Biographie résumée du Général de Corps Aérien André HARTEMANN
Né
le 23/07/1899 à Colmar ( Haut-Rhin )
Disparu
en mission aérienne en Indochine (Haut Tonkin)
le
28 Avril 1951, Mort pour la France et le Vietnam.
Il est des destins qui sortent de l’ordinaire et qui pourtant restent d’une grande discrétion : ainsi celui du Général d’Aviation André HARTEMANN. Peu connue de sa propre famille, cette existence fulgurante ne dura qu’à peine plus de 50 ans.
André Hartemann naquit juste avant le début du XX° Siècle dans une vieille famille alsacienne de Colmar profondément catholique et farouchement patriote française, venue de Bade et d’Autriche avant le XVII° Siècle pour s’implanter dans le Sundgau après avoir traversé le Rhin.
Son père Edmond, magistrat, mourut très jeune en Lorraine où
la famille s’était repliée après la guerre de 1870, le laissant chef de famille,
aîné de trois garçons, affronter les difficultés de la vie. Il était au Lycée
de Nancy quand éclata la 1° Guerre Mondiale.
Le jeune Officier.
Puis Saint-Cyr en 1917, et le front de la Somme dans les dernières semaines du conflit.
Jeune Officier de Tirailleurs Marocains dans un régiment d’occupation, il vécut directement les évènements souvent tragiques du chaudron bouillonnant de la Haute-Silésie mal partagée entre Allemands et Polonais en 1919, avant de rejoindre le Maroc pour les opérations de pacification de la tache de Taza et du Rif (1924 à 1926).
Il entra à l’Ecole de Guerre en 1929, puis fut nommé officier d’Etat-Major à Oran en 1930, où son goût déjà affirmé pour l’Aviation lui fit passer le Brevet d’Observateur en avion.
Après un temps de commandement dans un régiment de Tirailleurs Algériens à Constantine, le Capitaine Hartemann rejoignit à l’automne l’Etat-Major de la V° Région Aérienne à Alger. Il était enfin entré dans le saint des saints, le pays des hommes volants ! ! !.
Le
capitaine André Hartemann, à Oran la Sénia, devant un
Potez 25 TOE en juin 1936.
A partir de ce moment, il consacra toute son énergie à organiser les forces aériennes dans tous les postes qu’il occupa. Et cela fut varié !
Il participa largement à l’organisation et à la répartition des bases aériennes dans toute l’Afrique du Nord, en liaison avec l’Afrique Noire française, et avec les Britanniques de la R.A.F. à Malte et en Egypte.
Il était devenu le conseiller écouté des grands chefs de l’Armée
de l’Air en Afrique, ce que beaucoup d’aviateurs pur jus trouvaient très bizarre :
pourquoi donc ce jeune Capitaine de Tirailleurs avait-il l’oreille des grands
patrons de l’Aviation, se demandaient les artistes du manche à balai ?
La Guerre 1939-1945.
Puis survint la crise de Munich, et un an plus tard la drôle de guerre en 1939 qui vit le Capitaine Hartemann aux premières loges dès l’automne 1939, au Cabinet militaire du Ministre de l’Air Guy La Chambre.
Mais ce travail de bureau lui convenait mal, il pensait que sa place était plutôt au feu, au contact des réalités de la guerre qui allait devenir plus active. Début 1940, il obtint d’être muté dans l’Armée de l’Air et de passer son Brevet de pilote.
Nommé Commandant, il partit sur sa demande dans une unité combattante en mai 1940, pour commander en second le Groupe de Reconnaissance I/22, basé à Metz-Frascaty.
Pendant la débâcle de Juin 1940, il rapatria en moins d’une semaine tous les camions de l’échelon roulant du Groupe de Metz à Istres sur plus de 1.000 kilomètres de routes encombrées par la gigantesque pagaille de l‘exode, traversant la France du Nord-Est au Sud, sans perdre un seul véhicule et en trouvant en route de l’essence et de la nourriture ! ! ! !
Ce qui était une performance remarquable dans le foutoir de
l’époque, au milieu de millions de gens qui allaient à pied, à cheval, en
voiture ou n’importe comment, dans tous les sens, sur les routes étroites
et souvent seulement empierrées de l’époque.
Puis, après avoir failli partir à Malte continuer le combat chez les Anglais, il commanda le Groupe I/22 replié au Maroc, sur la base de Rabat-Salé.
Ce fut un beau commandement dans des circonstances difficiles, malgré la surveillance tatillonne des Commissions d’Armistice italiennes et allemandes, interrompu brutalement le jour où un avion du Groupe fila subrepticement à Gibraltar : désertion, dit-on !
