Le Groupe
de Chasse II/18 Saintonge en opérations à Bordeaux-Mérignac
en 1945.
(Source
: document des archives municipales de Bordeaux - via Michel Baron
Le Groupe de chasse 2/18 « Saintonge » maintenu après l’armistice de 1940 avait été dissous en novembre 1942. Le commandant Thollon qui, dans la résistance commandait une brigade FFI, avait obtenu après la libération la reconstitution de ce groupe sous la dénomination de 2/18 « Saintonge ».
Cette unité prenait la succession du groupe FFI Doret que le grand as de l’accrobatie aérienne avait constitué avec des avions Dewoitine 520 trouvés à l’usine de la SNCASO à Blagnac lors de la libération de Toulouse.
Tributaire de la SNCASO pour son ravitaillement en matériel et rechanges avions, le groupe était obligé de rester sur la base aérienne de Toulouse-Francazal où il s’était installé. Mais cela n’allait pas sans inconvénients pour les missions du fait de l’éloignement du front de l’Atlantique. Aussi, chaque semaine, une escadrille était détachée à Cognac où se trouvait le commandant des forces aériennes de l’atlantique, l’autre escadrille poursuivant son entraînement sur place.
Toutefois, le commandant Thollon ayant obtenu de nouveaux avions, des Spitfire V de la RAF, il est décidé que le 2/18 s’installera sur la base aérienne de Bordeaux-Mérignac où seront livrés les nouveaux matériels.
Le groupe fait mouvement sur le chef-lieu de la Gironde entre le 20 février, date d’arrivée de l’échelon précurseur avec le lieutenant Aupied et le 5 mars date d’arrivée de l’échelon postcurseur. Le gros de l’unité avait débarqué en gare de Caudéran-Mérignac le 27 février avec l’échelon voie-ferrée, les pilotes amenant de leur côté les Dewoitine destinés au GC 1/18 à Cognac. Mais la moitié de ces avions avaient été laissés au centre d’instruction de la chasse constitué à Toulouse.
Les derniers jours de février sont donc occupés à l’installation sur la base de Mérignac. Les popotes, services généraux et administratifs occupent le « village nègre » à Beutre en face de l’entrée du terrain dans des baraques en bois remises en état par les soins du personnel.
Les services opérationnels et techniques avec les escadrilles s’installent dans les locaux et hangars occupés jusque là par le GC 1/18 qui déménage à Cognac. Ces bâtiments qui avaient été construits pour abriter en 1937 la 21ème escadre de bombardement de nuit ont plus ou moins souffert des raids alliés, mais il faut s’en contenter.
Début mars, les pilotes commencent à s’entraîner sur leurs nouveaux avions que les mécaniciens livrent à la piste après les avoir vérifiés un par un. Ces derniers, en même temps, poursuivent leur instruction dispensée par un officier et des sous-officiers détachés par l’inspection technique de l’Armée de l’air.
Le groupe avait déjà subi des pertes à Toulouse. Le 2 mars, le commandant Dartevielle qui faisait partie du personnel muté au 1/18 se tue lors d’une mission de guerre.
Le beau temps qui s’était installé depuis l’arrivée à Bordeaux persiste ce qui favorise le travail et les vols d’entraînement.
Le dimanche 4 mars, M. Tillon, ministre de l’air, arrive en avion à Mérignac. Une prise d’armes a lieu à cette occasion. Le lendemain le ministre inspecte le Groupe.
Le groupe 2/18 « Saintonge » est organisé comme un Squadron britannique et se présente de la façon suivante :
· Commandant le Groupe : Cdt Thollon
· Cdt en second : Cne Camdessus.
· Cdt 1ère escadrille : cne Wagner
· Adjoint au Cdt 1ère esc. : Lt Sévely
· Cdt 2ème escadrille : Cne de la Taille
· Adjoint au cdt 2ème esc. : Lt Charvey
· Cdt services techniques : Lt Janic
· Adjoint : Lt Aupied
· Cdt Sevices généraux : Cne Chambon
· Chef des Ops. Cne Charreire
· Off. De Renseignements Lt Laurent
· Off. Des détails : Lt Conscience.
Le 13 mars, les officiers pendent la crémaillère à leur popote en ville, cours d’Albret, à l’angle de la rue du Tondu. Mais à midi le repas de service est pris à la popote du village nègre à Beutre. Le 18 mars c’est au tour des sous-officiers et des hommes de troupe de pendre à leur tour leur crémaillère.
Le 19 mars, les derniers avions du squadron qui en a maintenant 18 sont livrés à la piste, ce qui fait que le commandement peut toujours en avoir 12 en l’air. Un Douglas A 24 est également livré par la SNCASO.
