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11 novembre 1918 :
le Breguet 14 de l’Armistice


Le Breguet 14 est un des instruments de la victoire finale alliée ainsi que l’avion de l’Armistice.

Le matin du 11 novembre 1918 un pilote français décolle de Tergnier (Aisne) avec pour passager un plénipotentiaire allemand à destination de Morville, en Belgique occupée, pour porter les clauses de la convention d’armistice, nouvellement signées, à Spa au Grand Quartier Général allemand.

En septembre 1917 le Breguet 14 commence à entrer en service pour équiper durant 1918 un total de 87 escadrilles. Cet appareil biplace, solide et bien motorisé, a deux versions : l’A2 consacrée aux missions d’observation et de reconnaissance, la B2 au bombardement.

Durant l’automne 1918 l’Empire allemand est affaibli à la fois par la contre-offensive de l’armée française et de ses Alliés, les défaites ottomane et autrichienne ainsi que la révolution intérieure allemande. Le 4 octobre 1918, le chancelier allemand adresse à la France une demande officielle d’armistice (arrêt des combats). Les négociations sont menées de manière bilatérale entre le gouvernement allemand et le président américain Wilson. À partir de la fin du mois d’octobre le chef d’État Raymond Poincaré (président de la République), le chef de gouvernement Georges Clemenceau (président du Conseil), conseillés par le commandement militaire dirigé par le maréchal Ferdinand Foch (commandant suprême des forces alliés sur le front ouest), se mettent d’accord au sein du Conseil supérieur de Guerre sur un texte qui est transmis le 4 novembre au gouvernement allemand.

Lorsque le chef de l’escadrille BR 35 sollicite Minier...

Le 7 novembre, des plénipotentiaires allemands franchissent le front et entrent en France. Parmi ceux-ci se trouve le hauptmann (capitaine) Hermann Von Geyer. Le lendemain le capitaine Jacques Bignon, chef de l’escadrille BR 35, informe un de ses pilotes, le lieutenant Gustave Minier, qu’il va remplir une mission confidentielle :

« Vous êtes à la disposition du Grand Quartier Général, il se pourrait que vous ayez à transporter au-delà des lignes des plis ou des parlementaires. Il importe donc que votre avion soit prêt à prendre l’air à tout instant, vous-même ne devez vous absenter sous aucun prétexte. »

Né en 1888, Minier a obtenu son brevet de pilote fin 1912. Cet aviateur expérimenté a en 1914 livré en vol des avions neufs destinés au front. En 1915, devenu instructeur, il a formé des élèves pilotes. Minier a été affecté en septembre 1916 à la Mission française en Roumanie. Il fait partie de l’escadrille BR 35 depuis le 30 juin 1918.

La voie aérienne est choisie, même si elle présente des difficultés de navigation avec un ciel peu dégagé, pour tripler les chances de faire parvenir la convention d’armistice jusqu’au Grand Quartier Général allemand de Spa. Les trajets automobile et ferroviaire semblent compromis par les tirs d’armes, les trous de bombes dans le sol et les ponts coupés.

L’escadrille 35 est rattachée à la 1ère Armée depuis octobre 1918. Créée fin 1914, cette unité arienne déplore une vingtaine de morts parmi ses rangs et compte trois victoires aériennes homologuées. Ayant séjourné dans une quarantaine de lieux successifs, elle stationne depuis le 28 octobre 1918 à Tergnier (Aisne). Un Breguet 14 est aménagé pour accomplir cette mission historique.

Profil couleur du Breguet 14 modèle A2 n°5546. Son fuselage, camouflé, est orné d’une croix de Lorraine sans écu. Ont été retirées la mitrailleuse Vickers fixe, tirant vers l’avant à travers l’hélice, et les deux Lewis montées sur tourelle à l’arrière du fuselage. Une banderole en tissu blanc est accrochée à chaque mat extérieur des ailes.

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Prêt, Minier attend l’ordre de départ durant deux jours

Le 9 novembre 1918 paraît un ordre de mission signé du général Marie-Eugène Debeney, commandant la 1re Armée : « Il est ordonné au lieutenant Minier de se rendre par la voie des airs, sur avion Breguet, à Morville, pour y déposer le capitaine Geyer, parlementaire de l’armée allemande. Il rentrera par la voie des airs à son terrain de départ, sa mission terminée ». La ville de Morville se situe en Belgique occupée, à environ 130 km de distance à vol d’oiseau de Tergnier.

