FAIDIDE Auguste
S /Lieutenant
Pilote-aviateur, Escadrille SO-107


En cas de décès, prière d’envoyer le présent carnet à ma famille :
Monsieur et madame Faidide
60 rue Pontcottier
Bourgoin (Isère)

Le Cateau le 2 Aout 1917

Préface de l’auteur
Ce carnet ne sera point un carnet de route comme nos pieux ancêtres officiers napoléoniens avaient coutume d’en tenir un au cours de leurs folles épopées. Non, ce ne sera simplement qu’un carnet, un humble carnet aide-mémoire, écrit par un moi non moins humble et pauvre Sous-Lieutenant aviateur prisonnier.
Lieutenant depuis le 17 juillet 1917, je ne commence mon pauvre roman qu’aujourd’hui 2 aout 1917, date mémorable et de triste mémoire. Il sera probablement fort décousu, le style ne sera point recherché, ce ne seront peut-être que de simples phrases tristes ou laconiques qui ne pourront, je crois, jamais assez peindre le spleen, l’ennui dans lesquels se morfond le malheureux captif.


Page1 du carnet. (Début du récit)
2 aout 1917- Je résume. Parti de Pierrefond le 17 juillet 1917 aux environs de 14h de l’après-midi, j’avais l’intention d’aller atterrir à F… dans la Somme. Je pilotais un monoplace Sopwith. Bref, je prends l’air dans des circonstances que je ne peux relater dans ce carnet. Temps épouvantable, nuages excessivement bas. Je veux profiter d’une éclaircie ; je file droit vers le nord, au-dessus de l’Aisne la pluie m’aveugle. Je passe au-dessus l’orage et file toujours vers le nord sans savoir que je me laissais dériver vers l’Est ; bref au bout de 5 minutes, je revois le sol, pas de carte, je ne sais où je me trouve. J’aperçois un avion, je vais au-devant de lui, c’est un Sopwith biplace marchant moins vite que moi ; je vais le suivre. Je passe au-dessus d’un pays que je prends pour Noyon et qui devait être Chauny. Je me retourne pour voir mon biplace, plus d’appareil. De nouveau la pluie, des nuages au-dessus. Je monte légèrement et voyage encore 5 à 8 minutes à la boussole. Il faut que je sache où je me trouve. Je redescends au-dessous des nuages, quelques tranchées ? Où suis-je ? Les Allemands me l’apprennent. Pan ! Pan ! Pan ! A droite, à gauche. « Je suis chez les Boches ». Immédiatement je vire à gauche direction ouest à toute vitesse. Pan ! pan ! Pouf. Mon moteur est touché, il s’arrête net et mon appareil qui pique, qui pique. Je tire sur le manche, rien à faire. Je mets toute mon incidence à la montée, ma chute devient moins rapide. Je descends, je descends le manche sur le ventre. Boum ! Je touche terre, je rebondis puis crac !crac ! je rentre dans une meule de foin. Je me dégage, pan ! pan ! des coups de fusil. Je sors de la carlingue « Die Wafu ab ! » Un allemand est à 30 mètres et me couche en joue. Je suis prisonnier !!!....

Page 2 du carnet.
Je suis conduit devant un officier Allemand se trouvant à 200 mètres de là. Je suis en effet tombé à coté des propres batteries qui m’ont abattu. J’apprends que je suis dans la région de Renansart à 10 km N-O de La Fère. Je donne tous mes papiers.
On vient me chercher en auto. Je traverse pas mal de petits pays où les braves français paysans captifs aussi me saluent. J’arrive à Guise ; le commandant de la Kommandantur me fait appeler et m’offre des cigares. Nous causons de ma chute d’abord, puis …de la guerre, de notre dernière offensive, de l’Angleterre, de l’Amérique, etc. … A 8h50, le soir (heure allemande) je prends le train pour le Cateau : j’arrive à 11h du soir et suis conduit à une annexe de la Kommandantur où je me trouve actuellement.
Je suis bouclé dans une chambre où il y a 4 lits ; je suis fatigué je me couche et m’endors de suite.
Le lendemain je m’éveille à 8h, il fait grand jour, je me lève et m’habille. Je vois une carte de la région et de celle de La Fère et Saint Quentin. Des officiers et aviateurs anglais ont déjà inscrits leur nom et date de leurs malheureux jours. Je vois également : Aviateur Hépy escadrille N.67
et une croix à Versigny près de La Fère avec la date 24/6/17. J’inscris également mon nom, la date et une croix à Renansart. J’essaie de regarder par la fenêtre, impossible, des barreaux. Le clocher de l’église se dresse à 20 mètres de moi, une cour, grande comme un mouchoir de poche où j’aurai le droit de faire les cent pas 2 heures par jours…
Pour le moment, je me promène dans la chambre ; je pense, je pense à des foules et des foules de choses : Nos Amis de l’escadrille, que vont-ils penser, mes Parents, mes Parents surtout quelle inquiétude !!!

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Oh c’est alors que je m’aperçois seulement de la triste réalité ! Je suis prisonnier…
On m’apporte du café (si on peut appeler çà du café) du pain qui me paraît horriblement noir et un peu de confiture dans une assiette.
Je songe toujours ! Ma pauvre Maman qui va rester combien de temps sans nouvelle ! Oh et puis c’est arrivé si bêtement ! Quelle vie, quelle triste existence qui m’est réservée dorénavant. Non jamais je ne m’étais fait une idée de ce que l’on pouvait souffrir en captivité et ce n’est que le commencement. Je m’étends sur mon lit et pleure comme un gosse en pensant à tous ceux qui me semblent si loin là-bas, de l’autre côté !!!
Puis je me ressaisis, je ne veux pas que l’on me voit pleurer, diable, je suis français et officier.
Heureusement, deux officiers allemands viennent me causer et me posent entre autre des questions auxquelles je refuse de répondre.
Midi on m’apporte une espèce de soupe où il y a des betteraves hachées, du riz, du blé cuit. Bah que c’est mauvais. Je mange quand même.
L’après-midi un «Ober Lieutenant » vient m’interroger. « Je suis officier français et je refuse de parler ». Dès lors on ne m’interroge plus…
Mais on m’apprend quelque chose que je ne savais pas !!!
C’est que les aviateurs allemands, prisonniers en France, étaient soit disant enfermés dans des cages de fil barbelés en plein champ sans couverture, une toile de tente et mauvaise nourriture et cela pour les obliger à causer lorsqu’ils ne voulaient rien dire. On m’annonce en outre que le …

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…gouvernement Allemand, pour représailles traitait les aviateurs français de la même façon. Je devais donc m’attendre à être dirigé sur un de ces camps. Bref, l’après midi me paraît affreusement longue. À 6 heures on m’apporte un morceau de pâté de porc et un peu de café (toujours le même « jus »).
Je me couche. A 11h du soir on frappe. Il faut que je me lève pour être conduit en représailles. Je me lève. Nuit noire, on sort du Cateau, passons près de la gare et prenons la route qui va à Wassigny (sud du Cateau). Nous nous arrêtons à 2 km, le camp est là.
Des soldats allemands préparent une tente dans le milieu d’un carré de fil barbelé. Il pleut, je me réfugie dans ma niche et m’endors. Je me réveille, il fait grand jour.
Je vois alors ce que m’avait décrit l’ober Lieutenant. C’est là qu’il va falloir vivre, combien de temps ? Oh mon Dieu que ce sera dur, dur ! Dire ce que j’ai souffert les 3 premiers jours, ce que je me suis ennuyé ! C’est affreux : les terribles cauchemars la nuit, le jour ces heures interminables qui me semblaient des siècles et puis cette vie de chien qui me révoltait, que je ne pouvais admettre. Oh si je ne peux écrire tout au long ce que j’ai ressenti durant ces 13 jours de représailles, si je ne peux entrer dans les moindres détails de ma vie de torture je suis persuadé qu’après la guerre le souvenir sera encore fidèlement gravé dans ma mémoire.
C’est là donc que je vécus du 18 au soir jusqu’au 31 juillet au soir sous la garde constante de 2 soldats allemands avec défense absolue de lire, fumer, parler, impossible

