@ Sirpa Air - Air Actualités n° 450 (mars 92) - Auteur Lcl Henri Guyot

Les traditions de la 61ème escadre de transport d'Orléans

La Saga des Bougnats

SPA 3, SPA 26, N 124, ERC 571, 3C1... Si les traditions des escadrilles de chasse sont familières à l’esprit des fanatiques de l’aviation militaire et de l’Armée de l’air, celles des escadrons de transport sont bien souvent méconnues. Air Actualités vous propose, dans cet article, de découvrir les liens de la 61ème escadre de transport d’Orléans avec les glorieuses escadrilles de la Grande Guerre.

Touraine, Franche-Comté, Poitou... Le nom d’une province pour chaque escadron, c’était l’idée et l’initiative du général Valin en 1941 lorsqu’il mit sur pied les premiers groupes purement français à la naissance des Forces aériennes de la France libre. Les trois escadrons de la 61e escadre de transport d’Orléans n’ont pas échappé à la règle. Cet usage, institué pour réchauffer le coeur de nos équipages en Syrie ou ailleurs, a trouvé son prolongement naturel dans l’Armée de l’air d’aujourd’hui, tout comme la filiation de ses escadrilles actuelles à quelques unes de celles de la Grande Guerre.
Ainsi l’escadron de transport ET 1/61 « Touraine » perpétue les traditions de la « Voisin » 101 (V 101) et de la « Voisin » 113 (V 113). L’ET 2/61 hérite, quant à lui, de celles de la « Salmson » 19 (SAL 19) et de la « Breguet » 104 (Br 104). Seul l’ET 3/ 61 « Poitou » n’a pas de traditions remontant à la première guerre mondiale. Créé le 10 mai 1945 à Lyon, cet escadron s’accommode simplement de sa devise « le Poitou, à l’aise partout » (depuis mars 1992, les choses ont changé et le Poitou est maintenant héritiers des traditions des escadrilles 118 et 119). 

Le goût du terroir 

Pour la clarté et pour montrer ce que recouvre la force et la richesse de ces traditions méconnues, l’itinéraire choisi à propos de la 61e escadre de transport sera celui des « Bougnats » désignant l’escadrille SAL 19. Caractéristique et complexe, l’histoire de cette escadrille, toujours étroitement associée à celle de la Br 104 « Turcos », a vécu toutes les grandes heures de l’aviation militaire française et a fortiori celles de l’Armée de l’air.
Avec son numéro d’ordre d’existence et ses avions Henri Farman, la HF 19 est parmi les vingt et une premières escadrilles créées avant la date de la déclaration de guerre de l’Allemagne à la France, le 3 août 1914. Né HF 19 en mai 1913 à Dijon, AR 19 (1) en janvier 1917 et SAL 19 le 6 mai 1918, elle doit son tenace sobriquet à son affectation géographique au 13e corps d’armée de Clermont-Ferrand, capitale de l’Auvergne et son insigne « tête de Bougnat » à Sem, un dessinateur en vogue de cette période. La fourragère Croix de guerre, une citation à l’ordre du 13e CA, deux citations à l’ordre de l’Armée aérienne, treize victoires aériennes, tel s’établit son palmarès pour la guerre de 1914-1918.
Sur les 258 escadrilles effectivement opérationnelles en novembre 1918, la constitution pour le temps de paix, le 1er janvier 1920, de trois régiments d’aviation de chasse (RAC), de trois régiments de bombardement (RB) et de sept régiments d’observation (RO) ramène l’aviation militaire en métropole à 120 escadrilles en ligne.

 
Breguet 19 A2 avec l'insigne "Tête de Bougnat". Cet appareils équipe l'escadrille SAL 19 de 1926 à 1934

