Mission "S
1130"
Le Lieutenant T….. devant son Brou.
Préambule
Cette aventure se situe peu après l'explosion
de la première arme nucléaire française. Cet essai dans l'atmosphère, a eu lieu
à Reggan, le 13 février 1960.
L'augmentation
de puissance prévue pour les essais suivants entraînera la mise en oeuvre d'une
autre méthode de tir, présentant moins de risques pour l'environnement.
La
décision est alors prise d'effectuer des tirs souterrains. L'emplacement est
choisi ce sera le "Tanafella". C'est un
rocher imposant en granit situé à 250 kilomètres au nord de Tamanrasset.
Une
telle entreprise n'est possible qu'avec une piste d'atterrissage à proximité
immédiate. Il existe à In Ecker un petit terrain datant
du passage du Gal Laperrine dans ce coin perdu du Sahara. Le terrain en question
est très court, coupé en son milieu par un lit d'oued, et de toute façon trop
éloigné du rocher expérimental. Il faut trouver un autre emplacement pour y
construire une piste utilisable par les avions de transport militaires et civils
de l'époque.
Pour
faire ces recherches et ces études les spécialistes doivent pouvoir se déplacer
en avion et être en mesure de transmettre rapidement à
*
DIRection des Centres d'Essais Nucléaires
Début
juillet 1960 les G.S.R.A. "78"
de Colomb-Béchar et "76"
de Ouargla reçoivent l'ordre de mettre en place à Tamanrasset chacun un MH1521
"Broussard".
Le Cdt de bord du GSRA 78 sera chef de détachement et prendra les consignes
auprès de la DIR.C.E.N. sur la base de Reggan.
Lundi
11 juillet 1960 la mission "S 1130", Cdt de bord, pilote, Ltt T....., navigateur Ltt V....,
MH 1521 Nº 175 décolle de Colomb Béchar.
Chapitre 1 La préparation.
Convoqué
chez le Chef des Opérations (Cne J......), l'équipage
prend connaissance de la mission et mesure tout de suite que ce ne sera pas
du gâteau si tout va bien et que ce sera très risqué en cas d'ennui. Peu expérimenté,
l'équipage trouve auprès des anciens qui ont sillonné le Grand Erg et le Sahara
en JU 52
des tas de conseils.
L'itinéraire
est étudié et reçoit l'approbation des Leaders et du Chef des Ops; ce sera Colomb-Béchar - Adrar, Adrar - Reggan, puis le
lendemain, Reggan - In Salah, In Salah -Tamanrasset.
Les
cartes aéronautiques sont correctes jusqu'à Reggan mais très imprécises (OACI
1/1 000 000°) pour la fin du trajet. Autre sujet de préoccupation, l'autonomie
du bondissant coursier, sans vent la dernière étape est faisable, avec vent
défavorable ce sera juste. Faire une escale technique sur le terrain d'Arack
entraîne une attente de 15 jours pour avoir le carburant.
L'équipement
de secours est préparé avec soin. Sur demande du Cdt de bord les rations de
survie et d'eau sont doublées (elles seront même triplées sur demande du chef
des ops).
La
mécanique choisit dans la flotte le Broussard qui a le potentiel pour la durée
du détachement, ce sera le MH 1521 N°175 Fox Uniform India
India Uniform. F.U.I.I.U.
Chapitre 2 La première étape.
Lundi
11 juillet 1960, passage à la météo ( rien à signaler, température de saison
!!!) après les vérifications de la machine, des équipements de sécurité et de
secours, et la prise en compte du carnet de bons Mle
19, (pour avitailler) l'équipage monte à bord.
Démarrage,
point fixe, actions vitales avant décollage et c'est parti.
La
première demie étape ne pose aucun problème, nous avons l'habitude de faire
des R.A.V. à proximité de ce secteur et la météo est bonne. Complément de plein
à Adrar A partir de là, la région ne nous est pas familière, mais il y a une
bonne balise à l'arrivée, et nous terminons notre première étape à Reggan sans
aucune difficulté.