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De se laver. Comme toute nourriture 75g de pain et 250g de viande de conserve par jour et un baquet d’eau.
J’avais l’autorisation d’écrire en France et de raconter comment j’étais traité en mentionnant que le jour où le gouvernement français cesserait le traitement ou déclarerait que les aviateurs allemands subissent le même régime que les autres prisonniers, les représailles contre les aviateurs français cesseraient immédiatement en Allemagne. J’écris donc plusieurs lettres : 3 à mes Parents, 2 à Mr Giray député, 1 à Mr de Geffrier
de mon escadrille, une autre à Mr Petit également de mon escadrille et 2 autres à mon ami Henri Villon à Bourgoin.
Le 31 au soir je reviens donc à l’annexe de la Kommandantur et couchais seul dans une chambre.
Le matin, le 1er Aout, je peux changer et venir habiter dans ma première chambre où se trouvait depuis le 19 Juillet un sous-lieutenant du 65ème d’infanterie Monsieur Aguesse. Quel plaisir de pouvoir trouver un camarade un compagnon d’infortune ! Nous causons de tas de choses, l’essentiel est de ne plus être seuls nous sommes heureux l’un et l’autre. J’apprends en outre que le 31 au soir, c’est à dire le jour où j’ai fini mes représailles, un autre pilote Mr Borev qui était prisonnier depuis quelques jours est allé prendre ma succession dans le petit camp de représailles. Le pauvre homme, je le plains de tout mon cœur (le pilote Borev a été fait prisonnier dans des circonstances tout à fait bizarres étant…

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…élève pilote au Crotoy, il faisait une dernière épreuve de son brevet du côté d’Amiens lorsque perdu et dérivé il est venu se faire descendre par les canons Allemands près des tranchées à 8km au nord du Catelet).
J’ai pu acheter hier rasoir (j’en avais besoin vous pouvez me croire) brosse à dent, peigne, pipe, tabac etc. ...
J’ai touché également une musette dans laquelle j’ai trouvé chemise, caleçon, savon, serviette, chaussettes, mouchoirs, don de la ville du Cateau.
Il me reste encore 30 Marks pour attendre les prochains colis et envois de ma famille.
On vient de nous apprendre à l’instant que nous partons ce soir pour Karlsruhe (duché de Baden). Nous nous félicitons car nous espérons que la vie en Allemagne sera moins dure que par ici et puis nous pourrons de suite écrire donner notre adresse…et bientôt recevoir des nouvelles de notre France.
C’est confirmé ; nous partons ce soir du Cateau pour Karlsruhe. Je ne veux point quitter cette petite ville sans venir lui faire un adieu sur mes Mémoires. Et puis c’est ce soir que nous quittons le sol français et Dieu seul sait pour combien de temps ! Adieu petit Cateau ; quoique ayant passé 16 jours chez toi je ne le connais pas complètement ; de la petite hauteur où j’étais en représailles je te voyais et te disais bonjour chaque matin en étirant mes membres raidis par la froideur de la nuit et la dureté de ton sol ; je voyais tout ton côté sud, je voyais ton église, je voyais ton majestueux hôtel de ville. Mais ce que j’ai vu et ce dont

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Je me suis aperçu c’est que tu avais encore dans tes murs et malgré le lourd fardeau de l’occupation allemande, c’est que tu as dis-je de bons français. Adieu aussi pour vous Français et surtout vous petites françaises qui avez supporté si héroïquement et si patiemment les dures injures de l’invasion, adieu et merci de votre générosité vous êtes tous de nobles cœurs.
Karlsruhe le 4 Aout 1917. D’abord que j’apprenne à mon bénévole lecteur que je ne suis point parti du Cateau le 2 au soir comme il avait été convenu. Les transports ne devant plus prendre les « Schnellzug » nous sommes réduits à partir le lendemain matin par l’omnibus. Mon transport mérite d’être raconté.
Un voyage d’agrément !! le 3 Aout 1917.
À 4h45 réveil par la sentinelle. Mr Aguesse et moi nous nous levons et nous habillons en grelottant. La pluie tombe à verse, il fait un froid de loup on se croirait plutôt en automne qu’au mois d’Aout.
Nous faisons notre petite toilette, ficelons nos affaires sans oublier de faire un paquet de notre pain noir et d’une grosse boîte de pâté de porc. Un dernier adieu à notre petite chambre et nous prenons le chemin de la gare.
Nous déambulons sous la pluie, nous devant et un sous-officier derrière, l’arme chargée et sous le bras, prête à faire feu.
Des petite françaises demeurant en face de nous et ayant probablement eu vent de notre départ se sont levées pour nous dire « au revoir et bonne chance »
Bref, à la gare nous trouvons l’officier qui doit nous accompagner. Montons en 2éme classe départ du Cateau à 6h18 arrivée à Hirson 9h30. Nous avons quelques

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instants à attendre aussi le Lieutenant a-t-il l’amabilité de nous conduire à la Wirdschaft des officiers. Nous prenons une tasse de café et partageons une tartine de pain noir beurrée que le sous-officier nous a gracieusement offert.
Nous repartons au bout d’une heure et arrivons à Charleville à midi. Impossible de prendre l’express force nous est encore d’attendre l’omnibus de 2h.
On nous conduit de nouveau à la « Wirdschaft officier» où le lieutenant nous offre de déjeuner. Nous déclinons l’offre gracieuse et nous contentons de prendre un thé. Regrets amers du brave Aguesse qui en voyant passer le rôti et les pommes de terre fumantes me dit que nous aurions dû accepter. Nous avons le temps de contempler longuement la salle où de nombreux officiers déjeunent isolément ; au comptoir une dame âgée et une jeune et élégante jeune fille, françaises toutes deux nous envoient de gracieux sourires. Nous remarquons également l’étonnement des officiers allemands qui entrent dans la salle et qui voient deux officiers français attablés, le cigare au bec et causant tout bonnement.
Nous repartons, toujours cette pluie fine qui nous a trempés jusqu’aux os. Tout le long du trajet, ce sont des prisonniers civils ou militaires travaillant à la réfection de la voie ; de ci de là quelques malheureux camps, logement de prisonniers dont le grillage nous rappelle mon séjour du Cateau. Nous passons Sedan, Montmédy, Longuyon qui a été terriblement endommagé par le canon lors des combats de 1914. Puis c’est Audun le Roman la dernière gare française puis c’est la frontière. Un dernier regard vers le pays de France et nous

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arrivons à Feutch la première gare allemande. Nous sommes frappés de l’énorme activité industrielle dès que nous avons dépassé la frontière.
Diedenhoffen ! Changeons de train et repartons aussitôt pour Metz. De nouveau la Wridschaft où nous prenons deux bocks de bière et heureux de nous caser dans un coin où nous somnolons jusqu’à 3 heures du matin. Nous repartons de Metz par le rapide et faisons le voyage debout dans un train rempli de permissionnaires. Nous passons par Strasbourg traversons le Rhin, puis c’est Rastatt et Karlsruhe. Nous descendons et venons à pied jusqu’à l’Europanhier Hôtel ou autrement dit l’Hôtel de l’Europe. La petite partie de la ville que nous avons parcourus me paraît magnifique ce qui supposer que l’ensemble doit être de même c’est à dire propre et fort agréable.
À l’hôtel de l’Europe l’officier allemand et le sous-officier nous disent au revoir et nous souhaitent l’éternelle bonne chance. Mais encore cruelle déception nous sommes de nouveau enfermés isolément dans une chambre peinte à la chaux avec fenêtre à verres opaques. Seul le roulement des voitures sur le pavé, le grincement des tramways sur la voie, les cris des gamins en un mot tout ce qui fait le bruit de la rue monte jusqu’ici et donne un autre genre à ma captivité. En fermant les yeux et avec un peu d’imagination je pourrai me figurer dans un appartement sur les boulevards à Paris voir même rue de la République à Lyon !...
Mais encore me voilà contraint de mener de nouveau une vie solitaire, cette vie bestiale que

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que je déteste par-dessus tout. Pourquoi nous a-t-on séparés ? Pourquoi ne nous permettons pas de causer et quel mal y aurait-il à cela ? voilà ce que je ne comprends pas.
Oh ces heures qui reparaissent interminables cette sauvage promenade d’un bout de la chambre à l’autre, comparable à la marche d’une bête féroce dans sa cage, ces pensées, toujours mille idées qui vous viennent continuellement à l’esprit !
Je crois qu’il n’est pas un prisonnier qui dans ses moments de solitude ne soit pas assiégé par une foule de pensées et que parmi toutes ses pensées, il en est une plus chère qui soit plus vivace, plus forte et qui prédomine sur les autres, celle de sa famille. Oh oui mes chers tous il n’est pas une minute où ma pensée ne soit pas avec vous et savoir encore qu’il faut que j’attende un mois avant de recevoir de vos bonnes nouvelles !
Menu du jour.
Oh Gargantua que n’es-tu pas encore de ce monde et prisonnier français à l’Europanhier Hôtel de Karlsruhe ! Tu aurais fait aujourd’hui un déjeuner digne de tes repas d’antan. Ne crois point, cependant que j’eus friands pourceaux rôtis et tournés à la broche ni quelque poulardes du Mans grasses et savamment truffées, non. Mais cependant je viens de faire aujourd’hui ce 4 Aout 1917 un déjeuner de prisonnier royal tel que Louis XVI n’en n’eut jamais peut-être d’aussi succulent en sa prison du Temple ou s’il en eut un semblable je gagerai qu’il ne le mangea jamais d’aussi bon appétit que moi.
Menu : Potage que chez Maxim on aurait taxé…

