commandant d'escadron
n'avait pas voulu signer mon carnet de vol. Il l'avait envoyé à Castagnos
pour qu'il le signe et me mette au trou.
Castagnos me convoque en poignard et gants blancs. Il avait un pied bandé
car il s'était blessé sérieusement en tondant son gazon et il marchait
avec des béquilles. Il me reçoit donc assis, me passe une rafale sans
me promettre le trou, et me demande si j'ai quelque chose à dire.
Je ne sais pas ce qui m'a pris. Comme il avait une réputation de "crevard",
je lui ai répondu :
- je pense que si vous aviez eu la possibilité de faire la même chose,
vous ne l'auriez pas laissée passer.
Il s'est levé, furieux, a lancé une de ses béquilles en me visant bien
et en hurlant :
- sortez, je ne veux plus vous voir.
Casquette, salut, demi-tour réglementaire, en silence après avoir évité
le projectile.
L'incident était clos. C'est mon commandant d'escadron qui a signé le
carnet de vol.
Auteur : Denis Turina
(1) – Médicalement nous
étions limités à 30 h de vol sur réacteur par période de 30 jours. Après
visite médicale de contrôle, le médecin spécialiste aéro pouvait autoriser
5 h supplémentaires. Ce mois de juillet je n’avais fait qu’une trentaine
d’heures sur Mirage, et passé par pertes et profits celles que j’avais
effectuées à l’escadrille de liaison, sur Fouga ou sur T-33.
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