À une quarantaine de kilomètres au nord-est de Rethondes se situe le terrain d’aviation de Tergnier. Le téléphone sonne dans la tente du capitaine Jacques Bignon et des deux lieutenants Gustave Minier et Henri de Puybaudet. Bignon décroche le combiné et s’exclame : « Ah ! Bravo ! ». Puis, il se retourne vers ses pilotes et leur crie tout à sa joie : « C’est fini, les enfants, l’armistice est signé ! » Après avoir raccroché, Bignon précise à Minier : « Un parlementaire allemand vient du Grand Quartier Général, vous partirez avec lui dès son arrivée, prenez vos dispositions. »

Dans la nuit du 10 au 11 novembre 1918 la fin de la guerre est actée dans une voiture de chemin de fer stationnant dans une clairière de la forêt de Compiègne (Oise), non loin de la gare de Rethondes, située près du front et du quartier général allié. La délégation allemande, après avoir traversé les lignes alliées, est accueillie par le maréchal Foch. Les conditions imposées à l’Allemagne sont la remise d’une grande partie de son armement et de son matériel ferroviaire, l’évacuation de tous les territoires occupés, l’occupation par les Alliés de la rive gauche du Rhin.

Le 11 novembre, à 5 h 15 du matin, les plénipotentiaires apposent leurs signatures sur la convention d’armistice qui met fin aux hostilités.

À l’aube, le Breguet 14 est sorti de son hangar malgré la brume. Vers 7 h 30 du matin, une voiture se présente. En sort le hauptmann Hermann von Geyer qui est accompagné par un capitaine de gendarmerie français. Von Geyer, francophone et représentant de l’armée allemande, est porteur du texte de la convention d’armistice.

Von Geyer est accueilli par le capitaine Pierre Hély d’Oissel, commandant le secteur aérien, et par le capitaine Bignon. Ce dernier lui présente Minier qui va lui servir de pilote. Pendant que le moteur du Breguet tourne au ralenti, Minier prend place dans le cockpit. Von Geyer adresse des mots de remerciements aux officiers qui l’ont accompagné puis s’assoit à l’arrière du fuselage à la place de l’observateur.Carte des vols suivis par le Breguet 14 de l’Armistice.

Carte des vols suivis par le Breguet 14 de l’Armistice.

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Des conditions de vol difficiles

L’équipage franco-allemand décolle. Minier prend la direction du nord-est en volant à environ 800 m d’altitude. Cependant, la visibilité est réduite à cause de la pluie et des nuages. Minier descend jusqu’à 300 m pour franchir les lignes françaises :

« Pas un coup de canon, pas un coup de fusil ne saluèrent mon passage comme à l’habitude. Étais-je protégé par les grands fanions blancs qui flottaient au bout de mes mâts ou bien l’ennemi, trop occupé à battre en retraite, ne prenait-il pas la peine de tirer sur cet avion qui le survolait aussi bas ? Je ne sais, mais c’était pour moi un véritable plaisir de regarder sur toutes les routes les interminables convois remontant vers le Nord. »

Le Breguet ne vole plus qu’à 150 m d’altitude lorsque Minier s’aperçoit que Morville approche. Un autre avion vient alors à sa rencontre. Minier le suit en pensant que c’est un appareil allemand qui lui indique le sens pour atterrir mais, au lieu de se laisser approcher, ce dernier fuit. Minier délaisse sa carte et s’aperçoit que c’est un autre Breguet 14, appartenant à l’escadrille BR 202, dont l’équipage relève le jalonnement des premières lignes. Les deux avions se suivent quelques minutes puis se séparent.

S’étant écarté du trajet prévu, Minier tente de reconnaître sa route à la boussole mais la navigation est ardue car les conditions météorologiques sont difficiles et il est difficile de se repérer au-dessus de la région qui est boisée.

Comprenant qu’il est perdu, Minier se pose près d’un puits de mine en bordure des faubourgs d’une ville parsemée de cheminées d’usines. L’avion finit tout juste sa course au sol qu’il est déjà entouré par un groupe de mineurs, de femmes et d’enfants. Minier demande où il se trouve et les gens comprennent qu’il est français :

« Ce fut alors imaginable. La joie de toute cette foule explosa. Les coiffures volaient en l’air, tous criaient : « Vive la France ! » Des femmes s’approchaient en pleurant et j’eus grand peine à obtenir les renseignements que je désirais, tant les questions se pressaient et se croisaient. Derrière moi, mon passager restait impassible mais il était très pâle ! »

Après de longues discussions, Minier réussit à se faire indiquer qu’il se trouve à Charleroi et la direction approximative de Morville. Il reprend son vol.