Les liens privilégiés avec la 33 

Parmi celles-ci, la 1ère et la 4e escadrille du 3e RO à Beauvais reprennent respectivement les traditions de la Br 104 « Turcos » et de la SAL 19 «  Bougnats ». Ces deux escadrilles sont détachées, à l’époque, à l’Armée du Rhin. Le 1er août de cette même année, par un nouvel aménagement, la SAL 19 et la Br 104, numérotées 1 et 2, constituent à Mayence le 1er groupe du 33e régiment d’aviation d’observation (33e RAO) : les Bougnats et les Turcos à ce jour seront indissociables et liés au même destin.
Le 1er janvier 1924, le 33e RAO se métamorphose en 33e régiment d’aviation mixte (33e RAM) avec l’affectation en son sein d’un groupe de chasse (SPA 37, SPA 81 et SPA 93) issu du 1er RAC de Thionville dissous à cet effet à la même date.
A l’été 1930, le 33e RAM, équipé depuis 1926 de Breguet 19 A2, quitte Mayence et la Rhénanie. Il est simultanément disloqué. Grand chambardement. La SAL 19 et la Br 104 constituent alors le 1er groupe de reconnaissance du 31e RAO à Tours. Son groupe de chasse est rattaché au 3e RAC de Châteauroux. La SAL 17 et la SPA BI 53 forment le groupe autonome de Bouy près de Reims. Ses deux derniers groupes d’observation (BR 11, BR 244 et SAL 33, SAL 6) réactivent un nouveau 33e RAO à Nancy-Essey.
A la création des escadres, le 1er octobre 1932, le 31e RAO se scinde en deux escadres : la 31e escadre d’observation (31e EO) et la 51e escadre de reconnaissance (51e ER). Le 2e groupe de la 51e ER sur Breguet 19 à Cazaux perpétue les traditions des escadrilles SAL 19 « Bougnats » et Br 104 « Turcos ». Mais la 51e escadre ne connaît à peine qu’une année d’existence et voit sa dissolution intervenir en septembre 1933. Son 1er groupe devient dès lors le 3e groupe de la 31e EO. Son 2e groupe (SAL 19, Br 104) le 3e groupe de la 33e EO (ancien 33e RAO). Pour les Bougnats et les Turcos, c’est un retour à la « 33 », un retour aux sources en quelque sorte.

 

Le groupe de reconnaissance II/52 

L’Armée de l’air affiche officiellement son identité le 2 juillet 1934. Au III/33, les Potez 25 TOE succèdent aux Breguet 19 A2 en 1934 avant d’être remplacés en 1936 par des Potez 542 et des Mureaux 117. Il faut attendre ensuite le 1er avril 1937. Dans le cadre de la constitution du 1er corps aérien lourd de défense, la 52e escadre quitte Dijon pour Nancy-Essey après l’affectation de son 2e groupe (SAL 4, SAL 41) à la 51e escadre en cours de reconstitution à Tours. Cette 52e escadre retrouve et absorbe à Nancy le groupe III/33 qui devient naturellement le II/52 sur Potez 540/542. Les Bougnats et les Turcos acquièrent ainsi une numérotation II/52 durable puisqu’ils la conserveront jusqu’en 1946.
Groupe de reconnaissance autonome, le II/52 rattaché à la Ve armée, se trouve à Herbevilliers sur Potez 637 à la déclaration de la deuxième guerre mondiale. En novembre, le groupe réceptionne ses premiers P 63 11. Le 10 mai 1940, affecté à la IXe armée à Couvron, il subit des pertes sensibles lors de la grande offensive allemande.

Transformé en partie sur MB 174 à Bordeaux-Mérignac à partir du 28 mai 1940, puis basé à Troan dans le Calvados, le groupe II/52 assure néanmoins les missions de reconnaissance qui lui sont dévolues lors de cette campagne de France et obtient deux citations à l’ordre de l’Armée aérienne. A l’issue de ce combat tragique, le groupe rejoint l’Afrique du Nord le 20 juin 1940. Maintenu en activité à Oran la Sénia, il mène encore de nombreuses missions dans le cadre de l’Armée de l’air de Vichy jusqu’au débarquement allié en AFN en novembre 1942.
Percevant des Douglas DB 7 pour remplacer ce qu’il reste de sa flotte de MB 174 (soit 3 appareils), le II/52 reprend son entraînement et devient groupe de bombardement moyen II/52 (GBM II/52), le 1er septembre 1943. 