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… de printanier, carotte où dans le même restaurant on les aurait baptisées Carotte à la Vichy ; ensuite bœuf nature et salade.
Le tout fort convenable et convenablement préparé. Il n’y avait rien à dire. Je souhaite trouver quotidiennement un repas semblable et en souhaite également à tous les prisonniers.
J’ai pu enfin agrémenter mon déjeuner d’un petit dessert. Un prisonnier russe qui fait le service dans la maison et qui a l’air d’un bon commerçant et de bien savoir mener ses affaires m’a vendu une douzaine de minuscules petites poires pour la somme de 0M.40ff. Il y avait bien encore du vin à 5M80 la ½ bouteille et des sardines à 2M50 la petite boîte mais tel le renard du brave La Fontaine j’ai conclu que tout ceci était trop cher pour ma pauvre petite bourse et pas assez volumineux pour mon gros appétit.
Une agréable rencontre..
À 17heures j’ai la visite de l’Herr Hauptmann Commandant de l’annexe. Je descends ensuite dans son bureau où à lieu une petite causerie interrogatoire. J’apprends en outre que j’aurais le droit d’écrire 6 fois par mois, à savoir 4 cartes et 2 lettres et que je pourrai recevoir un nombre de lettres et de colis illimité. Je remonte dans ma chambre où je dine fort convenablement encore et m’empresse d’envoyer une carte à ma famille. À ce moment un planton rentre et m’annonce que dès lors je pourrai causer avec les camarades prisonniers étant dans l’hôtel et me fait changer de chambre pour me les présenter.

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J’arrive quatre prisonniers étant en train de bridger, un anglais, deux aviateurs belges et un aviateur français. Mais O surprise ! L’aviateur français est mon ami Roux, mon camarade
Roux de l’École de commerce de Lyon. Quel hasard ! Effusion tout s’explique. Il me raconte qu’étant en patrouille du côté de Verdun, il reçu une balle incendiaire dans son réservoir d’essence à 3000 mètres d’altitude. Ce fut une chute vertigineuse ; il arriva au sol dans les lignes allemandes en ayant eu la chance de pouvoir se rétablir à quelques mètres, son fuselage et son appareil en flamme. Il a été assez grièvement brûlé aux mains et surtout au visage et en porte encore actuellement de nombreuse traces.
La partie de bridge finie nous pouvons causer de nos vieilles relations et fredaines de notre vie d’étudiants. Nous nous endormons fort tard content l’un et l’autre de cet heureux hasard.
5 Aout. Nuit excellente dans un bon lit. Mon camarade Mr Aguesse est toujours cloîtré. Impossible de lui parler. Il est probable qu’il viendra nous retrouver après son interrogatoire.
Je ne sais si j’aurai le plaisir d’être longtemps avec mon ami Roux car il est Sous-Officier et doit être dirigé sur un camp réservé aux aviateurs.
Le déjeuner est excellent et cette nourriture…

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…n’est pas comparable à l’horrible « tambouille » que l’on nous servait au Cateau.
7 Aout. Toujours l’Europanischer Hôtel et toujours la même vie cloitrée. L’arrivée considérable d’officiers anglais et français (57 je crois) a fait que l’on nous a réunis quatre dans la même chambre : Mon camarade Roux, les deux aviateurs belges et moi. Nous passons mélancoliquement nos journées à lire et à bridger. Quant au camarade Aguesse, j’ai su par un papier qu’il a pu me faire parvenir qu’il se trouvait avec un officier Russe et un officier aviateur français, le Capitaine Lamont de l’escadrille des Cigognes
.
Nous avons constaté une baisse sensible sur la qualité et la quantité de notre nourriture. Voilà 2 jours que nous n’avons pas de viande mais ce qui nous prive surtout c’est le manque de pain ; la maigre tranche qu’on nous sert à midi doit faire jusqu’au lendemain midi. Impossible de s’en procurer ou d’en acheter. La vente du pain était rationnée par cartes.
Par moment nous avons réellement faim ; mon camarade Roux a trouvé un moyen que nous mettons en pratique. Il nous a assuré que seul le sommeil pourrait calmer notre féroce appétit. Nous avons essayé et obtenu d’excellents résultats, aussi lorsque la faim nous tenaille nous nous allongeons prestement sur notre lit et dormons.
Le matin nous nous levons fort tard et suis certain que plus d’un d’entre nous a vu dans son rêve une bonne omelette fumante ou un…

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…ou un appétissant bifteck aux pommes. Mais cette nuit j’ai rêvé que je mangeais du veau à la gelée comme le préparait ma chère Maman.
Hélas les rêves changent avec l’existence.
Quand j’étais collégien ou étudiant je songeais aux petites femmes et faisais des beaux rêves d’amour. Quand je faisais la guerre, je rêvais batailles et succès. Quand je rêve à présent je pense au bonheur passé, à tout ce que j’avais et que je n’ai plus.
8 Aout. On part !!
Nous venons encore une fois de changer de domicile et logeons au 3ème étage de l’Hôtel, j’arriverai à connaître parfaitement l’Europanischer Hôtel. Nous sommes donc tous les quatre : Mr Roux, les deux aviateurs belges et moi et 4 autres officiers montent également
dans la même chambre : le Capitaine Lamont, 2 Capitaines du 344 et un capitaine du 17ème Chasseur.
Pour quelle raison nous a-t-on réuni tous les huit ?? Nous prévoyons un départ.
J’apprend par le Capitaine Lamont que Mr Aguesse est parti pour le camp de la ville. Nous obtenons l’autorisation d’avoir la fenêtre ouverte et avons la vue sur la rue et le Zoologik Garten qui a l’air assez coquet.
Après la maigre pitance qui nous sert de déjeuner on nous annonce de nous tenir prêt pour 6 heures et que nous partons par le train. Pour où ? Quelle est la durée du voyage ? Vaines questions, nous partons à 6 heures et c’est tout ce que nous pouvons savoir.

Page 15 du carnet.
Qui sait où nous allons. J’aurais préféré rester dans le camp de Karlsruhe, le climat étant relativement tempéré, l’hiver aurait été moins pénible. Et puis j’ai déjà donné mon adresse à ma famille. Qui sait si les lettres, les paquets de vivres et d’effets ainsi que l’argent que l’on doit m’envoyer vont suivre !!!
Enfin tel est notre destinée. À la grâce de dieu !
Nous partons en effet vers 7 heures après avoir pris un léger repas et garnis nos musettes de deux barres de chocolat et de 9 biscuits (dits biscuits de soldat), agréable don de nos camarades du camp de Karlsruhe.
Nous déambulons par deux encadrés par 4 soldats ; un lieutenant guide le tout : le cortège est impressionnant et ne manque pas de comique. Nous avons un certain succès surtout sur le quai de la gare où les badauds forment cercle autour de nous ; il serait à croire qu’ils n’ont pas l’habitude de voir fréquemment des prisonniers.
Installés confortablement en 2ème classe nous allons jusqu’à Mühlacker où nous changeons de train et où également je fais la bêtise d’oublier dans le wagon un paquet de tabac de 1M,50 pas très gros, bien cher et surtout bien mauvais.
Nous avons donc quitté le duché de Baden et sommes en Wurtemberg ; nous arrivons à Stuttgart où nous changeons encore. Nous prenons la direction d’Ulm donc plus de doute nous en concluons que nous prenons la direction de Munich en Bavière. Nous descendons à Ulm le 9 Aout à 4 heures du matin et nous repartons à 6h30.

