L’ Edixa 16, quekcekça ?


 Au milieu des années 60, avec l’arrivée des fonctions air/sol sur les radars embarqués, la navigation à basse altitude devient possible par tous les temps, ou presque, de jour comme de nuit. Le radar de bord Cyrano II fait ce qu’il peut, la centrale gyroscopique, le calculateur et le radar Doppler aussi (entre 5 et 10 Nm d’erreur tolérés par vol ). Dans la cabine du Mirage III, monoplace, le pilote ne chôme pas pendant ces vols de navigation en aveugle. Je me souviens du coup au cœur quand, pour la première fois, de nuit dans une trouée entre deux stratus, j'ai vu là, tout près, en haut et à droite de la verrière, les lumières d'une ferme isolée, et quand mon avion est monté de 3000 pieds sans que j'aie eu l'intention de le lui commander, après avoir entendu des grésillements dans les écouteurs puis vu des feux de saint Elme entre les montants de la verrière et des éclairs électriques bleutés sur la pointe Pitot, en traversant le Jura dans la R 45 sud au milieu des cunimbes.

L’apprentissage du métier se fait sur le tas, chaque pilote découvre les fonctions air/sol du système en effectuant deux ou trois navigations à moyenne altitude. Vers 10.000 pieds, l’image fournie par l’écran radar en « visu 50 » (échelle 50 Nm sur le scope)  correspond, à peu près, au dessin de la carte américaine à l’échelle 1/1 000 000 qui fait bien ressortir, en jaune, les villes détectées. Quand tout se passe bien le pilote part pour sa première mission à 1000 pieds/sol en « visu 15 ». Cette mission se fait en général de nuit pour limiter les risques de collision en vol, et de préférence par beau temps. Un peu plus tard, quand il a acquis un peu de pratique et que son tour est venu, il suit le stage de « formatage » au Centre de Prédiction et d’Interprétation Radar (CPIR), à Luxeuil.

 

En 1968, le CPIR est bien jeune. Il ne dispose que de la bonne volonté de son personnel, et d’une cabine de simulation air/sol couplée au simulateur air/air de l’avion. Il met au point la méthode de navigation au radar et forme les pilotes en leur faisant appliquer les procédures qu’il essaie de valider pour cette discipline. Il apprend aussi à fabriquer des « déplinav ».

Le déplinav est un petit bouquin dont chaque double page, ouverte en vol sur la cuisse gauche du pilote, présente une branche de l’itinéraire à suivre. Sur chaque page, le fond est une carte au 1/500 000. Au centre se trouve le trait matérialisant la route à suivre. Il est gradué d’un coté en minutes, et de l’autre, en miles nautiques restant à parcourir avant le prochain point tournant. Sur la partie gauche de la page se trouve « la ficelle ». C’est l’altitude minimum à respecter, variable tout au long de la branche en fonction du relief survolé. Sur la partie droite, l’image en continu de ce que doit voir le pilote sur son écran radar, à dix miles nautiques devant l’avion. D’autres indications moins vitales sont aussi présentes. 

Pour obtenir l’image radar, deux méthodes commencent à cohabiter.

La plus prometteuse prévoit l’utilisation d’une machine en cours de mise au point par les « artisans », pilotes, mécanos, officier de renseignement, du CPIR.

Sur cette machine une caméra filme, en continu et sur un secteur très étroit, l’ombre portée d’une source éclairante qui se déplace sur une carte en relief. Grâce à un petit moteur asservi à un palpeur, la caméra survole la carte en respectant l’altitude de vol prévue par « la ficelle ».  L’ensemble suit sa route, guidé et porté par un chariot fabriqué à partir d’éléments de train électrique miniature. Tout est fabriqué sur place. Le personnel, cadres, stagiaires, militaires du rang, visiteurs, est appelé à participer à l’œuvre commune en maniant la scie à chantourner. Il s’agit de créer les volumes qui formeront les cartes en relief. L’autre méthode consiste à prendre, en vol et en des points précis de l’itinéraire à suivre, les photos de l’écran radar de l’avion. L’appareil photo, genre « minox », est un boîtier miniature pour film de 16mm. C’est l’Edixa 16.

Grâce à un bâti adapté, il est positionné sur l’axe de l’écran du radar de bord. Une tirette à ressort, manœuvrée à la main, déclenche l’ouverture de l’objectif, et une molette permet de faire avancer le film après chaque prise de vue. Les clichés sont pris en mode « pose ». Pour que l’image soit valide et pour éviter la superposition des images fournies par deux balayages successifs, l’ouverture doit être déclenchée très précisément au début d’un balayage et fermée à la fin du même balayage.