Après
le déjeuner, briefing du Colonel C....... qui nous donne les précisions nécessaires
concernant notre mission et les consignes pour le bon fonctionnement du détachement.
L'accueil
est agréable et la journée s'achève paisiblement. Il fait plus chaud qu'à Béchar
et, cependant, par manque d'habitude, nous supportons difficilement la fraîcheur
de nos chambres climatisées.
Chapitre 3 Deuxième étape
Mardi
12 juillet 1960, sur conseil de la météo et pour des raisons évidentes de "confort"
nous décollons aux aurores vers In Salah, escale technique pour un complément
de plein. Jusqu'au travers d'Aoulef tout va bien,
puis au fur et à mesure que nous nous rapprochons d'In Salah le vent se lève,
la turbulence également.
Premier
contact radio avec la tour, vent d'est 15 noeuds, visi
correcte ; deuxième contact à un quart d'heure de l'arrivée, cela se gâte sérieusement
le vent passe à 25 avec des pointes à 40 Kts et surtout
un vrai vent de sable se lève et réduit la visibilité à moins d’un kilomètre.
L'approche
se fait par une percée gonio VHF, en piste 06. La
radio est très perturbée par des parasites importants. En courte finale, avec
une visi réduite, la tour annonce 200 premiers mètres
interdits, au moment précis où le Broussard survole des grandes marques blanches
en forme de X. Pleins volets, gaz réduits, manche au ventre pour un atterrissage
de ... capitaine. Enfin nous sommes posés et avec difficulté (vent violent et
visi réduite) nous rejoignons le parking. L'amarrage
est particulièrement délicat et nous prend un bon moment. Le Broussard est chargé
d'électricité statique et nous redoutons de prendre une bonne décharge électrique.
La
charmante dame de la société pétrolière à qui nous demandons de faire le plein
fait la grimace et nous répond que par ce vent de sable c'est hautement risqué.
Nous suivons ses conseils en lui demandant la possibilité d'avitailler le lendemain
avant 6h du matin, ce qu'elle nous accorde.
Nous
sommes accueillis dans une unité de sahariens qui ont troqué le dromadaire pour
la Jeep et le 6x6, mais qui ont conservé l'esprit méhariste et une bonne connaissance
du terrain et de la météo locale. D'après eux un décollage tôt le matin est
tout à fait possible, le vent de sable ne devant reprendre qu'en milieu de matinée.
Ceci
arrange également un équipage de C47
en mission de calibration du gonio. Pour situer la
violence du vent de sable, pendant l'après-midi un mécanicien radio de la
calibration s'est perdu entre la gonio et la tour.
Il n'a été retrouvé qu'en fin de journée complètement déshydraté.
La
journée se termine avec un bon bain dans un réservoir de 15 mètres sur 15, un
dîner frugal chez les méharistes, et une nuit moins fraîche que la précédente
mais où nous nous reposons correctement en pensant à la dure journée qui nous
attend.
Chapitre 4 Ça se complique !!!
Réveil
difficile à 4 h 30, le vent est modéré et la chaleur est déjà très élevée. Le
petit déjeuner est dur à avaler. Rapidement sur le terrain nous préparons l'avion
et attendons l'arrivée de la citerne. Le plein complet (430 litres) est effectué
avec grands soins.
La
météo prévoit pour In Salah un renforcement du vent jusqu'à 25/30 kts et une proba 50% de vent de
sable. Pour le trajet ciel clair et vent d'est sud-est force moyenne 30 kts.
La
négociation avec le contrôle est plus difficile, notre plan de vol n'est pas
accepté pour deux raisons : autonomie insuffisante et pas de liaisons radio
(le MH1521 N°175 est seulement équipé d'un VHF 12 fréquences et d'un PRC10 pour
contacter les "TROSOLS". ). Le contrôleur
nous propose d'envoyer notre plan de vol au contrôle local de Tamanrasset et
de demander un "request arrivée". Nous acceptons
cette solution et par manque d'expérience nous ne déposons pas de plan de vol
opérationnel militaire via les transmissions de nos hôtes sahariens.
