Mission "S 1130"

le Broussard ensablé.


Le Lieutenant T….. devant son Brou.

Préambule 

 Cette aventure se situe peu après l'explosion de la première arme nucléaire française. Cet essai dans l'atmosphère, a eu lieu à Reggan, le 13 février 1960.

L'augmentation de puissance prévue pour les essais suivants entraînera la mise en oeuvre d'une autre méthode de tir, présentant moins de risques pour l'environnement.

La décision est alors prise d'effectuer des tirs souterrains. L'emplacement est choisi ce sera le "Tanafella". C'est un rocher imposant en granit situé à 250 kilomètres au nord de Tamanrasset.

Une telle entreprise n'est possible qu'avec une piste d'atterrissage à proximité immédiate. Il existe à In Ecker un petit terrain datant du passage du Gal Laperrine dans ce coin perdu du Sahara. Le terrain en question est très court, coupé en son milieu par un lit d'oued, et de toute façon trop éloigné du rocher expérimental. Il faut trouver un autre emplacement pour y construire une piste utilisable par les avions de transport militaires et civils de l'époque.

Pour faire ces recherches et ces études les spécialistes doivent pouvoir se déplacer en avion et être en mesure de transmettre rapidement à la DIR.C.E.N.* les résultats de leurs relevés topographiques et les carottes prélevées sur le site qui deviendra la Base d'In Amguel.

* DIRection des Centres d'Essais Nucléaires

Début juillet 1960 les G.S.R.A. "78" de Colomb-Béchar et "76" de Ouargla reçoivent l'ordre de mettre en place à Tamanrasset chacun un MH1521 "Broussard". Le Cdt de bord du GSRA 78 sera chef de détachement et prendra les consignes auprès de la DIR.C.E.N. sur la base de Reggan.

Lundi 11 juillet 1960 la mission "S 1130", Cdt de bord, pilote, Ltt T....., navigateur Ltt V...., MH 1521 Nº 175 décolle de Colomb Béchar.

Chapitre 1 La préparation.

Convoqué chez le Chef des Opérations (Cne J......), l'équipage prend connaissance de la mission et mesure tout de suite que ce ne sera pas du gâteau si tout va bien et que ce sera très risqué en cas d'ennui. Peu expérimenté, l'équipage trouve auprès des anciens qui ont sillonné le Grand Erg et le Sahara en JU 52 des tas de conseils.

L'itinéraire est étudié et reçoit l'approbation des Leaders et du Chef des Ops; ce sera Colomb-Béchar - Adrar, Adrar - Reggan, puis le lendemain, Reggan - In Salah, In Salah -Tamanrasset.

Les cartes aéronautiques sont correctes jusqu'à Reggan mais très imprécises (OACI 1/1 000 000°) pour la fin du trajet. Autre sujet de préoccupation, l'autonomie du bondissant coursier, sans vent la dernière étape est faisable, avec vent défavorable ce sera juste. Faire une escale technique sur le terrain d'Arack entraîne une attente de 15 jours pour avoir le carburant.

L'équipement de secours est préparé avec soin. Sur demande du Cdt de bord les rations de survie et d'eau sont doublées (elles seront même triplées sur demande du chef des ops).

La mécanique choisit dans la flotte le Broussard qui a le potentiel pour la durée du détachement, ce sera le MH 1521 N°175 Fox Uniform India India Uniform. F.U.I.I.U. 

Chapitre 2 La première étape. 

Lundi 11 juillet 1960, passage à la météo ( rien à signaler, température de saison !!!) après les vérifications de la machine, des équipements de sécurité et de secours, et la prise en compte du carnet de bons Mle 19, (pour avitailler) l'équipage monte à bord.

Démarrage, point fixe, actions vitales avant décollage et c'est parti.

La première demie étape ne pose aucun problème, nous avons l'habitude de faire des R.A.V. à proximité de ce secteur et la météo est bonne. Complément de plein à Adrar A partir de là, la région ne nous est pas familière, mais il y a une bonne balise à l'arrivée, et nous terminons notre première étape à Reggan sans aucune difficulté.

Après le déjeuner, briefing du Colonel C....... qui nous donne les précisions nécessaires concernant notre mission et les consignes pour le bon fonctionnement du détachement.