Page 16 du carnet.
Landshuts le 4 Septembre 1917.
Je continue mes mémoires après une interruption de près d’un mois, mon carnet m’ayant été pris à mon arrivée aux camps ainsi que tous mes papiers pour passer à la Censure et ne m’ayant été rendu qu’aujourd’hui même après moultes demandes et réclamations. Bref, je reviens à mon récit et me reporte par la pensée dans une petite salle de l’infirmerie de la gare de Ulm où sur un coin de table je griffonnais la dernière la dernière fois sur ce carnet. Nous attendions, mes camarades d’infortune et moi, le départ pour Munich à 6h30. Je profitais donc de cet instant pour écrire un peu en dégustant une tasse de café agrémentée d’un biscuit pris dans ma musette. Bref, à 6h30 nous démarrions et arrivions à Munich vers les 11h du matin. On nous case dans une salle immense, servant d’après nos suppositions à loger les soldats ou détachements de passage. Le propriétaire du buffet de Munich ou le gérant (ce devait être l’un ou l’autre si l’on en jugeait d’après sa belle redingote noire et le ton impératif qu’il avait lorsqu’il parlait au garçon venu pour nous servir). Le Patron ou le
gérant du buffet, dis-je, vint nous faire l’article carte à la main. Malheureusement c’est nous qui aurions dû en avoir des cartes, et cartes de pain et cartes de viande car on nous annonce que sans cela on ne peut avoir ni viande ni pain. Mais le bonhomme avec son fort accent tudesque nous flatte son « poison » Et marche pour le poisson nous avons l’estomac dans les talons. Il nous sert donc une cuillérée de potage semblable à un lavement, un petit filet rouge et salé de son « poison » qui doit être du hareng et une tomate farcie. Pas de bière ! pas de pain ! Nous avons heureusement nos biscuits. Nous payons : coût 4Marks 30 ! Je crois qu’en toute sincérité c’est un peu cher mais enfin on doit y passer.
Nous repartons à 12h30 de Munich et nous apprenons alors….

Page 17 Du carnet.
…seulement notre destination. Nous allons à Landshuts ! Je forme de nombreux projets ou du moins j’espère que le hasard me favorisera. N’ai-je pas à Landshuts un de mes bons camarades d’avant-guerre qui est prisonnier depuis le début de la guerre, le pauvre homme. Si j’avais la chance d’être dans le même camp que ce brave ami Charles Davin ! mais il est adjudant et peut être serons-nous dans un autre camp !
J’oubliais de signaler en passant que lors de notre descente du train à Munich, mon camarade Roux et le sous-officier aviateur belge sont saisis par un groupe de nouveaux soldats et on leur annonce qu’ils prennent une autre direction ! La séparation est plutôt vive autant qu’imprévue et nous n’avons que le temps que de leur serrer précipitamment la main et de leur dire au revoir (j’ai su depuis qu’ils ont été dirigés sur le camp de Trostheim près de Rosenheim.)
Nous arrivons enfin à Landshuts à 4 heures. Mes compagnons dont je veux de suite mentionner les noms : le Capitaine Chenon du 11ème Chasseurs, originaire de Chambéry, les Capitaines Merkling et Cartau du 344èmeRégt d’Infanterie de Bordeaux, le Capitaine Lanon, aviateur, le lieutenant belge, observateur aviateur Van Sprang et moi sommes reçus à la gare par un capitaine devant appartenir au camp de prisonnier. Nous montons dans une sorte d’omnibus à deux chevaux, voyons une petite partie de la ville, longeons l’Isar, sortons des pâtés de maisons et nous arrêtons à 1km environ au nord de Landshuts. Le camp est là ?
Est-ce là que je vais vivre et combien de temps ??
L’impression première est tout à fait mauvaise : ces fils barbelés, ces baraques en bois noir et petites tout semble mort et enveloppé d’une immense tristesse…
Nous sommes enfermés dans une pièce que nous quittons l’un après l’autre pour un interrogatoire sans doute ? Au bout d’une heure mon tour arrive et passe dans une chambre ou se trouve le capitaine de tout à l’heure et un feldwebel.

Page 18 du carnet.
On me demande quelques renseignements d’identité puis on me fait déshabiller complètement. Le Feldwebel me fait ouvrir la bouche regarde si je n’ai rien de caché sous les bras, entre les jambes, me donne des effets de camp, veste et pantalon de velours avec larges raies jaunes sur le bras ou le long des jambes. Il me garde tous mes effets et ne me donne que mes souliers et mon mouchoir. Je sors de la baraque et me trouve dans une cour, de soixante mètres de long sur quarante de large, je croyais trouver des camarades ; dans un camp n’y a-t-il pas des centaines d’officiers m’a-t-on dit ! Mais cruelle déception encore je ne vois que mes cinq camarades qui sont là, même tenue que moi s’escrimant à démolir
quelques malheureuses quilles avec deux boules en bois. Deux hommes, deux français sont là également, l’un avec un beau képi rouge aux chiffres 109 l’autre avec un képi bleu ciel. Ce sont les deux ordonnances qui nous sont affectés. Le premier Armand Garraut un fort gaillard du canton de Semur(Côte d’Or) est prisonnier depuis le début, l’autre originaire de Montbrison (Loire) n’est prisonnier que depuis un an, il me raconte qu’il sort depuis peu de l’hôpital de Munich où il y est resté enfermé plus de deux mois pour guérir de la blessure d’une balle qui lui était rentrée dans la cuisse gauche et sortie par la fesse droite et qu’il avait reçue au cours d’une évasion avec un autre camarade après son 4ème jour de fuite.
J’apprends également que le camp n’est qu’un lieu de quarantaine ou camps sanitaire où nous ne devons rester que quinze jours à trois semaines, le temps de recevoir nos piqures contre la typhoïde, le choléra et la variole après quoi nous serons dirigés sur un camp définitif.
Les quinze premiers jours s’écoulèrent lentement, monotones et sans grand incident. Une baraque…

Page 19 du carnet.
…une baraque seulement nous était réservée ; l’accès aux autres baraques vides contiguës à la cour nous était défendu par un rideau de fil de fer barbelés. Notre unique logement se composait donc d’une cuisine dans le bout, d’une grande chambre de 7 lits où nous couchions, d’une autre pièce plus petite qui nous servait de salle à manger, d’une chambre pour les deux ordonnances et enfin des w-c. Dans le milieu et sur le côté de la cour une petite baraque avec fenêtre à rideaux servait de logement au Feldwebel grand directeur et maestro du camp.
Nous menions une vie paresseuse, nous levant tard le matin, notre principale occupation étant la lecture, nous bridgions également et je prenais du Capitaine Chenon mes premières leçons d’échec. Je dévorais ainsi les quelques vingt livres qui constituaient la bibliothèque du camp : notre Dame de Paris, du Theuriet, Alexandre Dumas fils, Anatole France, G. Sand et enfin quelques romans populaires à 0,65 chu.
Nous étions assez bien nourris par un restaurant de Landshut : le repas de midi 1M,80, celui du soir 1M,50 ce qui faisait 3M,30 par jour sans bière et sans les 0M,10 de pain qui était notre ration. Je venais de toucher 96 Marks, solde de mon mois d’Aout, et ne devant rester que 3 semaines environ, je calculais que je pouvais tenir le coup jusqu’à ma prochaine solde du 1er Septembre qui me permettrait d’attendre l’arrivée de mes premiers mandats.
Le compte de chacun (hôtel, tabac etc…) m’était remis chaque soir ; j’encaissais l’argent et je réglais journellement le Feldwebel.
Vers le cinq ou sixième jour nous eûmes la visite d’un neutre : le comte de Borin, d’origine belge je crois…

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…et possédant un hôtel à Paris. Il fait partie et est délégué de la Croix rouge de Genève pour la visite de tous les camps français d’Allemagne.
On nous laisse le loisir de causer une demi-heure avec lui seul à seul pour lui exposer toutes nos doléances et réclamations. C’est un homme charmant très sympathique et dont je garde le plus excellent souvenir. J’ai eu d’ailleurs le plaisir de le revoir ces jours-ci au cours d’une nouvelle visite qu’il est venu faire à notre camp.
Nous reçûmes donc pendant ces 15 jours 6 vaccins ; 3 contre la Typhoïde, 2 contre le Choléra, et un contre la variole. Ces piqures terminées nous nous attendions à partir.
Le 23 Aout, un camarade aviateur le sous-lieutenant Sauvage, pilote de Spad, vint nous rejoindre. Il arrivait également de Karlsruhe où, moins heureux que moi, il est resté 9 jours enfermés seul dans une chambre de l’Europanisher Hôtel. Le lendemain un nouveau locataire arriva encore : c’était un officier serbe, le capitaine Mihaïlo Nedeljkowitsch qui évadé d’Autriche après 50 jours de fuite venait d’être repris. Il était parti du camp où il était interné à Grödig près de Salzbourg et a été repris 50 jours plus tard près de Lindenberg à
20 km du lac de Constance. Ce capitaine, plutôt petit à la figure énergique et paraissant avoir une volonté de fer, parle couramment le français et l’allemand.
Nous étions donc huit ce qui nous a obligé à mettre un lit de plus dans la chambre commune.
Le 25 au matin, la chose à laquelle nous nous attendions arriva. On nous annonçait le départ pour une heure de l’après-midi et direction toujours inconnue.