C’est alors qu’un deuxième incident mécanique survient : « Je volais à nouveau depuis quelques minutes lorsque mon moteur se mit à baisser de régime et à cracher d’énormes flammes rouges. Il m’était impossible de continuer sans risquer l’accident et c’est la rage au cœur que je fus contraint d’atterrir, désespérant de mener à bien ma mission et décidé à confier mon passager à une automobile qui l’emmènerait à destination. Ce second atterrissage, de fortune, une fois encore, se passa bien et je pensais que j’étais vraiment servi par la chance. »

Après avoir découvert la panne, Minier réussit à la réparer. Il effectue son troisième décollage de la journée pour enfin atterrir à Morville.

Le courrier le plus important de la guerre arrive

« Ma mission était accomplie et ma joie était grande ; toutefois, mes déboires n’étaient pas terminés. Pendant que mon passager quittait l’appareil, l’officier qui l’attendait m’invita aimablement – et en excellent français – à descendre pour me réconforter avant de prendre le chemin du retour. Je déclinai courtoisement son invitation, lui disant que j’avais ordre de rejoindre sans délai. Le capitaine von Geyer me remercia alors de l’avoir transporté et me pria de transmettre sa gratitude au commandant du secteur et au chef d’escadrille qui l’avaient accueilli sur le terrain de Tergnier. »

Von Geyer quitte Minier pour continuer le trajet en automobile depuis Morville. Il accomplit une centaine de kilomètres avant d’arriver à Spa, située à dix kilomètres de la frontière allemande, pour transmettre les clauses de la convention d’armistice au GQG de l’armée allemande.

Sur le front ouest, les clairons sonnent le cessez le feu à la onzième heure du onzième jour du onzième mois de l’année 1918.

La Première Guerre mondiale est officiellement finie après 1 567 journées (soit 4 ans, 3 mois et 14 jours) qui ont fait dans le monde un total de 18 millions de morts, dont 1 400 000 français.

Minier passe la première nuit de paix en territoire allemand, dans un lit de camp à côté du Breguet 14

Pendant ce temps, Minier n’arrive à remettre en route le moteur de son avion récalcitrant. Il est aidé par des mécaniciens allemands et un Alsacien. Ce dernier lui sert d’interprète pour demander à l’officier allemand, commandant le détachement, de faire prévenir le GQG français qu’il ne peut repartir. Après avoir fait démonter les bougies du moteur, Minier se prépare à passer la première nuit de paix en territoire allemand. Il réussit à trouver le sommeil dans un lit de camp placé près du Breguet 14 dans un hangar.

Le matin du 12 novembre Minier voit le moteur de son avion redémarrer. Il décolle et le voyage retour vers Tergnier se passe sans histoire. Surnommé le « postier de la paix », Minier reçoit le 14 novembre une citation à l’ordre de l’aéronautique : « Excellent pilote et officier, s’est distingué le 11 novembre 1918 en emmenant par très mauvais temps un parlementaire ennemi dans ses lignes. »

En 1968, à l’occasion du cinquantenaire de la fin de la guerre, Minier ressuscite ainsi les événements : « Je courus au hangar où s’abritait mon vieux Breguet et je donnais l’ordre à mon mécano, absolument ahuri, d’enlever les mitrailleuses et de placer à chaque extrémité des ailes de grandes flammes blanches, découpées dans un drap. » Ces banderoles en tissu doivent empêcher les tirs ennemis.

L’armée française dispose alors de l’aéronautique militaire la plus puissante au monde avecplus de 3 000 avions en première ligne répartis en près de 300 escadrilles.

Les photographies du départ sont publiées par L’Illustrationles 16 et 23 novembre 1918. Un attroupement de militaires, aux tenues variées, observe le Breguet 14 et son équipage franco-allemand. À gauche le pilote, le lieutenant Gustave Minier, vu de dos avec une combinaison, un bonnet et des lunettes de vol. Au centre le plénipotentiaire allemand, le hauptmann (capitain) Hermann von Geyer, avec une casquette et le col de sa capote relevé. À droite coiffé d’un képi le capitaine Pierre Hély d’Oissel, commandant le secteur aérien.

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