L'accueil est agréable et la journée s'achève paisiblement. Il fait plus chaud qu'à Béchar et, cependant, par manque d'habitude, nous supportons difficilement la fraîcheur de nos chambres climatisées. 

Chapitre 3 Deuxième étape 

Mardi 12 juillet 1960, sur conseil de la météo et pour des raisons évidentes de "confort" nous décollons aux aurores vers In Salah, escale technique pour un complément de plein. Jusqu'au travers d'Aoulef tout va bien, puis au fur et à mesure que nous nous rapprochons d'In Salah le vent se lève, la turbulence également.

Premier contact radio avec la tour, vent d'est 15 noeuds, visi correcte ; deuxième contact à un quart d'heure de l'arrivée, cela se gâte sérieusement le vent passe à 25 avec des pointes à 40 Kts et surtout un vrai vent de sable se lève et réduit la visibilité à moins d’un kilomètre.

L'approche se fait par une percée gonio VHF, en piste 06. La radio est très perturbée par des parasites importants. En courte finale, avec une visi réduite, la tour annonce 200 premiers mètres interdits, au moment précis où le Broussard survole des grandes marques blanches en forme de X. Pleins volets, gaz réduits, manche au ventre pour un atterrissage de ... capitaine. Enfin nous sommes posés et avec difficulté (vent violent et visi réduite) nous rejoignons le parking. L'amarrage est particulièrement délicat et nous prend un bon moment. Le Broussard est chargé d'électricité statique et nous redoutons de prendre une bonne décharge électrique.

La charmante dame de la société pétrolière à qui nous demandons de faire le plein fait la grimace et nous répond que par ce vent de sable c'est hautement risqué. Nous suivons ses conseils en lui demandant la possibilité d'avitailler le lendemain avant 6h du matin, ce qu'elle nous accorde.

Nous sommes accueillis dans une unité de sahariens qui ont troqué le dromadaire pour la Jeep et le 6x6, mais qui ont conservé l'esprit méhariste et une bonne connaissance du terrain et de la météo locale. D'après eux un décollage tôt le matin est tout à fait possible, le vent de sable ne devant reprendre qu'en milieu de matinée.

Ceci arrange également un équipage de C47 en mission de calibration du gonio. Pour situer la violence du vent de sable, pendant l'après-midi un mécanicien radio de la calibration s'est perdu entre la gonio et la tour. Il n'a été retrouvé qu'en fin de journée complètement déshydraté.

La journée se termine avec un bon bain dans un réservoir de 15 mètres sur 15, un dîner frugal chez les méharistes, et une nuit moins fraîche que la précédente mais où nous nous reposons correctement en pensant à la dure journée qui nous attend. 

Chapitre 4 Ça se complique !!! 

Réveil difficile à 4 h 30, le vent est modéré et la chaleur est déjà très élevée. Le petit déjeuner est dur à avaler. Rapidement sur le terrain nous préparons l'avion et attendons l'arrivée de la citerne. Le plein complet (430 litres) est effectué avec grands soins.

La météo prévoit pour In Salah un renforcement du vent jusqu'à 25/30 kts et une proba 50% de vent de sable. Pour le trajet ciel clair et vent d'est sud-est force moyenne 30 kts.

La négociation avec le contrôle est plus difficile, notre plan de vol n'est pas accepté pour deux raisons : autonomie insuffisante et pas de liaisons radio (le MH1521 N°175 est seulement équipé d'un VHF 12 fréquences et d'un PRC10 pour contacter les "TROSOLS". ). Le contrôleur nous propose d'envoyer notre plan de vol au contrôle local de Tamanrasset et de demander un "request arrivée". Nous acceptons cette solution et par manque d'expérience nous ne déposons pas de plan de vol opérationnel militaire via les transmissions de nos hôtes sahariens.

Le décollage a lieu vers 6 h 30 et l'équipage reste en contact avec la Base de départ grâce au C47 qui tourne autour de la piste. Le vent de sable se lève plus tôt que prévu et la calibration est interrompue. Le dernier contact nous annonce que le terrain passe en QGO météo. (terrain fermé pour raisons météorologiques)

Pendant ce temps le Ltt V..... fait fumer son dérivomètre et constate que la vitesse-sol a une tendance certaine à diminuer, le Ltt T..... cherche le meilleur compromis régime moteur / vitesse indiquée et prend les altitudes de sécurité compte tenu des renseignements cartographiques très très flous. Un dernier calcul entre deux points nous rassure sur la vitesse sol et la décision est prise de poursuivre et de ne pas passer 15 jours de congé au Bordj d'Arack en attendant l'essence.