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Mais chose bizarre je restais ! Il n’y avait que mes cinq premiers camarades qui partaient. Pourquoi ? Énigme. Ils partirent donc dans l’après-midi après une nouvelle fouille identique à celle de l’arrivée et je restais seul avec le camarade Sauvage et le Capitaine serbe.
Au bout de quelques jours ne partant toujours pas je présumais, et c’est encore mon opinion actuelle, que je devais attendre la fin des piqures de Mr Sauvage et que je partirai ensuite avec lui pour les camps définitifs.
Le Capitaine Nedeljkowitch et mon autre camarade n’ayant pas d’argent sur eux furent autorisés à venir à l’ordinaire des ordonnances ce qui leur coute bien meilleur marché. Le Capitaine qui venait de subir une privation de 50 jours, durant lesquels il ne se nourrit que de pommes de terre, de betteraves et de fruits, avait un appétit féroce et c’était un plaisir de le voir manger ces plats de riz ou de macaronis. Le Sous-Lieutenant Sauvage améliorait quelquefois son ordinaire en prenant au restaurant le repas du soir.
Parmi les affaires que la censure m’avait retenues lors de mon arrivée et que l’on me rendit au bout de quelques jours fouillées sur toutes les coutures, les effets décousus en maints endroits, je constatais qu’il me manquait ma carte d’identité de pilote aviateur et le carnet où j’écris les présentes mémoires. Je fis réclamation sur réclamation et finalement j’obtins mon carnet, quant à ma carte on me dit que le jour où je rentrerai en France on me la remettrait !!! Enfin je veux bien oser espérer.

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Jeudi 6 Septembre.
Mes deux camarades viennent de recevoir leur dernière piqûre ce matin et le docteur leur a dit qu’ils étaient disponibles pour le camp définitif. Ce n’est pas trop tôt et j’espère que ça ne se fera point attendre. Sur ma dernière lettre écrite il y a huit jours dimanche, c’est à dire le lendemain du départ de mes cinq premiers camarades, sur ma carte de jeudi passé et sur celle de ce matin je répète à mes parents d’arrêter l’envoi des colis et d’attendre ma nouvelle adresse pour me les envoyer.
L’attente est un peu longue et j’ai peur que ce contre temps me prive de colis pendant trois semaines une fois aux camps définitif.
Hier un événement qui compte dans la vie monotone du camp est venu révolutionner les cinq prisonniers qui l’habitaient. On nous annonça en effet que dans l’après-midi deux nouveaux officiers allaient venir nous tenir compagnie. Vers les 16 heures, ils arrivèrent ; après la fouille habituelle et en règle, ils vinrent à nous avec leur costume de velours à grande bande jaune qui donne étrangement à ceux qui le portent, un air d’échappés de la Nouvelle-Calédonie.
C’étaient le lieutenant Mézergues
, descendu également sur un Sop monoplace en revenant de bombarder Fribourg et le S/Lieutenant Aignan descendu en flamme en Sop biplace au cours d’un bombardement dans la région de Verdun.
Nous voilà donc à cinq officiers et les deux ordonnances.
J’ai pu avoir des nouvelles de mon camarade Davin qui vient d’être transféré de Landshuts à Lechfeld et qui a été fort surpris en apprenant que j’étais prisonnier.
Les maigres distractions de notre prison, surtout après le départ du 26 qui se bornaient à de malheureuses…

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…parties de quilles ou de manilles jouées avec les ordonnances m’avaient mis dans la tête quelques idées de travail.
Ce qui fait que je me suis procuré une grammaire et un cahier : le matin après avoir fait la grasse matinée, je me lève et je fais une heure de grammaire avant le déjeuner. Après le déjeuner en compagnie du capitaine Nedelkowitch je lis les communiqués et articles intéressants de la Gazette de Munich en ayant soin de noter sur mon cahier les mots nouveaux que j’apprends ensuite.
Il me semble au moins que j‘ai un but et je crois que le temps paraît moins long lorsqu’on travaille. J’ai même l’intention, lorsque je serai dans un camp définitif, que j’aurai reçu de l’argent de ma famille et si les circonstances me le permettent d’acheter un violon et reprendre l’étude de cet instrument que je n’ai point touché depuis cinq ans.
Lundi 10 Septembre 17.
Toujours le camp sanitaire de Landshut, toujours la même vie. Depuis le départ de mes camarades il y a eu 15 jours avant hier j’attends toujours également mon transfert dans un camp définitif. Il n’a pas l’air de venir très vite !!
Lorsque mes piqures ont été finies, et d’ailleurs on m’avait assuré que ce camp n’était qu’un camp de passage et que les officiers n’y restaient pas plus de 15 jours à 3 semaines, j’avais écrit à mes parents de suspendre momentanément l’envoi de mes colis et d’attendre la nouvelle adresse des camps définitif où je ne devais tarder de partir. Pendant ces 15 jours j’ai répété la même chose sur mes cartes et lettres mais ne partant toujours pas…

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Hier, voyant un peu tard que le séjour menaçait de se prolonger, j’ai été obligé de revenir sur ma décision et j’ai écrit chez moi de m’envoyer un paquet de vivres. Espérons que tous ces colis, ainsi que ceux qu’on a dû m’adresser à Karlstruhe ne se perdront pas et me parviendront !
Je n’ai encore aucune nouvelle de ma famille. Je ne compte pas sur les lettres écrites du Cateau qui ne donnaient d’ailleurs pas mon adresse et l’on m’a assuré que toutes les lettres et cartes écrites de la zone des armées étaient toutes arrêtées sans exception, mais enfin j’ai
écrit ma carte de Karlsruhe le 4 Aout et qui a du partir le 5. Cela fait 36 jours aujourd’hui comment se fait-il que je n’ai pas encore de réponse ?? Dieu que c’est long !
Hier nous avons fait un extra ! Nous avons commandé 2 bouteilles de vin blanc à la cantine du camp. 2M,40 la bouteille qui tient un peu plus de deux verres, évidemment c’est cher, mais enfin nous avons tout de même savouré ce verre de « pinard » qui était loin de valoir cependant le vin du plus petit cru d’un pays vignoble quelconque de France.
Mais nous avons tous été très heureux de regouter un peu du jus de la treille. Que ne ferait pas en effet le poilu français pour un verre de pinard ? Ne croyez-vous pas que le vin est pour quelque chose dans cette bonne humeur, cette vigueur et sa bravoure légendaire ?
Pour ma part je n’hésite pas à dire que le bon vin est un peu du sang français…….
Mardi 11Septbre.
En reprenant mon carnet je songe…

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…au livre que je viens de finir, que j’avais lu pendant mes années de collège et que j’ai relu avec plaisir : Le Crime de Mr Sylvestre Bonnard, de Mr Anatole France. Dans ses impressions journalières qui forment la constitution du livre ce brave Monsieur Bonnard membre de l’Institut laisse (dans) son journal un long intervalle dans l’oubli du 8 Juillet 1852 au 20 aout 1859.
Shakespeare, après avoir terminé le 3ème acte du Conte d’hiver, s’arrête pour laisser à la petite Perdita le temps de croître en sagesse et en beauté et quand il rouvre la scène il invoque l’antique Porte-Faux (personnage symbolisant le temps. Ndr) temps pour rendre raison aux spectateurs des longs jours qui ont pesé sur la tête du jaloux Léontes.
À l’exemple du poète si j’ai laissé intervenir le Temps pour expliquer l’omission non pas de sept années comme dans le livre de Monsieur Sylvestre Bonnard mais du 8 aout à ces jours-ci ce n’est point ma faute mais bien celle de la censure qui m’a retenu mon cahier plus d’un mois. Je veux donc tacher de réparer un peu cette lacune et combler un peu le vide de mon journal et me reporter un peu en arrière pour essayer de peindre le lieu où je me trouve actuellement : En débarquant à Landshut j’ai déjà dit que je n’avais aperçu qu’une maigre partie de la ville et n’en pouvait faire qu’une description assez confuse, fausse peut-être. La gare me parut assez grande et spacieuse bâtie sur le modèle presque unique des gares allemandes. À part quelques exceptions des stations des grandes villes qui affectent un air colossal par leurs …