Facile à comprendre. Moins facile à maîtriser dans une cabine étroite et avec des mains « pleines de gants ».

 

L’image radar à coller sur le « déplinav » doit correspondre, en continu, à ce que le radar voit à 10 nautiques devant lui. La plage de distance utile de chaque photo a une largeur de deux nautiques. Pour fabriquer les bandes de prédiction radar il suffit donc de prendre, sur l’itinéraire à suivre, une photo de l’écran tous les deux nautique puis, sur chaque photo prise, de découper une bande, en arc de cercle, large de deux nautiques et centrée sur la position du marqueur dix nautiques de l’écran radar. Vous suivez toujours ?

Les bandes sont ensuite assemblées et collées pour former une image radar continue de ce que le pilote voit, sur l’écran de son radar de bord, à la distance de dix nautiques. C.Q.F.D.

 

Les vols de prises de vues avec « Edixa 16 » sont de vraies missions. Elles sont considérées comme terminées quand le pilote, aidé par l’officier de renseignement, a fourni à la « section nav » de l’escadron la bande radar correspondant à l’itinéraire qui lui a été confié.

Pendant la préparation, chaque itinéraire est tracé sur une carte au 1/100 000 et chaque point de prise de vue est défini avec précision. Un cliché doit être pris tous les deux nautiques, très précisément à l’altitude de la ficelle et au cap prévus. En vol à 400 kt (6,66 Nm/mn), la vitesse de l’avion et la longueur de le séquence de réarmement de l’Edixa 16 ne permettent pas de respecter cette cadence. Deux passages sont donc programmés sur l’itinéraire et, à chaque passage, un cliché est pris tous les quatre nautiques.

Premier problème : Quand il existe des visages inconnus sur une photo de groupe, avec l’aide de quelques amis il est toujours possible de retrouver qui est qui. C’est plus difficile avec la photo d’un écran radar. Chaque cliché ne peut être identifié que par la place qu’il occupe sur la pellicule. L’ordre des prises de vues est donc fondamental, sous peine de remettre en cause la validité de toute la pellicule et, par conséquent, de toute la mission.

Deuxième problème : Passons sur les réglages de l’écran radar pour obtenir une image qui ne soit pas noire d’un coté et saturée de l’autre. Les prises de vue doivent se faire en mode « pose », le vrai défi est de déclencher l’ouverture et la fermeture de l’objectif au bon moment. L’astuce, pour le pilote, consiste à balancer sa tête au rythme du balayage radar, de tirer sur la commande d’ouverture de l’objectif quand l’antenne est en butée à gauche, et de relâcher la commande quand elle arrive en butée à droite.

Même si un équipier assure toujours la surveillance du ciel pour limiter les risques de collision en vol, manipuler les cartes et contrôler avec une grande précision la trajectoire de l’avion, et la prise des clichés, n’est pas de tout repos.

 

La qualité des clichés dépouillés à l’escadron, est aussi suivie que celle des résultats des tirs de qualification. Souvent, pendant les premières missions et en fonction de la position du soleil, il est arrivé que les images soient surchargées par les contours du casque et du masque à oxygène du pilote, qui se reflètent sur l’écran du radar.  En plaçant un papier calque derrière l’Edixa les reflets ne passent plus, et le pilote peut quand même surveiller la direction de l’axe de l’antenne radar.

Suivent le repérage des clichés sur papier, la découpe des bandes circulaires utiles, et leur assemblage « façon puzzle », en croisant les doigts pour que tout soit « raccord ». Avec l’entraînement, c’est souvent le cas.

Et quelle satisfaction le jour ou « sa » bande est validée pour figurer sur les déplinav de l’escadre.

 

Wirgin Edixa 16

• Marque : Wirgin

• Modèle : Edixa 16

• Pays de fabrication : Allemagne

• Début de fabrication : 1962

Ce subminiature s'utilise avec du film 16 mm. Il permet de prendre 24 photos de 12 mm sur 17. Son objectif est un très bon Xenar Schneider f2.8/25 mm, dont la mise au point va de 40 centimètres à l'infini. L'obturateur comporte des vitesses du 1/30 au 1/150 sec.Les vitesses sont couplées avec les ouvertures du diaphragme. Ce couplage est débloquable pour les photos au flash. Une cellule photoélectrique peut se brancher sur le coté droit de l'appareil et elle se couple avec l'obturateur.

Il a été fabriqué vers le début des années 60, en deux versions : avec objectif Travenar 2,8 ou avec objectif Xénar 2,8. D'après le catalogue Natkin 1966, la première version coûtait 357 francs , la seconde 473 francs. La cellule coûtait 123 francs .

(Source : Texte de Sylvain Halgand)