BSV n°166 (1987/2)

Il était une fois la chance

La chance se mérite a t'on l'habitude d'affirmer en matière de SV.
Un pilote, après de belles années de vol, atterrit un beau jour «boulevard Victor». En unité, il avait exploité avec bonheur sa quote-part de chance, sans se poser trop de questions.
Peut-être pour expier cette attitude primesautière, il fut condamné à s'occuper de prévention.
Que pouvait-il faire dès lors ?
Il se plongea dans tout ce qui traitait de sécurité des vols. Thèses, propos sur le facteur humain, publications étrangères, travaux médicaux : tout était bon car la chose n'est pas aisée. Il en vint évidemment à s'intéresser aux archives des accidents et son expérience quoique sans histoire lui permit de les découvrir avec émotion et réalisme. Sa sensibilité de pilote et l'implacable concision de ces dossiers lui firent revivre intensément ces événements funestes.
Croyez-vous qu'il se scandalisa face à telle erreur ? Pensez-vous qu'il s'étonna d'un pareil oubli ? Condamna-t-il une si grossière négligence ?
Non. Au fur et à mesure de ses investigations, il s'émut, il prit conscience. «Moi aussi, un jour, j'ai décollé avec un paramètre déficient... Mais, ce jour-là, ce n'était qu'une panne d'indicateur. Un autre jour, dans les mêmes circonstances, je me suis résigné au faux départ... Mais, ce jour-là, j'avais du temps, et un avion "Spare" à ma disposition.
Moi aussi, un jour, j'ai commis une grosse erreur d'identification avec la complicité d'un moyen de radionavigation, sans contre-vérifier. Mais, ce jour-là, promptement un contrôleur zélé me ramena sur le rail. Moi aussi, un jour, IMC, je me suis mis bêtement en position inusuelle. Mais, ce jour-là, il y avait au moins dix mille pieds de plafond...»
Alors? se dit-il. «Où est mon mérite ? ... Aurais-je eu simplement de la chance ?»
Il dut en convenir... et depuis il cherche à convaincre. L'homme est faillible. Tantôt économe de son énergie, adepte du raccourci qui simplifie la vie, tantôt agressif voire obstiné, il peut porter en lui le germe de la catastrophe.
L'environnement est imparfait. Tout n'est pas toujours pour le mieux dans le meilleur des mondes; manque de temps, salle de briefing occupée, coup de téléphone inopportun, avion pas prêt, configuration inadéquate, plate-forme saturée, météo inattendue.
Ces réalités sont cruellement éclairées lorsque l'événement frappe mais s'estompent trop facilement dans le contexte du travail au jour le jour. Comme la fatalité se refuse, à force de répétitions, à force de rabâchages, seule la SV peut vous garder éveillé... afin que vous méritiez réellement votre chance, en la mettant toujours de votre côté.

Cdt Henri GUYOT