Relevé immédiatement de son commandement, il fut soustrait à la curiosité des occupants et camouflé à la base aérienne d’Oran-La Sénia, où il se mit à compter des boulons dans un magasin de stockage ! ! C’était quand même plus confortable qu’un Oflag en Poméranie !
Quelques mois plus tard, les Italiens s’occupant d’autre chose, il fut récupéré discrètement à l’Etat-Major de l’Air à Alger, à la Redoute.
Là, le Commandant Hartemann reprit en main le 3° Bureau qu’il connaissait bien, celui qu’il avait quitté à peine deux ans auparavant à l’automne 1939.
Il cherchait les moyens de remettre l’Aviation dans la guerre dès que l’occasion s’en présenterait. En attendant, pour maintenir le moral des troupes, il inventa des stages de montagne et de ski dans le massif du Djurdjura, avec l’appui technique du Club Alpin Français, et des sorties genre « scout » sur les plages de Sidi-Ferruch et alentour, au cours desquelles on faisait beaucoup de topographie appliquée et d’étude de sable mouillé, tout en notant les points de repère utiles pour un éventuel débarquement, comme en 1830 ! ! !
Vint alors le débarquement allié du 8 Novembre 1942.
Ayant déjoué les ruses d’un groupe de curieux combattants de l’ombre voulant occuper l’Etat-Major de l’Air, il rejoignit les gros des Officiers d’Alger au Fort-L’Empereur où il fut blessé par un obus de mortier.....américain !
Réveillé par hasard sur son brancard traînant dans un couloir de l’Hôpital Maillot, il exigea d’être opéré sur le champ et finit encore vivant, mais de justesse, dans une chambre du Pavillon des Officiers.
A peine trois semaines après, claudiquant et râlant, il débarqua brutalement à son bureau : surprise énorme des occupants des lieux ! !
Mise au point rapide et efficace, et le travail reprit : un travail énorme pour remettre dans la guerre du bon côté, celui des combattants, tous ces aviateurs sans avions modernes, sans aucun équipement, sans moral, et plutôt déboussolés par les évènements récents. A qui obéir et à qui faire confiance ? De Gaulle, Giraud ? Attendre ? Que faire ?
Au bout de quelques mois, quittant ce panier de crabes d’où rien ne sortait, le Commandant Hartemann obtint le Commandement de l’Aviation de Débarquement, avec mission de créer le 1er Régiment de Parachutistes à Fez ( Maroc ), avec personne comme personnel et rien du tout comme équipement, en particulier ni parachutes ni avions ! ! Ce qui n’était pas très commode !
Il réussit cependant la gageure, et put passer son Brevet de Parachutiste ( n° 785 ), avant de remettre en Mai 1943 son drapeau au Régiment et le commandement au Commandant Sauvagnac, puis de retourner en tant que Lieutenant-Colonel à l’Etat-Major à Alger où il était fort demandé.
La période suivante fut encore plus intéressante : membre français de la Joint Air Commission, il travailla d’arrache-pied avec les Américains, les Anglais, Canadiens, etc...au rééquipement complet de l’Armée de l’Air en avions, équipements, formation des personnels volants et techniques à terre, etc... pour créer le plus vite possible des unités opérationnelles pouvant tenir leur place à côté de celles des Alliés.
Il fallait en outre amalgamer les gaullistes aux giraudistes, les gens d’Angleterre à ceux d’Afrique du Nord et d’ailleurs, empêcher les jalousies et les coups tordus, ce qui n’était pas la plus mince affaire !
Finalement, jusqu’à la Libération de la métropole, l’Aviation française put tenir très honorablement, bien qu’encore modestement, son rôle et se distingua même en de nombreuses circonstances, à l’étonnement des Alliés.
En particulier, le Colonel Hartemann participa largement à l’organisation de nombreuses missions de parachutage sur les maquis de la Résistance française, dont ceux du Lot, et se joignit même à plusieurs expéditions en bombardier américain B17 « Forteresse Volante » dont une nuit il faillit ne pas revenir (ainsi qu’un Général américain qui l’accompagnait), l’appareil ayant eu deux moteurs sur quatre en panne !!! La réception au retour chez le Général Eisenhower fut paraît-il assez animée !!
Après le 6 Juin 1944, la Libération vit peu à peu les forces aériennes quitter l’Afrique pour rentrer en Métropole, au fur et à mesure de l’avance des lignes de front. L’Etat-Major rentra à Paris, et se réinstalla dans ses murs du Boulevard Victor.