Ce que nous ignorons à ce moment là c'est que la piste qui nous a servi de point de repère pour le calcul de notre vitesse sol n'est pas la "piste impériale" que nous avons sur la carte mais une piste ouverte par les pétroliers qui elle n'y figure pas.

La pendule tourne, notre navigation devient difficile en raison d'une brume de sable de plus en plus épaisse. Le radiocompas accroche la balise de Tam/Aguenar, le niveau est faible, le relèvement instable avec des battements de plus de 30°.

Nous décidons de nous dérouter sur le terrain d'In Ecker qui doit économiser une trentaine de minutes. La météo ne s'arrange pas, la visibilité est passable à la verticale, quasiment nulle en oblique; c'est un phénomène baptisé "La Cloche" par les sahariens. Toujours pas de terrain en vue.

Après un peu plus de 4 h 15 de vol, dans les turbulences, les lampes bas niveau d'essence commencent à clignoter. La décision est prise de passer sur le réservoir droit, de continuer au cap, et si au "plouf" il n'y a pas de piste en vue, le fond du réservoir gauche sera utilisé pour effectuer un atterrissage en campagne. Ce qui fut dit fut fait. Après une reconnaissance en très basse altitude pour choisir un bout de reg utilisable et le largage d'un fumigène pour estimer le vent, la procédure d'atterrissage court dit "en campagne" est entamée. Le message "panne, panne, panne" est lancé sur la fréquence de route et sur la fréquence de détresse 121,5 Mhz, on ne sait jamais ?

 Le choix du terrain a été fait en se souvenant des boutades des Méharistes d'In Salah "Si vous aviez des ennuis et que vous vous posiez dans le HOGGAR, choisissez de le faire à proximité d'une piste routière, nous les parcourons périodiquement et nous retrouverons au moins l'avion..."

Pendant les manoeuvres de recherches pour l'atterrissage le Nav a étudié les environs et il a même repéré un campement juste derrière le djebel qui limite notre horizon à l'est. 


Carte extraite de Atlas Encarta 1998
 


Le Mont Tahat point culminant du Hoggar
2920 m (Photo du Ltt V…..) 

Chapitre 5 : Atterrissage en campagne - La survie.

Il est aux environs de 11 h et le soleil cogne dur quand le Broussard prend rudement contact avec le sol du Hoggar. L'atterrissage est un trois points, roulette de queue la première, un véritable appontage. Le pilote et le navigateur se regardent sans dire le moindre mot, l'avion est intact, nous sommes sains et saufs. Que va-t-il se passer maintenant ?

Très confiants dans les compétences des contrôleurs nous calculons que les recherches devraient démarrer rapidement. En conséquence nous commençons par placer l'avion en travers de traces qui ressemblent à une piste (repérée lors du choix du terrain) et nous mettons en place éclisses et caches pour protéger le «Brou». Nous étudions ensuite les procédures de survie "panneaux, fumigènes, miroirs, etc."

Les panneaux de signalisation ont tendance à s'envoler sous l'effet du vent qui souffle assez fort sur ce plateau. Il est vrai que nous sommes à un peu plus de 2000 mètres d'altitude. Le premier gros caillou soulevé pour fixer un panneau nous réserve une surprise, nous ne sommes pas seuls...les scorpions sont là également. Nous ne nous affolons pas et nous installons notre signalisation.