Le
décollage a lieu vers 6 h 30 et l'équipage reste en
contact avec
Pendant
ce temps le Ltt V..... fait
fumer son dérivomètre et constate que la vitesse-sol a une tendance certaine
à diminuer, le Ltt T..... cherche
le meilleur compromis régime moteur / vitesse indiquée et prend les altitudes
de sécurité compte tenu des renseignements cartographiques très très flous. Un dernier calcul entre deux points nous rassure
sur la vitesse sol et la décision est prise de poursuivre et de ne pas passer
15 jours de congé au Bordj d'Arack en attendant l'essence.
Ce
que nous ignorons à ce moment là c'est que la piste qui nous a servi de point
de repère pour le calcul de notre vitesse sol n'est pas la "piste impériale"
que nous avons sur la carte mais une piste ouverte par les pétroliers qui elle
n'y figure pas.
La
pendule tourne, notre navigation devient difficile en raison d'une brume de
sable de plus en plus épaisse. Le radiocompas accroche la balise de Tam/Aguenar, le niveau est faible, le relèvement instable avec
des battements de plus de 30°.
Nous
décidons de nous dérouter sur le terrain d'In Ecker
qui doit économiser une trentaine de minutes. La météo ne s'arrange pas, la
visibilité est passable à la verticale, quasiment nulle en oblique; c'est un
phénomène baptisé "La Cloche" par les sahariens. Toujours pas de terrain
en vue.
Après
un peu plus de 4 h 15 de vol, dans les turbulences, les lampes bas niveau d'essence
commencent à clignoter. La décision est prise de passer sur le réservoir droit,
de continuer au cap, et si au "plouf" il n'y a pas de piste en vue,
le fond du réservoir gauche sera utilisé pour effectuer un atterrissage en campagne.
Ce qui fut dit fut fait. Après une reconnaissance en très basse altitude pour
choisir un bout de reg utilisable et le largage d'un fumigène pour estimer le
vent, la procédure d'atterrissage court dit "en campagne" est entamée.
Le message "panne, panne, panne" est lancé sur la fréquence de route
et sur la fréquence de détresse 121,5 Mhz, on ne sait jamais ?
Le choix du terrain a été fait en se souvenant
des boutades des Méharistes d'In Salah "Si vous aviez des ennuis et que
vous vous posiez dans le HOGGAR, choisissez de le faire à proximité d'une piste
routière, nous les parcourons périodiquement et nous retrouverons au moins l'avion..."
Pendant
les manoeuvres de recherches pour l'atterrissage le Nav
a étudié les environs et il a même repéré un campement juste derrière le djebel
qui limite notre horizon à l'est.
Le Mont Tahat point culminant du Hoggar
Chapitre 5 : Atterrissage en campagne -
Il
est aux environs de 11 h et le soleil cogne dur quand le Broussard prend rudement
contact avec le sol du Hoggar. L'atterrissage est un trois points, roulette
de queue la première, un véritable appontage.
Le pilote et le navigateur se regardent sans dire le moindre mot, l'avion est
intact, nous sommes sains et saufs. Que va-t-il se passer maintenant ?
Très
confiants dans les compétences des contrôleurs nous calculons que les recherches
devraient démarrer rapidement. En conséquence nous commençons par placer l'avion
en travers de traces qui ressemblent à une piste (repérée lors du choix du terrain)
et nous mettons en place éclisses et caches pour protéger le «Brou». Nous étudions
ensuite les procédures de survie "panneaux, fumigènes, miroirs, etc."
Les
panneaux de signalisation ont tendance à s'envoler sous l'effet du vent qui
souffle assez fort sur ce plateau. Il est vrai que nous sommes à un peu plus
de 2000 mètres d'altitude. Le premier gros caillou soulevé pour fixer un panneau
nous réserve une surprise, nous ne sommes pas seuls...les scorpions sont là également. Nous ne nous affolons pas
et nous installons notre signalisation.