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…souterrains géants, leur façade énorme dont le genre d’architecture est peu compatible avec le gout français, les gares de moins d’importance ont sensiblement le même aspect, mais toujours avec des voies innombrables, des quantités d’entrepôts ou dépôts de machine. Pas comparable aux gares françaises que possèdent des villes ayant le même nombre d’habitants qu’en Allemagne.
Cela tient-il à une activité industrielle ou commerciale plus grande ? À une exportation plus forte ? En sortant de la gare nous avons traversé la Lech, longé L’Isar et nous sommes arrêtés à 1km environ au nord de la sortie de Landshut. Nous sommes sur une langue de terre près du confluent de la Lech et de L’Isar qui bordent le camp de chaque côté. À l’est se dressent de l’autre côté de la rivière quelques coteaux boisés, à l’ouest de l’autre côté de
l’eau également quelques maisons qu’on ne peut voir mais dont les cloches de l’église décèlent la présence d’un petit village qui a nom Mittlewoln.
Comme caractère particulier de notre île je pourrai parler d’un brouillard épais qui a la spécialité de tomber brusquement vers le soir ; son humidité n’a rien d’engageant non plus pour l’hiver.
Au milieu de la cour à travers un vide unique entre le mur de planche on peut apercevoir une vague partie de Landshut, une usine qu’on n’aurait dit une usine de colle sur le bord de l’Isar deux églises aux longs clochers sveltes et pointus, des maisons à demi cachées par les arbres.
Ce qui m’a frappé lors de mon voyage et notamment dans la région d’Augsbourg c’est la forme orientale…

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…de la plupart des églises avec leur clocher carré surmonté d’un dôme à la Turque leur donnant absolument l’aspect d’un minaret. D’ici également j’aperçois à travers les feuillages quelques-unes de ces maisons au caractère arabe et dont le toit ferait supposer la présence de quelques mosquées.
C’est là donc que je vis depuis près d’un mois et d’où j’attends journellement depuis 15 jours de sortir pour être transféré dans un camp définitif…
Trêves le 19 Septembre 1917.
J’ai quitté la Bavière, Landshut. J’ai laissé la plaine bavaroise avec ses sapins et suis venu ou plutôt l’on est venu m’installer dans un camps à Trêves. Ce camp définitif tant attendu et d’où l’on aperçoit les riants coteaux de la Moselle, les vignobles rappelant un peu le pays de France.
Mon camarade Sauvage et moi avons laissé les camarades de Landshut le vendredi 14 Sept.
Parti du camp à 4h du matin après la fouille habituelle nous nous sommes embarqués en gare de Landshut à 5h20. La musette bien pourvue par le comité de secours du camp de soldats prisonniers nous avons fait en somme un bon voyage. Ce fut d’abord Regensburg sur le Danube (Ratisbonne) où nous ingurgitons une tasse de café puis Nuremberg où nous dinons. Nous apercevons l’ensemble de la ville qui nous paraît très grande avec son style moyenâgeux qui lui donne un aspect vieillot. Nous en repartons à 14h traversons Fürth, Wurtzbourg et arrivons à Aschaffenburg…

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…vers 11h du soir. Nous nous reposons dans une salle et en repartons à 4h1/4 du matin, arrivons à francfort à 7h et en repartons à 8h1/4. Nouvelle halte à Wiesbaden où le Capitaine de la Kommandantur met une pièce de la Wirdschaft à notre disposition. Nous quittons Wiesbaden à 18h1/2 et remontons sur Coblentz en longeant la riante vallée du Rhin.
Cette partie du voyage est moins triste et redonne un peu de moral….Nous repartons de Coblentz après une halte de quelques minutes et arrivons à 9h du soir à Trier.
Le camp de Trêves est situé au milieu de la ville, un ancien hôpital transformé en Voieysgefangenlager, avec 2 petites cours pour la promenade. De formation nouvelle il est composé d’officiers français uniquement venant de plusieurs camps des 4 coins de
l’Allemagne : Güterslan, Maing , Gnadenfrei etc…, en tout 200 prisonniers environ. Mon camarade et moi sommes logés dans une chambre assez confortable où se trouvent déjà
3 capitaines prisonniers du début de la guerre et qui nous accueillent très aimablement. Nous sommes présentés le soir même au Commandant français plus ancien.
Le lendemain commence la longue série de présentations aux camarades. Je ne trouve pas d’amis d’avant-guerre mais beaucoup de camarades avec lesquels j’ai des amis communs.
Des officiers aviateurs avec lesquels nous nous lions de suite et suis accepté dans une de leur popote. Nous laissons 48M par mois pour la nourriture mais complétons nos repas par les colis venus de France.
Nous nous réunissons par groupes de 5 à 6, mettons…

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…les colis en commun ce qui fait un supplément très appréciable à la maigre pitance que les allemands nous donnent. En ce moment je joue le rôle du parasite et attend l’arrivée de mes paquets pour mettre ma part en commun.
Quelle différence avec la monotonie de Landshut !! Quel mouvement, quelle distraction en comparaison avec le camps de Mittelvöhr…..
Ma principale occupation est de faire de la musique.
Trêves le 26 Octobre 1917. Je reprends mon carnet après l’avoir laissé moisir au contact du pain KK (pain de guerre allemand composé de farines de céréales et de pommes de terre . Ndr) dans le fond d’un placard. C’est qu’il s’en est passé des évènements que je qualifierai d’importants depuis les 40 jours que je suis à Trêves !! Que je dise d’abord que j’écris ces quelques mots de ma prison où je suis en train de purger une peine de 9 jours pour être arrivé en retard de 2 minutes à l’appel. J’ai eu beau expliquer que je n’avais pas entendu la sirène, que je présentais toutes mes excuses, bref on m’a donné 3 jours d’arrêts qui se sont se sont immédiatement et sans délai transformés en 9 jours, le gouvernement allemand très attentionné auprès des prisonniers français ayant déclaré que toute punition infligée à ceux-ci serait triplée. Je compte du 7 aujourd’hui.
Le 2 Octobre, je reçus mes premières lettres. Quelle joie !!! Je fis écrire à Karlsruhe de m’expédier mes paquets directement ici et je ne tarderai pas à les recevoir ; j’ai reçu également ceux de Landshut et ne vais pas tarder à recevoir ceux qui me sont adressés directement ici.

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Enfin je commence à me monter : j’ai déjà une valise remplie de linge reçu dans mes paquets.
Deux mandats me sont parvenus soit 150M, ce n’est plus la purée comme avant.
Comme événements importants depuis mon arrivée à Trêves je pourrais signaler la double visite des avions français dans les nuits du 1er au 2 et du 2 au 3. Spectacle magnifique : les obus éclairants sillonnant l’air, les barrages de 77 et de 105, les bombes qui éclatent, tout cela impressionne et change un peu la monotonie du camp. Et dire que moi aussi je bombardais et je volais il y a 3 mois !!!!....
Lorsque les avions sont signalés les sirènes de la ville font immédiatement un cœur lugubre et tout le monde doit se précipiter dans les caves (sauf les prisonniers bien entendu). Le
cordeau de sentinelle est doublé, les autres soldats allemands se précipitent dans les caves plus ou moins vêtus en chemises parfois, les cris furieux de « Lichtaus » lancés par la sentinelle nous font éteindre les lumières et la Zérénade commence.
Le violon est toujours ma principale distraction nous avons monté un petit orchestre et l’autre jour nous avons donné un concert qui a fort bien réussi (orchestre et chant) le violon solo Delbègue est vraiment artiste. Nous comptons en donner un le 4 le surlendemain de ma sortie de tôle je pourrai donc y participer.
Notons également parmi les grandes distractions du camp : le théâtre très bien monté et fort bien installé à part la petitesse de la salle.

Page 31 du carnet.
Je suis en train de bucher mon rôle car je dois jouer dans une quinzaine le rôle du commissaire dans la pièce de Courteline intitulée « le Commissaire est bon enfant »
Trêves Le 31 octobre.
80 officiers anglais arrivant de Karlsruhe s’installent dans le bâtiment où était ma chambre ; il y a eu un grand déménagement et remue-ménage auxquels je n’ai pris part étant toujours bouclé dans ma prison. C’est un peu long !! Enfin je sors après demain 2 Novembre.
Je reçois à présent quotidiennement lettres et colis adressés directement ici ; la liaison avec ma famille est définitivement établie quoiqu’elle se plaigne encore sur sa dernière lettre de ne pas recevoir régulièrement les miennes…
Demain soir l’orchestre donne un concert comme réception des amis anglais. C’est dommage je ne pourrai y assister ; j’ouvrirai la lucarne du haut de ma fenêtre cadenassée et peut-être entendrai-je les échos de quelques gavottes, des Cloches de Corneville, Sambre et Meuse qui étaient les morceaux à l’étude.