Le Colonel Hartemann continuait fougueusement son travail d’organisateur,
au Plan et au Service de Liaison Interallié. Toujours l’équipement des unités
encore en guerre et l’organisation future de l’Aviation de temps de paix.
L’après-guerre.
En Juin 1945, André Hartemann est nommé Général de Brigade. Pendant l’été, il fait une tournée aux Etats-Unis en tant que représentant personnel du Général De Gaulle pour décorer de nombreux aviateurs américains s’étant distingués aux côtés de l’Aviation Française sur tous les fronts alliés.
En Octobre, il signe à Londres d’importants accords financiers avec la R.A.F. pour l’équipement moderne de l’Armée de l’Air dans les années à venir : ce sont les accords Hartemann-Dickson.
En Décembre, il part en Allemagne occupée prendre le commandement de la 1° Division Aérienne à Lahr im Baden .
Il en profite pour organiser encore, et mettre en ordre de temps de paix les forces aériennes opérationnelles, et créer en outre l’Ecole d’Appui Aérien de Lindau.
En Septembre 1946, il retourne à Paris, comme chef d’Etat-Major, devenant ensuite Major Général. Il peut alors mettre vraiment en oeuvre ses conceptions modernes d’organisation inspirées des exemples vécus au contact des Alliés, beaucoup plus pragmatiques que les Français. Il a comme adjoints entre autres les Colonels Challe et Jouhaud.
Il va sans dire que la résistance bien française au changement
est alors particulièrement tenace, et provoque un certain nombre de crises
dans les bureaux et entre les équipes qui se surveillent soigneusement du
coin de l’oeil au coin des couloirs.
En Août 1949, le Général de Division Aérienne Hartemann est nommé Directeur du Centre d’Enseignement Supérieur Aérien (CESA) et Commandant de l’Ecole Supérieure de Guerre Aérienne. Là, il va encore faire montre de ses grandes capacités d’organisateur et de pédagogue, donnant souvent des conférences dans lesquelles il défend ses vues sur l’organisation d’une Aviation moderne, puissante et souple, toujours adaptable aux circonstances et aux impératifs de la politique de Défense de la France.
Il va sans dire qu’il n’a pas que des admirateurs du côté du
Boulevard Victor, bien contents qu’il ne soit pas à un ou deux bureaux du
leur dans le même couloir !
Malgré tout l’intérêt qu’il porte à son travail de formation des futurs grands chefs de l’Arme, il piaffe plus ou moins inconsciemment de l’envie de repartir sur le terrain, pour commander des hommes, si possible au combat.
Mais à cette époque-là, il n’y a qu’une seule occasion possible :
l’Indochine.
L’Indochine .
Justement, le titulaire, le Général Bodet arrivant en fin de séjour, le Général Hartemann fait acte de candidature.
Le 1er avril 1950, il est nommé Commandant des Forces Aériennes Françaises en Extrême-Orient, à Saïgon.
Quelle est donc la situation qu’il va trouver dans cette région du Monde qu’il ne connaît pas encore ?
En cette première moitié de l’année 1950, la Guerre Froide qui fait rage en Europe frappe aussi violemment l’Asie dans une guerre de Corée qui n’est pas froide du tout !
La Chine rouge termine ses opérations de bordement
de sa frontière Sud sur la frontière
tonkinoise de l’Indochine, et au Nord elle alimente largement la guerre de
Corée qui a embrasé les confins asiatiques. Les Américains commencent à se
rendre compte, dans les larmes et dans le sang de leurs GIs,
que le communisme international joue là une partie d’échecs planétaire dans
laquelle ils ne sont pas très à l’aise. Déjà ! !
Les opérations de pacification en Indochine française se passent plus ou moins bien, avec des moyens dérisoires, les influences politiques contradictoires et apparemment brouillonnes des professionnels de la IV° République gênant considérablement les militaires sur le terrain. On parle plus ou moins ouvertement de trafics, de combines, de toutes sortes d’histoires louches se déroulant à la faveur de la pagaille inhérente à une situation de guerre.
Personne ne voit plus comment la France va pouvoir gagner un
combat de plus en plus incertain, ou même comment elle pourra conserver ses
positions et son prestige en Asie déjà bien entamés depuis 1940 où elle a
perdu la face devant les peuples asiatiques.
Le Général Hartemann se prépare donc pour son futur séjour outre-mer dès qu’il apprend qu’il va être désigné.
Il décolla le Mercredi 29 Mars 1950 pour Saïgon par le vol régulier d’Air-France, sur un Lockheed Constellation au départ d’Orly.