Dans le milieu de l'après-midi un avion de ligne traverse le ciel du Hoggar. Un saut dans l'avion après avoir rebranché la batterie et appel de détresse sur V.H.F., peine perdue, personne à l'écoute, pas de réponse. Malgré une certaine angoisse, apparemment bien maîtrisée par l'équipage, nos estomacs commencent à se manifester. Première décision économiser l'eau (nous avons 30 litres en 3 jerricans de 10 litres et nous sommes optimistes sur la durée de la survie), deuxième décision ouvrir une ration de secours. Une nouvelle surprise nous attend lors de l'ouverture de la première boite bleue de survie collective : le contenu est un amalgame innommable ; il semblerait que les tubes d'aliment "Mont-Blanc" aient éclaté et que leur contenu se soit répandu dans la boite. Tout n'est pas fichu mais ce qui reste utilisable n'est pas ce que nous attendons. Les pastilles "toni-hydratantes", les comprimés de vitamine C, et les pilules de purification de l'eau, dans leur emballage spécifique n'ont pas souffert du mélange avec l'aliment de survie, mais c'est un peu juste pour calmer notre faim. Vu le nombre de rations à notre disposition, nous décidons d'ouvrir une deuxième boite. Ce n'est plus une surprise, cela tourne au cauchemar; les tubes d'aliment "Mont Blanc" sont répandus dans la boite. Avant d'ouvrir une troisième boite nous l'agitons et comme nous entendons les composants s'entrechoquer, nous en déduisons que la ration de survie est en bon état, et cela s'avère exact à l'ouverture de la boite.

Nous sommes rassurés, mais le test effectué sur l'ensemble de notre dotation nous informe que nous serons privés d'un tiers de nos "provisions". Autre constatation, l'eau dans les bidons de dix litres est chaude et nous ne disposons pas de gobelet pour boire. Les boites de rations de survie vidées de leur contenu en feront office.

L'après-midi s'avance, quand nous apercevons pas très loin de notre position un groupe de bourricots. Cela ne nous choque pas car au cours de nos R.A.V., autour de Colomb-Béchar et audessus du Grand Erg, nous avons l'habitude d'en survoler, et nous pensons que derrière les ânes il y a quelqu'un.

Curieux, mais méfiants, nous empoignons qui la MAT 49, qui la carabine US et nous tentons de nous approcher. Peine perdue, les bestioles s'enfuient au galop, mais cependant nous remarquons qu'il n'y a pas d'humain avec elles.( Nous aurons confirmation plus tard de l'existence, dans cette partie du Hoggar, de troupeau de bourricots sauvages)

Après cet intermède asinien, nous nous préparons à passer notre première nuit à la belle étoile. D'un commun accord, compte tenu des scorpions, nous décidons de coucher dans l'avion. Nous démontons les sièges et les dégarnissons pour nous faire des matelas. Nous utiliserons les panneaux de signalisation, inutilisables la nuit, en guise de couvertures, car au mois de juillet dans le Hoggar, légèrement au-dessous du tropique du Cancer, mais à 2000 mètres d'altitude, les nuits sont fraîches.

Le sommeil tarde à venir, malgré une sérénité apparente le stress de l'inquiétude nous tenaille, pour le nav il s'agit de sa position et du campement aperçu avant l'atterrissage, pour le pilote de la possibilité de décoller depuis la position en tenant compte de l'altitude, du vent, de la température, du poids de l'aéronef, et de la nature de la piste; tout cela doit être dans les abaques du manuel technique mais le pilote n'a jamais eu l'occasion d'en faire usage.

Chapitre 6 : "14 juillet"

 A la première lueur du soleil levant qui commence à blanchir l'horizon, nous sommes sortis de notre léger sommeil. Un "targui", fusil en bandoulière, tenant un dromadaire par la bride, s'approche de l'avion ; ami ou ennemi ? Dans le doute nous empoignons discrètement nos armes et nous restons immobiles. L'inconnu regarde à l'intérieur de la carlingue, fait demi tour et s'en va. Nous sommes rapidement debout en nous demandant si notre immobilité silencieuse a été la meilleure solution. Cet homme, à l'aspect militaire, connaît sans doute la région et aurait peut-être pu nous aider.

Le petit-déjeuner, ou du moins ce qui en tient lieu, un quart de tube d'aliment de survie "Mont Blanc" par personne et quelques gorgées d'eau rafraîchie pendant la nuit, est vite avalé.