Page 32 du Carnet. (rédaction au crayon. Ndr)
Trêves le 27 avril 1918.
Six mois ! Six grands mois pendant lesquels j’avais relégué ce petit carnet au fond de ma boîte à correspondance. Décidément il n’y a que la prison qui rend loquace ; je viens de jeter un coup d’œil sur les dernières pages et m’aperçois que la dernière fois que j’écrivais et que je reprenais mon carnet après l’avoir délaissé j’étais en prison. En prison ! Oui et j’y suis encore en prison ! et non pas pour 9 jours comme lors de ma dernière punition mais pour 36 jours !
Oh ! Je vois les cris de surprise que vous allez pousser : 36 jours mais c’est affreusement long ! Qu’a-t-il fait pour mériter une semblable peine ! Pas grand-chose, je le raconterai d’ailleurs plus loin. Qu’il vous soit permis tout de même de savoir que je n’ai ni tué ni volé que je ne suis point un bandit de grand chemin mais que néanmoins je suis à la Militäarresthuz ( la maison militaire d’arrêts) de Trêves depuis 14 jours ce soir qu’il m’en reste encore 22 à faire.
Depuis le 31 Octobre 1917 jour où j’écrivais sur ce petit carnet pour la dernière fois il s’est passé beaucoup de choses dans le Kriegsgefangenenlager (camp de prisonniers de guerre Ndr) et il ne s’est absolument rien passé. Tout cela est très relatif. Un événement qui est insignifiant dans la vie courante prend un tout autre caractère et un air important dans la vie des camps. Je vais tacher de revoir les détails principaux. Ce qui ressort un peu dans ma vie durant ces 6 mois, en dehors du lever, du coucher et des principaux repas.
Tout d’abord une lacune à combler : Indiquer ici les membres de la popote :…

Page 33 du Carnet
Lt Mercier (observateur) de Paris, étudiant en droit, fils du Contrôleur Mercier ami d’Hyppolyte Enseling. Lt Bergeron (pilote Spad) de Mansles, Charente, charmant camarade : descendu avec une balle dans la patte et dont la santé est précaire. S/Lt Foulon de Nantes, parti en suisse il y a 2 mois avec les officiers de plus de 48 ans. Adjudant Caron, de Paris, de Londres, du Canada, je ne sais d’où. Charmant camarade économiste sans doute distingué mais pas trop affairé, chargé de conférences, de nombreux cours, il est toujours affolé ce dont nous nous en ressentons lorsqu’il est de popote.
Nous étions donc 5. Tout marchait très bien surtout les derniers temps où nous reçûmes tous de nombreux colis et en Janvier particulièrement où je recevais plus de 30 colis de 5kg et me constituais une bonne réserve qui me sert actuellement. A signaler cependant puisque nous sommes sur le chapitre nourriture une violente crise alimentaire qui se fit sentir fin Novembre et Décembre par suite des fermetures de frontière. Tout le camp cria famine pendant 6 semaines et c’est alors que nous connûmes les affreux jours de riz. Caron avait du riz en masse (encore quelques kilos) et ce riz suprême espoir et suprême pensée : Allons faites donner le riz cria-t-il ?
Et ce riz cuit à l’eau sans fromage de gruyère s’amenait tous les jours sur nos tables, déprime.
(Ne faites pas attention il y a déjà 14 jours que je suis enfermé.)

Page 34 du Carnet.
Le riz nous sauva la vie : nous connûmes ensuite les douces félicités (je ne dirai pas de l’amour) des bons gueuletons. Il y en eu vraiment quelques-uns de plantureux !
Le chapitre alimentaire étant vu passons au chapitre distraction : Oui que fis-je pour me distraire ? Pas grand chose d’abord je me laissais vivre la vie de « farniente » de prisonnier.
Puis après je fis du sport, à savoir : du Football association et un peu de Hockey. Les Anglais excellaient dans le Football. Avec l’arrivée des Anglais on avait agrandi la cour en reculant les palissades ce qui nous donnait un terrain qui quoique n’ayant pas les dimensions réglementaires permettais tout de même de faire du jeu. Moi qui n’avais fait que du rugby je me suis mis assez vite à l’Association et arrivait même à jouer avant aile droite dans la 1ère équipe française qui joua de nombreux match contre les anglais. Nous nous fîmes d’ailleurs rosser chaque fois.
Pendant tout le mois de Décembre nous pûmes inonder un coin de la cour et patinâmes matin et soir. Ce fut une belle trouvaille qui nous amusa beaucoup.
Comme autres distractions il y avait encore la musique et le théâtre.
La musique, il faut que je le reconnaisse, je n’en fis pas assez personnellement, j’aurais pu étudier davantage. Chaque jour une répétition de l’orchestre car nous donnions un concert tous les dimanche soir dans le grand réfectoire. Lors de l’arrivée des…

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… Anglais ces concerts furent l’occasion de beuveries, qui tournaient parfois jusqu’au véritable chahut. Puis cela se tassa comme on dit et les concerts reprirent véritablement leur nom et l’aspect de concerts.
Quant au théâtre comme la pièce des spectacles était petite ; chaque représentation était triplée, en générale mardi mercredi et jeudi ; le lundi avait lieu la générale. Une semaine de théâtre français, une semaine théâtre anglais. La scène et les décors étaient très bien et les acteurs passables. Tout le monde s’en tirait assez bien et après avoir épuisé le Courteline, le directeur, le Capitaine Fleury, attaqua des pièces en 2 ou 3 actes qui eurent un gros succès. On joua même (voyez la force des acteurs) un acte du Bourgeois Gentilhomme avec menuet et orchestre ce qui fut épatant.
Des actrices ravissantes : Loye et Pégriné.
Je jouais dans plusieurs pièces : Le Commissaire est Bon Enfant, L’Affaire Champignon, L’Anglais tel qu’on le parle.
Puis les Anglais partirent en Février et le camp devint Camp de Représailles. Arrivée de nombreux officiers de Torgau.
J’eus de bons camarades. Je fis 2 ou 3 chambres et depuis Octobre j’étais chambre 66, chambre de méridionaux où je m’amusais fort. Ah les braves et charmants amis, je veux inscrire leur nom sur ce carnet afin de me rappeler les bons moments passés au cours de cette vie trop monotone et me rappeler encore que par leurs galéjades, ils ne pouvaient que…

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…ramener la gaité et l’espoir.
Sire Pierre dit Minou, le poète, de Coursan près de Narbonne ; Dejean de Narbonne, Borichère de Anglette, dans les Landes ; Duffan de Bayonne ; Chérou du Havre ; Amelin de Lille ; Théveneau de Bourges ; Couler de Lille ; Patin de Tours ; Moreau de Toul.
Il y eut au Camp de Trèves de nombreuses tentatives d’évasion qui malheureusement échouèrent toutes. Les officiers, une fois repris étaient punis et envoyés à Magdebourg.
C’est ainsi que nous quitta notre brave Mercier le mois dernier, le Capitaine Bertin Sauvage, Auternais, au commencement de Février etc. ...
Voulant également regagner la France, je me suis fais reprendre à quelques mètres de la frontière. Je suis puni de 36 jours et vais aller rejoindre mes camarades à Magdebourg car on vient de me dire à l’instant que cet après midi je rejoignais le camp.
Je reprendrai donc plus tard les détails de mon évasion.
Magdebourg le 8 Mai 1918.
Je ne suis point parti de Trèves le 27 Avril comme je le prévoyais. Le samedi 27 à 3h de l’après midi nous sommes allés simplement (mon camarade Armand et moi) à la Kommandantur du camp pour confectionner nos bagages. J’ai pu voir 2 minutes mon brave ami Bergeron…