Dans
le milieu de l'après-midi un avion de ligne traverse le ciel du Hoggar. Un saut
dans l'avion après avoir rebranché la batterie et appel de détresse sur V.H.F.,
peine perdue, personne à l'écoute, pas de réponse. Malgré une certaine angoisse,
apparemment bien maîtrisée par l'équipage, nos estomacs commencent à se manifester.
Première décision économiser l'eau (nous avons 30 litres en 3 jerricans de 10
litres et nous sommes optimistes sur la durée de la survie), deuxième décision
ouvrir une ration de secours. Une nouvelle surprise nous attend lors de l'ouverture
de la première boite bleue de survie collective : le contenu est un amalgame
innommable ; il semblerait que les tubes d'aliment "Mont-Blanc" aient
éclaté et que leur contenu se soit répandu dans la boite. Tout n'est pas fichu
mais ce qui reste utilisable n'est pas ce que nous attendons. Les pastilles
"toni-hydratantes", les comprimés de vitamine
C, et les pilules de purification de l'eau, dans leur emballage spécifique n'ont
pas souffert du mélange avec l'aliment de survie, mais c'est un peu juste pour
calmer notre faim. Vu le nombre de rations à notre disposition, nous décidons
d'ouvrir une deuxième boite. Ce n'est plus une surprise, cela tourne au cauchemar;
les tubes d'aliment "Mont Blanc" sont répandus dans la boite. Avant
d'ouvrir une troisième boite nous l'agitons et comme nous entendons les composants
s'entrechoquer, nous en déduisons que la ration de survie est en bon état, et
cela s'avère exact à l'ouverture de la boite.
Nous
sommes rassurés, mais le test effectué sur l'ensemble de notre dotation nous
informe que nous serons privés d'un tiers de nos "provisions". Autre
constatation, l'eau dans les bidons de dix litres est chaude et nous ne disposons
pas de gobelet pour boire. Les boites de rations de survie vidées de leur contenu
en feront office.
L'après-midi
s'avance, quand nous apercevons pas très loin de notre
position un groupe de bourricots. Cela ne nous choque pas car au cours de nos
R.A.V., autour de Colomb-Béchar et audessus du Grand
Erg, nous avons l'habitude d'en survoler, et nous pensons que derrière les ânes
il y a quelqu'un.
Curieux,
mais méfiants, nous empoignons qui la MAT 49, qui la carabine US et nous tentons
de nous approcher. Peine perdue, les bestioles s'enfuient au galop, mais cependant
nous remarquons qu'il n'y a pas d'humain avec elles.( Nous aurons confirmation plus tard de l'existence, dans
cette partie du Hoggar, de troupeau de bourricots sauvages)
Après
cet intermède asinien, nous nous préparons à passer notre première nuit à la
belle étoile. D'un commun accord, compte tenu des scorpions, nous décidons de
coucher dans l'avion. Nous démontons les sièges et les dégarnissons pour nous
faire des matelas. Nous utiliserons les panneaux de signalisation, inutilisables
la nuit, en guise de couvertures, car au mois de juillet dans le Hoggar, légèrement
au-dessous du tropique du Cancer, mais à 2000 mètres d'altitude, les nuits sont
fraîches.
Le
sommeil tarde à venir, malgré une sérénité apparente le stress de l'inquiétude
nous tenaille, pour le nav il s'agit de sa position
et du campement aperçu avant l'atterrissage, pour le pilote de la possibilité
de décoller depuis la position en tenant compte de l'altitude, du vent, de la
température, du poids de l'aéronef, et de la nature de la piste; tout cela doit
être dans les abaques du manuel technique mais le pilote n'a jamais eu l'occasion
d'en faire usage.
Chapitre 6 : "14 juillet"
A la première lueur du soleil levant qui commence
à blanchir l'horizon, nous sommes sortis de notre léger sommeil. Un "targui",
fusil en bandoulière, tenant un dromadaire par la bride, s'approche de l'avion
; ami ou ennemi ? Dans le doute nous empoignons discrètement nos armes et nous
restons immobiles. L'inconnu regarde à l'intérieur de la carlingue, fait demi
tour et s'en va. Nous sommes rapidement debout en nous demandant si notre
immobilité silencieuse a été la meilleure solution. Cet homme, à l'aspect militaire,
connaît sans doute la région et aurait peut-être pu nous aider.