Le Ltt. T..... fait un premier constat ; la direction du vent est à 90 degrés de celle rencontrée lors de l'atterrissage. Cela est plutôt favorable car le plus grand coté du polygone sur lequel nous stationnons est dans le même sens que le vent à cette heure très matinale. Un coup d'oeil dans la documentation avion, confirme que, à 2000 mètres, nous sommes largement au-dessus de l'altitude de rétablissement de notre vaillant coursier (l'altitude de rétablissement à la puissance de décollage 125 Pz/2300 t/m est de 500 mètres ). Le pilote étudie les courbes de performances. Le manuel de survie donne quelques repères pour l'évaluation de la force du vent. Les mesures de distances se font au double pas. La première estimation qui résulte de ces études, est que le décollage semble possible avec un avion allégé au maximum, face au vent, et donc avant 6 heures du matin, car après le vent tourne de 90 degrés et la longueur de reg à peu près propre, disponible sur ce nouvel axe, est insuffisante. Par contre les courbes de performances au décollage pour le passage des 15 mètres sont moins réjouissantes mais heureusement l'axe du vent n'est pas trop encombré.

Au cours de la matinée, nous voyons revenir vers nous, un targui qui doit être notre visiteur de la nuit. La conversation est limitée, il a l'air de se rendre compte que nous sommes des militaires en mission et que nous ne sommes pas là de notre plein gré. Notre survie doit l'intéresser car il va nous faire découvrir à proximité de notre "camp" la guelta d'Issakarassène. Réserve naturelle d'eau potable, c'est aussi un but de voyage pour le "Touring club de France" car nous découvrons une dalle de ciment sur laquelle nous pouvons lire la date de leur dernier passage. Il y a même des poissons dans l'eau de la guelta. Nous sommes rassurés par cette découverte, l'eau indispensable à la survie ne manquera pas. 

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La guelta d'Issakarassene (Photo Marc Liaudon )
 

De retour près du «Brou», le Ltt V est très décidé à retrouver le campement de nomades repéré lors de notre atterrissage en campagne. Quitter l'avion c'est se mettre en danger et en infraction avec les règles de survie, mais si le campement est bien là, notre survie est définitivement assurée, aussi nous mettons au point un code de transmission avec nos miroirs de signalisation. Le Ltt V part donc à l'assaut du djebel et après un bon crapahut il envoie le signal convenu "j'ai trouvé le campement". Comme décidé, il poursuit pour prendre contact avec les nomades. Il s'agit d'un camp de touareg, peu d'hommes, des femmes et des enfants, des vieillards et oh surprise des françaises "petites soeurs du Père de Foucauld" qui conformément aux règles de leur ordre, nomadisent avec les Touareg. Cette bonne nouvelle est limitée par le constat de misère profonde dans laquelle vit ce groupe. L'eau de leur guerba est plus fraîche que celle des jerricans mais elle a un goût bizarre qui tire sur la chèvre et le bouc. Le Ltt V revient au "camp" par une piste existante qui lui évite une nouvelle ascension et qui permettra au Ltt T de se rendre près des Touareg à son tour.

Dans l'après-midi un jeune Targui nous rend visite et nous lui offrons un peu d'eau qu'il boit difficilement car elle est plus que tiède et guère consommable en dépit de l'addition de quelques gouttes de la menthe trouvée dans les rations de survie. Il racontera cela aux petites soeurs qui en informeront le Ltt T lors de sa visite.

L'arrivée d'une Land-Rover sur la piste clôturera cette journée riche en rencontres de toutes sortes. A bord du véhicule deux hommes habillés en touareg, ils se présentent, ce sont Jean-Marie et Yannick dit Yaya, deux "Petits Frères du Père de Foucauld". Le Commissariat à l'Énergie Atomique leur fournit la voiture et les rémunère pour effectuer des relevés de pluie dans le Hoggar. Des pluviomètres d'un type très spécial (lorsqu'une goutte d'eau entre dans le pluviomètre elle entraîne une goutte d'huile qui se plaçant dessus empêche l'eau de s'évaporer) sont installés dans la région qui entoure le rocher des essais nucléaires souterrains et nos Petits Frères passent périodiquement pour en faire le relevé.

Nous expliquons à nos visiteurs le pourquoi de notre présence insolite au milieu du Hoggar, et nos besoins. Jean-Marie, vocation tardive, officier de marine avant d'entrer dans les ordres, a tout de suite pigé. Il nous propose d'apporter au poste militaire d'Idelès (50 km au nord ) un message à envoyer par radio au P.C. militaire de Tamanrasset. La solution est acceptée d'emblée par l'équipage qui rédige un message succinct demandant essence, huile, mécanicien pour remettre le «Brou» en état de vol.