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…qui m’avait fait laver mon linge et pris soin de toutes mes affaires. Je pus emballer facilement mes effets dans 2 grandes caisses et ne conserver avec moi que mon violon et une valise à main contenant un peu de linge et des conserves. Deux heures après nous réintégrions la maison d’arrêt où nous restions bouclés jusqu’au lundi 29.
Le lundi 29 à 10h précises du matin on venait nous chercher et retournions au Camp. J’appris là que nous ne devions pas voyager tous les deux. Le Capitaine Modot s’était évadé il y a 8 jours et après s’être fait repérer à la frontière au-dessus d’Aix, à 200 m d’où nous nous étions faits prendre, venait d’arriver la veille à Trèves et partait avec nous.
Allons prendre le train avec 3 ordonnances, 1 Officier et des Landsturms. Partons de Trèves à 11H35 environ, arrivons à Coblentz à 3heures. Nous avons 3 heures à attendre. Je vois sur le quai un petit aviateur américain de 19 ans, blessé à la cuisse qui rejoint Guissen avec quelques autres soldats blessés venant d’un hôpital de Sarrebrück. Il meurt de faim, je lui donne des biscuits et du chocolat ; après m’avoir remercié chaleureusement et s’être rassasié nous causons un peu ; des nouvelles assez fraîches, il vient d’être pris il y a 2 mois.
Repartons de Coblentz à 5h56 traversons Erns et arrivons à Guissen à 10h du soir. Allons nous restaurer à la cuisine des Officiers où nous trouvons un copieux repas. Allons attendre ensuite dans la Washaal de 1ère devant un bock où nous restons jusqu’à 1h 1/2 du matin. Repartons de Guissen vers les 1h 45…

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… et arrivons à Cassel vers les 4 heures. En repartons vers les 9h du matin, traversons Norhausen et arrivons à Sandgerhausen à trois heures de l’après-midi. Je vois là une trentaine d’officiers pris aux récentes attaques du côté d’Amiens qui vont également à Magdebourg.
Repartons vers les 4h, traversons Ham Münden et arrivons à Magdeburg à 7h1/2.
Voyage pénible avec nos lourds bagages jusqu’au Camp qui est à une ½ heure de la gare.
Arrivons enfin en vue du Camp. Impression première très très mauvaise. À gauche un Camp qui me paraît moins que confortable et à droite une porte s’ouvre : Une cour grande comme un mouchoir de poche avec un bâtiment en demi-cercle. Une fenêtre s’ouvre : Un cri, un 2e un autre cri, un 3ème un autre hurlement puis toutes les fenêtres et des hommes et des cris sauvages qui durent toute la traversée de la cour. C’est pour nous ! une ovation ! Nous saluons ! J’ai reconnu aux fenêtres Mercier, Du Roux, Péccate… Nous restons une heure dans le bureau, un Capitaine Allemand vient ; on nous fouille, on nous conduit à notre chambre.
Mercier, Sauvage etc. ...se précipitent, il faut aller manger et raconter notre évasion, présentations multiples, etc…etc. ...
Que j’explique d’abord ce qu’est les camps de Cavalier Scharnhorst : C’est un camp avant tout de représailles où les autorités allemandes concentrent les officiers de tous les camps qui se sont évadés et naturellement repris où les officiers ayant subi une peine de forteresse. C’est ce qui explique le milieu bruyant et les cris de…

Page 39 du carnet.
…tout à l’heure. C’est donc au Cavalier Scharnhorst tout particulièrement que les mesures les plus rigoureuses sont prises en représailles, nous dit-on, des traitements des officiers Allemands en France.
On m’apprend d’ailleurs tout de suite le régime des camps : pas de lettre, pas de colis depuis quelque temps, pas de musique, pas de jeu, pas de distraction. Sortie 1heure par jour dans la cour en miniature. Entassement effroyable dans les chambres, on peut à peine se remuer.
Néanmoins le moral est excellent. Ceux qui sont là ont le moral bien trempé et plusieurs fois par jour il y a de violentes protestations contre le traitement qui nous est infligé. À l’heure de l’appel le soir même j’assiste à un de ces chahuts !!!
Le Carnet se termine ici.


Oraison funèbre

En l’absence de notre Président Gilbert Sardier, retenu à Paris par les funérailles de notre Président Général des Vieilles Tiges Léon Bathrat, c’est un triste honneur qui m’échoit aujourd’hui – celui de dire un dernier Adieu à notre Camarade et Ami Auguste Faidide.
D’autres voix plus autorisées que la mienne auraient pu retracer la vie et les mérites militaires de notre Ami. Mais nos camarades ont insisté pour que son vieux Compagnon de guerre que je suis, vienne le dire avec son cœur.
Auguste Faidide est parti au front dès les premiers jours de la guerre, dans l’infanterie au 22ème de ligne par la suite, il a été muté dans les Chasseurs Alpins.
Avec ces deux unités il a combattu avec une vaillance et un courage jamais démenti, sur tout le front français des Vosges à la Somme.
Sa brillante conduite au feu lui valait la croix de guerre avec 3 citations.
Ayant passé les examens d’EOR il était aussi promu Officier des Chasseurs.
Passé sur sa demande dans l’aviation en 1916, il continua de se battre dans les airs avec le même courage et la même ardeur que dans les tranchées. Appartenant à une escadrille de Sopwith d’observation, il était descendu en combat aérien.
Blessé et prisonnier il fut interné dans un Oflag, où sitôt remis de ses blessures, envisageait et organisait son évasion.
Hélas repris par l’ennemi, il fut interné dans un camps de représailles, d’où pour la deuxième fois il s’évadait. Après un dangereux voyage qui lui fit parcourir à pied de nuit près de 600 km, il fut à nouveau arrêté sur dénonciation à la frontière hollandaise et interné cette fois au secret à la forteresse d’Ingolstadt d’où l’armistice du 11 Novembre le délivra.
Revenu à la vie civile, il était promu Chevalier de la Légion d’Honneur pour sa brillante conduite au feu pendant la guerre.
Dans la Paix revenue, comme nous, il avait senti l’impérieuse nécessité de regrouper tous les Camarades Aviateurs de la Grande guerre et nous avions fondé ( un petit groupe à cette époque) vers 1920 l’ULCA Association dont il fut le Président pendant de nombreuses années.
Aujourd’hui, 47 ans après cette même Association lui rend un dernier Hommage.
Passionné d’Aviation, il entrait vers la même époque à l’ACCR achetant un avion personnel et faisait à titre bénévole avec une gentillesse jamais en défaut tous les Rallyes et Baptêmes aériens dans le cadre des meetings de L’Aéroclub de France.
Parallèlement il poursuivait son entrainement militaire de Pilote, accomplissant toutes les périodes réglementaires effectuant Missions et Manœuvres.
Sa dextérité et sa science du pilotage lui faisaient confier les missions les plus délicates, tellement appréciées par le haut commandement qu’il fut de ce fait nommé Commandant et officier de la LdH en 1935.
Enfin vinrent les jours sombres de 1939.
Toujours animé du même esprit de Patriotisme, Auguste Faidide partit au front à la tête d’une unité combattante, fait rarissime pour un pilote de Réserve de la Guerre de 14.
À la tête de son groupe le GAO 514, il accomplit avec succès maintes missions difficiles, ce qui lui valu les félicitations du haut Commandement et l’attribution de la croix de guerre 39-45.
Voilà succinctement résumés les brillants états de service militaires de notre Camarade.
Mais à coté de ses qualités de Chef et de Combattant, je voudrais vous dire tout l’esprit de Camaraderie qui l’animait, les conseils éclairés qu’il nous donnait soit à l’ULCA soit aux VT et souligner toute la gentillesse et l’extrême bonté qu’il avait envers tous, jusqu’aux plus humbles- toujours prêt à rendre service aux uns et aux autres.
Malgré les charges écrasantes que lui imposait son Industrie, qu’à force de volonté et de travail il avait fait magnifiquement prospérer, il était toujours avec nous le vrai camarade qui ne manquait jamais d’assister à nos Grandes réunions et cela malgré une santé précaire.
Oui mon cher Ami tu as été un des meilleurs parmi nous et nous ne l’oublierons pas.
À Madame Faidide si dévouée elle aussi, à son fils et à ses deux filles- à sa sœur – à ses deux petits fils nous présentons, au nom de l’ULCA, des VT de l’Aéro-Club, nos condoléances les plus émues et les assurons que nous prenons une grande part à leur douleur.
Tu peux reposer en Paix mon cher Auguste, tu as rempli ta tache et sache bien que tous dans notre cœur nous garderons ton cher souvenir.
Discours de Monsieur Claude Latruffe aux funérailles de Monsieur Auguste Faidide 72 ans le 2 Mai 1967 (Décédé le 28 Avril 1967)
Église Saint Patrick à 9h
Obsèques à Pont-de-Beauvoisin (Savoie).