La guerre d’Indochine sur JU 52 et Dakota 

Après une transformation intensive sur B 26, le groupe reçoit le nom de « Franche-Comté » et, dès lors, participe activement à la victoire finale contre l’Allemagne. Ainsi le GBM II/52 « Franche-Comté » opère en Italie, prépare le débarquement de Provence et poursuit ses incursions jusqu’au-dessus du territoire du IIIe Reich (sans oublier sa participation à la réduction de la poche de Royan).
Après l’arrêt des hostilités, le « Franche-Comté » s’installe à Blida le 15 août 1946 et oeuvre à présent pour le groupement militaire des moyens de transport de l’Armée de l’air (GMMTAA). C’est alors un groupe de transport, le GT II/52 qui s’appellera GT II/62, une année plus tard, le 1er juillet 1947. Transformé sur JU 52 Toucan, il est envoyé en Indochine le 6 août 1948 et s’illustre sur ce théâtre d’opération d’abord sur JU 52, puis sur C 47 Dakota jusqu’à son retour en 1955.
Affecté à la 61ème  escadre de transport à Orléans le 1er novembre 1955, les« Bougnats » et les « Turcos » adoptent comme nouvel héritier l’ET 4/61 et comme nouvelle « monture » le Nord 2501. Pas pour longtemps d’ailleurs, car le 1er décembre 1956, avec le départ de l’ET 2/61 « Maine » vers la 64e escadre, le « Franche-Comté » acquiert enfin sa dénomination actuelle ET 2/61.
La tête d’Auvergnat de Sem et celle du turco de la division marocaine de la Grande Guerre se sont effacés sur les flancs des Nord 2501, des Transall ou des C 130 Hercules du COTAM pour laisser la place au blason de la province « Franche-Comté ». La devise « Comtois, rends-toi, nenni ma foi » sonne claire au coeur des transporteurs mais ne doit pas leur faire oublier la saga des Bougnats qui illustre parfaitement la noblesse de leurs traditions.

Lieutenant-colonel Henri Guyot

(1)   AR : Avion Dorand à moteur Renault.

TRADITIONS
Tradition, du latin « tradere » livrer

Transmission de doctrines, de légendes, de coutumes pendant un long espace de temps. Manière d’agir ou de penser transmise de génération en génération. Telle est la définition du dictionnaire qui lie les unités d’aujourd’hui aux escadrilles de création plus ancienne.
Ce rattachement au passé se traduit concrètement par la conservation d’un nom de tradition (SPA 62 « Coq gaulois », SAL 33 « Hache d’Abordage »), par la garde d’un drapeau ou d’un fanion et par le choix de l’insigne de tradition correspondant (ce n’est pas toujours vrai).
Perpétuer les traditions d’une escadrille revient symboliquement à hériter de tous les faits d’armes (campagnes, victoires, sacrifices), de toutes les distinctions et décorations attribuées à celle-ci. Chaque héritier régénère, par son action, le patrimoine de la tradition perpétuée.
Les traditions sont octroyées officiellement par le jeu logique des filiations qui s’établissent dans la continuité de l’évolution des structures de l’Armée de l’air ou par affinité historique lors de la création d’une nouvelle unité.
En dépit de la jeunesse de l’Armée de l’air, les traditions se justifient pour stimuler l’esprit de corps, pour célébrer la gloire des anciens et conserver le souvenir de leurs faits d’armes.

 

Les filiations du Touraine

Les V 101 et V 113, escadrilles de traditions de l’ET 1/61 « Touraine » ont des filiations beaucoup plus simples que celles de l’ET 2/61 « Franche-Comté ». 209e et 210e escadrilles du 2e régiment de bombardement de Malzeville le 1er janvier 1920, elles deviennent 3e et 4e escadrilles du 22e régiment d’aviation de bombardement de nuit (22e RABN) de Luxeuil le 1er août de la même année.
Le 1er octobre 1932, le 22e RABN, alors équipé de LeO 20, se transforme en 22e EB à Chartres. Le 24 juillet 1935, son deuxième groupe (V 101 et V 113) est muté à Avord comme 1er groupe de la 15e escadre en cours de création. Le GB I/15 effectue la bataille de France sur Farman 220/221 avant d’être dissous en fin juillet à Oujda. Reconstitué en hiver 1940 à Istres, le GT I/15 est le premier groupe de transport créé dans l’Armée de l’air. Appelé « Touraine » le 1er janvier 1944, il adoptera la numérotation 1/61 à partir du 1er juillet 1947.