Le
petit-déjeuner, ou du moins ce qui en tient lieu, un quart de tube d'aliment
de survie "Mont Blanc" par personne et quelques gorgées d'eau rafraîchie
pendant la nuit, est vite avalé.
Le
Ltt. T..... fait un premier constat ; la direction
du vent est à 90 degrés de celle rencontrée lors de l'atterrissage. Cela est
plutôt favorable car le plus grand coté du polygone sur lequel nous stationnons
est dans le même sens que le vent à cette heure très matinale. Un coup d'oeil
dans la documentation avion, confirme que, à
Au
cours de la matinée, nous voyons revenir vers nous, un targui qui doit être
notre visiteur de la nuit. La conversation est limitée, il a l'air de se rendre
compte que nous sommes des militaires en mission et que nous ne sommes pas là
de notre plein gré. Notre survie doit l'intéresser car il va nous faire découvrir
à proximité de notre "camp" la guelta d'Issakarassène.
Réserve naturelle d'eau potable, c'est aussi un but de voyage pour le "Touring
club de France" car nous découvrons une dalle de ciment sur laquelle nous
pouvons lire la date de leur dernier passage. Il y a même des poissons dans
l'eau de la guelta. Nous sommes rassurés par cette découverte, l'eau indispensable
à la survie ne manquera pas
.
La guelta d'Issakarassene
(Photo Marc Liaudon )
De
retour près du «Brou», le Ltt V est très décidé à
retrouver le campement de nomades repéré lors de notre atterrissage en campagne.
Quitter l'avion c'est se mettre en danger et en infraction avec les règles de
survie, mais si le campement est bien là, notre survie est définitivement assurée,
aussi nous mettons au point un code de transmission avec nos miroirs de signalisation.
Le Ltt V part donc à l'assaut du djebel et après un
bon crapahut il envoie le signal convenu "j'ai
trouvé le campement". Comme décidé, il poursuit pour prendre contact avec
les nomades. Il s'agit d'un camp de touareg, peu d'hommes, des femmes et des
enfants, des vieillards et oh surprise des françaises "petites soeurs du
Père de Foucauld" qui conformément aux règles de leur ordre, nomadisent
avec les Touareg. Cette bonne nouvelle est limitée par le constat de misère
profonde dans laquelle vit ce groupe. L'eau de leur guerba
est plus fraîche que celle des jerricans mais elle a un goût bizarre qui tire
sur la chèvre et le bouc. Le Ltt V revient au "camp" par une piste existante
qui lui évite une nouvelle ascension et qui permettra au Ltt
T de se rendre près des Touareg à son tour.
Dans
l'après-midi un jeune Targui nous rend visite et nous lui offrons un peu d'eau
qu'il boit difficilement car elle est plus que tiède et guère consommable en
dépit de l'addition de quelques gouttes de la menthe trouvée dans les rations
de survie. Il racontera cela aux petites soeurs qui
en informeront le Ltt T lors de sa visite.
L'arrivée
d'une Land-Rover sur la piste clôturera cette journée riche en rencontres de
toutes sortes. A bord du véhicule deux hommes habillés en touareg, ils se présentent,
ce sont Jean-Marie et Yannick dit Yaya, deux "Petits Frères du Père de
Foucauld". Le Commissariat à l'Énergie Atomique leur fournit la voiture
et les rémunère pour effectuer des relevés de pluie dans le Hoggar. Des pluviomètres
d'un type très spécial (lorsqu'une goutte d'eau entre dans le pluviomètre elle
entraîne une goutte d'huile qui se plaçant dessus empêche l'eau de s'évaporer)
sont installés dans la région qui entoure le rocher des essais nucléaires souterrains
et nos Petits Frères passent périodiquement pour en faire le relevé.