Son séjour en Indochine qui n’allait durer qu’à peine plus d’un an, commença dans une ambiance étouffante par la suspicion créée volontairement autour de sa personne par son prédécesseur et quelques autres bons camarades du Boulevard Victor, plus rapides pour le dénigrer auprès du futur Commandant en Chef, le Général de Lattre de Tassigny qu’à faire leur travail et lui envoyer les hommes et le matériel dont il avait un besoin impératif.
Mais sa compétence remarquable, son sens aigu d’un commandement humain et ferme, ses capacités d’adaptation instantanée à toutes sortes de situations tactiques difficiles, son esprit d’organisateur hors-pair, voire ses relations à très haut niveau chez les Américains, etc... lui rendirent rapidement la confiance du Général de Lattre qui put le « juger sur pièces », par exemple lors du pont aérien de Lai-Chau ou de la bataille de Vinh-Yen (Janvier 1951).
Le
général André Hartemann et le général de
Lattre de Tassigny devant un MS 500 Criquet en 1951.
Après la mort tragique et brutale de son épouse, décédée d’une pancréatite hémorragique le 6 Mars 1951 à l’Hôpital Grall de Saïgon, il organisa et dirigea ses funérailles en Alsace.
De retour en Indochine dès le début Avril 1951, il se lança à corps perdu dans un travail gigantesque sur un rythme endiablé. Il était partout à la fois, décidant, vérifiant, secouant l’inertie des uns et la mauvaise volonté des autres, toujours sur la brèche.
Souvent en mission aérienne avec ses équipages du Transport
ou du Bombardement, il supervisait aussi en arbitre les exercices des groupes
de Chasse, quand il n’allait pas inspecter les travaux d’aménagement des bases
aériennes, ne laissant aucun répit à personne. Son Etat-Major n’avait pas
le temps de souffler, ses adjoints tentaient difficilement de suivre sa cadence
infernale.
« Le Patron », comme disait ses aviateurs, partit pour Hanoï à l’aube du 27 Avril, pour participer le lendemain, samedi 28 Avril, à une journée d’opérations : d’abord une reconnaissance aérienne sur la Frontière chinoise en B26 Invader de reconnaissance armée, puis l’arbitrage d’un exercice de straffing avec B26 et Chasse coordonnés dans la région entre Hanoï et Haïphong.
Venant de Hanoï le matin , il déjeuna
au Mess de la base de Cat-Bi, puis embarqua à bord d’un Bombardier B26 Invader pour les exercices prévus.
L’avion décolla normalement à 13h 15, et depuis nul ne l’a jamais revu et on n’a jamais rien retrouvé.
On n’a jamais su ce qui lui était arrivé.
L’avion était neuf, le pilote, le meilleur et connaissant parfaitement la région à traverser, le temps potable.
Le B26 s’est sans doute crashé près de Cao-Bang, l’équipage tué, les restes enterrés rapidement, l’épave de l’avion très vite démontée et camouflée dans la jungle tonkinoise.
Des recherches commencées immédiatement sur l’itinéraire prévu et ses abords ne montrèrent strictement rien du tout. Les agents infiltrés en zone Viet-minh ne dirent rien de bien précis.
Il y eut ensuite quelques vagues témoignages de prisonniers français qui ne purent jamais expliquer véritablement ce qui s’était passé.
Aucune explication des causes de cet évènement ne put jamais être formulée : accident mécanique, erreur du pilote, sabotage, autre chose ? Mystère !
Puis quelques jours après, le silence retomba rapidement et pour toujours sur ce fait de guerre somme toute assez banal, à part qu’un Officier Général, ayant un commandement important sur un théâtre d’opérations, avait disparu corps et biens avec trois autres personnes sans émouvoir particulièrement les responsables français, civils ou militaires.
Il est bien sûr beaucoup plus commode de laisser toute cette affaire tomber dans l’oubli, même si par cette attitude il n’est pas rendu justice à un grand chef qui alla jusqu’à donner sa vie pour sa Patrie, sans faiblesse et en toute connaissance de cause. Ce qui n’est quand même pas très courant !
Plaque
en hommage au général André Hartemann, à Saïgon
(base de Tan Son Nhut).
Le présent texte rédigé par les trois enfants du Général,
d’après des documents officiels, quelques souvenirs écrits de leur père et
quelques témoignages de personnes encore en vie, n’a que la prétention de
lever un petit coin du voile de l’oubli afin que ceux qui l’ont aimé et connu
se souviennent encore un peu de lui. Et que ceux qui ne l’ont pas connu sachent
qu’il fut un grand chef, un vrai patriote et un bon chrétien.
Philippe HARTEMANN
(fils aîné du Général)
Louchapt
Mars 2001.