Après un dîner survie, la nuit fut plus calme que la précédente, le Ltt T priant le Dieu des aviateurs pour que ses calculs de performances et ses estimations de distances et de force du vent soient exacts.

Chapitre 7 : "Vendredi 15 juillet"

Après l'excitation de notre journée du 14 juillet qui s'était si bien terminée, l'attente de notre dépannage nous semblait interminable, quand dans un nuage de poussière la Land-Rover fait son apparition en revenant du nord. "Les militaires du Poste d'Idelès sont à Tamanrasset pour le défilé de la Fête nationale, et le touareg de garde ne sait pas faire fonctionner la radio". Jean-Marie accepte de retourner à Tamanrasset et de porter aux autorités militaires un message détaillé que l'équipage rédige avec grand soin. L'accent est mis sur la nécessité d'avoir l'avion prêt à décoller avant 6 heures du matin pour profiter du vent favorable, sinon il faudra attendre le lendemain.

De nouveau seuls les deux Ltt attendent l'arrivée du mécano et du matériel. En fin d'après-midi, le soleil est déjà bas sur l'horizon, quand, déboulant à toute vitesse, arrive la colonne du poste d'Idelès, avec en tête son chef, un Lieutenant méhariste. Petite déception le mécano n'est pas là, et l'essence non plus. Nous sommes rassurés par le chef de poste qui nous explique qu'il a foncé tout de suite pour passer la soirée et la nuit avec nous et que le technique suit et sera là à temps pour un décollage aux aurores.

Le contact est très chaleureux et après avoir narré notre périple, nous acceptons de grand coeur de partager avec les méharistes d'Idelès la "shorba", plat traditionnel saharien, fait de pâtes et de viande séchée, préparé par les militaires du poste. Un tel événement ne pouvant se dérouler sans champagne, le Ltt Chef de Poste sort une bouteille et nous assistons à une démonstration de refroidissement par évaporation. Un militaire du poste entoure la bouteille d'un morceau de "chèche" (grande écharpe de tissu léger portée par les sahariens), l'arrose d'un quart d'eau, et met le tout en plein vent. A la fin du repas nous dégustons un champagne frais et bien sympathique.

La colonne d'Idelès s'est installée pour la nuit tout autour du «Brou» et l'équipage s'est endormi pour une nuit bien plus calme que les précédentes. Le Ltt T continue à se faire du soucis pour ses calculs de distances de décollage. Il pense au lendemain, en espérant que la mécanique arrivera à temps et en se promettant de vérifier les distances avec le compteur hectométrique de la Jeep du chef de poste.

Chapitre 8 : "Samedi 16 juillet"

Le soleil n’est pas encore levé, quand arrive notre mécanicien et le carburant. Le plein est effectué et le «Brou» est préparé pour le vol. Pour rester dans les limites des courbes, l’avion est allégé au maximum par le Ltt V qui ne conserve que le strict minimum pour rejoindre TAM.

Le Ltt T accompagne le Chef de poste dans sa Jeep afin de mesurer la portion de reg utilisable pour le décollage, le résultat est comparable à la mesure faite au pas.

Après les salutations d’usage à nos amis sahariens, l’équipage prend place à bord. Le pilote effectue les vérifications techniques, met en route, contrôle le bon fonctionnement au point fixe, et se met en place pour le départ. La procédure de décollage utilisée est : « décollage mauvais terrain (sol dur + bosses), piste courte », volets 15°, pompe essence sur marche. Comme prévu dans les courbes du manuel et comme vérifié au point fixe la P.A. est très inférieure aux 125pz du niveau de la mer.