Nous
expliquons à nos visiteurs le pourquoi de notre présence insolite au milieu
du Hoggar, et nos besoins. Jean-Marie, vocation tardive, officier de marine
avant d'entrer dans les ordres, a tout de suite pigé. Il nous propose d'apporter
au poste militaire d'Idelès (50 km au nord
) un message à envoyer par radio au P.C. militaire de Tamanrasset. La
solution est acceptée d'emblée par l'équipage qui rédige un message succinct
demandant essence, huile, mécanicien pour remettre le «Brou» en état de vol.
Après
un dîner survie, la nuit fut plus calme que la précédente, le Ltt T priant le Dieu des aviateurs pour que ses calculs de
performances et ses estimations de distances et de force du vent soient exacts.
Chapitre 7 : "Vendredi 15 juillet"
Après
l'excitation de notre journée du 14 juillet qui s'était si bien terminée, l'attente
de
De
nouveau seuls les deux Ltt attendent l'arrivée du
mécano et du matériel. En fin d'après-midi, le soleil est déjà bas sur l'horizon,
quand, déboulant à toute vitesse, arrive la colonne du poste d'Idelès, avec en tête son chef, un Lieutenant méhariste. Petite
déception le mécano n'est pas là, et l'essence non plus. Nous sommes rassurés
par le chef de poste qui nous explique qu'il a foncé tout de suite pour passer
la soirée et la nuit avec nous et que le technique suit et sera là à temps pour
un décollage aux aurores.
Le
contact est très chaleureux et après avoir narré notre périple, nous acceptons
de grand coeur de partager avec les méharistes d'Idelès
la "shorba", plat traditionnel saharien,
fait de pâtes et de viande séchée, préparé par les militaires du poste. Un tel
événement ne pouvant se dérouler sans champagne, le Ltt
Chef de Poste sort une bouteille et nous assistons à une démonstration de refroidissement
par évaporation. Un militaire du poste entoure la bouteille d'un morceau de
"chèche" (grande écharpe de tissu léger portée par les sahariens),
l'arrose d'un quart d'eau, et met le tout en plein vent. A la fin du repas nous
dégustons un champagne frais et bien sympathique.
La
colonne d'Idelès s'est installée pour la nuit tout
autour du «Brou» et l'équipage s'est endormi pour une nuit bien plus calme que
les précédentes. Le Ltt T continue à se faire du soucis pour ses calculs de distances de décollage. Il pense
au lendemain, en espérant que la mécanique arrivera à temps et en se promettant
de vérifier les distances avec le compteur hectométrique de la Jeep du chef
de poste.
Chapitre 8 : "Samedi 16 juillet"
Le
soleil n’est pas encore levé, quand arrive notre mécanicien et le carburant.
Le plein est effectué et le «Brou» est préparé pour
le vol. Pour rester dans les limites des courbes, l’avion est allégé au maximum
par le Ltt V qui ne conserve que le strict minimum pour rejoindre
TAM.
Le
Ltt T accompagne le Chef de poste dans sa Jeep afin
de mesurer la portion de reg utilisable pour le décollage, le résultat est comparable
à la mesure faite au pas.
Après
les salutations d’usage à nos amis sahariens, l’équipage prend place à bord.
Le pilote effectue les vérifications techniques, met en route, contrôle le bon
fonctionnement au point fixe, et se met en place pour le départ. La procédure
de décollage utilisée est : « décollage mauvais terrain (sol dur + bosses),
piste courte », volets 15°, pompe essence sur marche. Comme prévu dans
les courbes du manuel et comme vérifié au point fixe
L’avion
est retenu sur freins pendant la mise de gaz. Au lâcher des freins et dès le
début du roulage le Ltt T. s’efforce de lever la roulette
de queue en maintenant l’avion au sol jusqu’aux environs de 60kts, et de décoller.