L’avion est retenu sur freins pendant la mise de gaz. Au lâcher des freins et dès le début du roulage le Ltt T. s’efforce de lever la roulette de queue en maintenant l’avion au sol jusqu’aux environs de 60kts, et de décoller. Cela se passe bien jusqu’à 60, 62kts, mais le badin refuse de grimper davantage pendant le palier à quelques mètres du sol. Il faut attendre de très longues secondes pour que noeuds par noeuds la vitesse daigne augmenter et prendre une valeur compatible avec l’exécution d’un virage en montée. Nos amis au sol sont très inquiets de nous voir partir cap au nord alors que TAM est au sud. L’explication tient dans le profil du terrain qui monte aussi vite que le «Brou». Enfin nous prenons quelques mètres de hauteur et les 75kts nécessaires, montée, virage de 180° et passage basse altitude au-dessus de la colonne d’Idelès en battant des plans et mise de cap sur AGUENAR qui doit être à une cinquantaine de miles. Le trajet nous parait extrêmement court et nous sommes soulagés d’entendre les consignes données par la tour de contrôle.

Atterrissage sans problème, et nous roulons pour rejoindre le parking militaire où se trouve le «Brou» de OUARGLA. Contrordre, la tour nous demande de nous rendre près des citernes d’essence pour faire le plein. Nous obéissons et nous nous dirigeons vers le parking civil à l’emplacement de la Société pétrolière. Pendant que le pilote s’occupe de compléter les réservoirs le Ltt. V. se rend près des aviateurs qui nous attendent au parking militaire. Après les pleins et les formalités administratives, le Ltt. T. remet en route et roule vers l’emplacement qui lui est réservé.

Quiconque pourrait croire que l’aventure est terminée se tromperait car une balise de chemin de roulement a brutalement surgi de la latérite et est venue frapper l’hélice du pauvre Broussard qui passait juste au dessus. En vérité le pilote a été trompé par ce type de balise utilisée sur certains terrains sableux ; pour éviter l’ensablement de la balise, le tronc de cône qui porte le globe lumineux est fixé sur une tige métallique qui dépasse du sol de 40 centimètres environ ; une chose est certaine elle n’est pas compatible avec la garde au sol de l’hélice du BROU. Le vaillant coursier est donc cloué au sol jusqu’à ce que la mécanique le dote d’une nouvelle hélice.

La mise en place à Tamanrasset est terminée et l’équipage qui rêve d’un bon repas s’installe à l’hôtel Transatlantique où régnait à l’époque un certain" Jeannot". 


Vue sur Tamanrasset, au fond le Hoggar (Photo perso.wanadoo.fr/abegui/ -) 

Epilogue :

Pourquoi les recherches n’ont elles pas commencé plus tôt ?

Quand le contrôleur d’In Salah a demandé le " Request arrivée", (Le terrain de départ demande au terrain d'arrivée si le «Brou» est arrivé) par radio H.F. en phonie, via El Goléa parce que ça ne passait pas en direct sur Tam, il y a eu parait il une confusion avec le «Brou» de Ouargla qui venait d’arriver. Le controleur d’In Salah croit donc que nous sommes posés à Tamanrasset. 

Les recherches auraient elles eu lieu ?

Oui, car le Ltt. E. du G.S.R.A. 76, un peu fatigué d’effectuer seul les missions de la DIRCEN, a fait demander à Colomb-Béchar, par réseau militaire, la date d’arrivée du «Brou» du G.S.R.A. 78 et du chef de DETAM.
 Ce message a permis le déclenchement de la mission SATER qui a été annulée par le message apporté par les Petits Frères du Père de Foucauld. 

Le rôle du Père de Foucauld dans cette aventure ?

Le Ltt. T. a pratiqué le scoutisme dans un groupe qui portait ce nom et une de ses amies d’enfance est entrée en religion dans cette congrégation. Elle est morte en créant une léproserie à la frontière du Cameroun et du Tchad. Malgré un profond scepticisme pour ce genre de coïncidence et de manifestation extra terrestre, le Ltt. T. a un grand respect pour ce Saint Ermite, ancien militaire, et pendant son détachement a fait un pèlerinage de remerciements à l’Assekrem dans le HOGGAR et dans son Bordj de Tamanrasset. 


Ermitage du Père de Foucauld à l'Assekrem

Au dos de cette photo offerte par le Frère Jean-Marie, celui-ci avait écrit :

"La terre est au Seigneur, et tout ce qu'elle renferme : soit donc que vous mangiez, soit donc que vous buviez, ou quelqu'autre chose que vous fassiez, faites tout pour la gloire de Dieu."     Saint PAUL.

Jean-Pierre TRÉARD