Cela se passe bien jusqu’à 60, 62kts, mais le badin refuse de grimper davantage
pendant le palier à quelques mètres du sol. Il faut attendre de très longues
secondes pour que noeuds par noeuds la vitesse daigne augmenter et prendre une
valeur compatible avec l’exécution d’un virage en montée. Nos amis au sol sont
très inquiets de nous voir partir cap au nord alors que TAM est au sud. L’explication
tient dans le profil du terrain qui monte aussi vite que le «Brou». Enfin nous
prenons quelques mètres de hauteur et les 75kts nécessaires, montée, virage
de 180° et passage basse altitude au-dessus de la colonne d’Idelès
en battant des plans et mise de cap sur AGUENAR qui doit être à une cinquantaine
de miles. Le trajet nous parait extrêmement court et nous sommes soulagés d’entendre
les consignes données par la tour de contrôle.
Atterrissage
sans problème, et nous roulons pour rejoindre le parking militaire où se trouve
le «Brou» de OUARGLA. Contrordre, la tour nous demande
de nous rendre près des citernes d’essence pour faire le plein. Nous obéissons
et nous nous dirigeons vers le parking civil à l’emplacement de la Société pétrolière.
Pendant que le pilote s’occupe de compléter les réservoirs le Ltt. V. se rend
près des aviateurs qui nous attendent au parking militaire. Après les pleins
et les formalités administratives, le Ltt. T. remet en route et roule vers l’emplacement
qui lui est réservé.
Quiconque
pourrait croire que l’aventure est terminée se tromperait car une balise de
chemin de roulement a brutalement surgi de la latérite et est venue frapper
l’hélice du pauvre Broussard qui passait juste au dessus. En vérité le pilote
a été trompé par ce type de balise utilisée sur certains terrains sableux ;
pour éviter l’ensablement de la balise, le tronc de cône qui porte le globe
lumineux est fixé sur une tige métallique qui dépasse du sol de 40 centimètres
environ ; une chose est certaine elle n’est pas compatible avec la garde au
sol de l’hélice du BROU. Le vaillant coursier est donc cloué au sol jusqu’à
ce que la mécanique le dote d’une nouvelle hélice.
La
mise en place à Tamanrasset est terminée et l’équipage qui rêve d’un bon repas
s’installe à l’hôtel Transatlantique où régnait à l’époque un certain"
Jeannot".
Epilogue :
Pourquoi les recherches n’ont elles pas commencé plus
tôt ?
Quand le contrôleur d’In Salah
a demandé le " Request
arrivée", (Le terrain de départ demande
au terrain d'arrivée si le «Brou» est arrivé) par radio H.F. en phonie, via
El Goléa parce que ça ne passait pas en direct sur
Tam, il y a eu parait il une confusion avec le «Brou» de Ouargla qui venait
d’arriver. Le controleur d’In Salah croit donc que
nous sommes posés à Tamanrasset.
Les recherches auraient elles eu lieu ?
Oui, car le Ltt. E. du G.S.R.A.
76, un peu fatigué d’effectuer seul les missions de la DIRCEN, a fait demander
à Colomb-Béchar, par réseau militaire, la date d’arrivée du «Brou» du G.S.R.A.
78 et du chef de DETAM.
Le rôle du Père de Foucauld dans cette aventure ?
Le Ltt. T. a pratiqué le scoutisme
dans un groupe qui portait ce nom et une de ses amies d’enfance est entrée en
religion dans cette congrégation. Elle est morte en créant une léproserie à
la frontière du Cameroun et du Tchad. Malgré un profond scepticisme pour ce
genre de coïncidence et de manifestation extra terrestre, le Ltt. T. a un grand
respect pour ce Saint Ermite, ancien militaire, et pendant son détachement a
fait un pèlerinage de remerciements à l’Assekrem dans le HOGGAR et dans son Bordj de Tamanrasset.
Ermitage du Père de Foucauld
à l'Assekrem
Au dos de cette photo offerte
par le Frère Jean-Marie, celui-ci avait écrit :
"La terre est au Seigneur,
et tout ce qu'elle renferme : soit donc que vous mangiez, soit donc que vous
buviez, ou quelqu'autre chose que vous fassiez, faites
tout pour la gloire de Dieu." Saint PAUL.
Jean-Pierre
TRÉARD