Pendant ce temps, le matériel de maintenance arrive par plusieurs avions Dakota venant de Rouen.
Le 21 en ville a lieu une grande séance au Nouveau Cirque de Paris où les officiers du 2/18 sont invités.
Le dimanche 25, un jour de repos est donné à tout le personnel qui ne l’a pas volé après les efforts fournis pendant plusieurs semaines.
Les pilotes poursuivent leur entraînement au tir et au bombardement à Cazaux.
Pâques tombant le 1er avril, un semi repos est donné au personnel le matin ainsi que le lendemain. Trois missions de guerre sont effectuées sur la Pointe de Grave. Cette fois, les pilotes lâchent leurs bombes sur les Allemands.
Le capitaine Coat qui avait été muté se tue au cours d’une mission aérienne. Les 4, 5 et 6 avril, les missions de bombardement sur la Pointe de Grave se poursuivent. Après une interruption, elles reprennent les 12 et 13. Les mécaniciens ne chôment pas pour fournir les avions disponibles.
La 5ème escadre de chasse arrive en renfort avec trois groupes de « Thunderbolt » pour participer au « grand coup »(*). En effet, le 14, tout le monde est réveillé à 5h30 pour être au terrain à 6h30. C’est le jour J. les avions décollent à 7h30 pour des bombardements massifs de la pointe de Grave et du secteur de Royan. Quelques centaines de bombardiers français et américains y participent. Toute le journée, les missions continuent.
Le 15, c’est le tour des troupes terrestres qui attaquent ce matin dans les deux poches de l’estuaire. L’aviation des Forces aériennes de l’Atlantique (FAA) appuie ces actions et le 2/18 ne chôme pas. La Marine également donne son appui
Le 16, Royan est libéré, mais à quel prix ! la ville est entièrement détruite. La poche se réduit ainsi que dans le Médoc où St Vivien est dépassé. Le groupe effectue 36 sorties dans la journée, sans compter plusieurs vols d’essais et de liaison.
Le 17, même activité. Le personnel commence à se ressentir des efforts fournis. Le 18, le secteur de Royan est complètement libéré. Le groupe attaque le fossé anti-chars de la Pointe de Grave. Le sergent Botte, touché par la DCA, se pose sur le ventre à Saint Trélody près de Lesparre. Un quart d’heure plus tard, le commandant Thollon, avec les lieutenants Jannic et Laurent sur A 24 a une panne de moteur à 300 mètres et se pose aussi sur le ventre à l’ouest de Lesparre à 1 ou 2 kilomètres du Spitfire. Au total, 40 sorties sont enregistrées dans la journée ce qui constitue un record.
Le jeudi 19 la Pointe de Grave est pratiquement libérée, mais le groupe a de plus en plus de travail pour appuyer les troupes de terre, car la 5ème escadre est repartie vers l’est. Le record est encore battu avec 48 sorties dans la journée. Les mécaniciens ont été à la hauteur de leur tâche et ont fourni un formidable effort.
Le 20, les opérations de l’estuaire de la Gironde sont terminées. Il n’y a plus de poches et le port de Bordeaux est libéré. Aussi, le lendemain samedi, le personnel a repos l’après-midi, un repos bien gagné.
Le jeudi 26 a lieu le matin la fête de la libération du port de Bordeaux avec les unités ayant pris part aux combats. Mais on a simplement oublié les aviateurs. Aussi le groupe Saintonge organise le soir un grand meeting de protestation. Voici ce qu’en disent les journaux le lendemain :
« On
les avait oubliés !
« Bordeaux
26 avril. Jeudi soir, un imposant monôme traînant une bombe « symbolique
parmi les fumées rougeoyantes des feux de bengale,
a parcouru les « artères du centre de la ville. Les aviateurs d’un groupe
de Spitfire, les hommes qui « accomplirent quelques 296 missions sur
Royan et la Pointe de Grave, « manifestaient ainsi, à la française, par
un aimable chahut, leur étonnement d’avoir « été oubliés le matin dans
l’hommage rendu aux vainqueurs de l’Atlantique.
« « Les oubliés de ce matin… »
« Derrière
une grande pancarte où étaient inscrits ces mots, un étrange et étonnant « cortège
descendait hier soir le cours de l’Intendance au milieu de l’âcre fumée « colorée
et lumineuse de multiples feux de bengale.
« Précédé
d’un « V 6 » postiche, torpille fumigène, tout le groupe d’aviation
de « chasse 2/18 de Mérignac, ancien groupe Doret 1/5, protestait bruyamment…
et « gaiement contre l’oubli dont ils avaient été victimes de la part
des organisateurs du « défilé du matin.
« J’ai
pu monter sur la camionnette de tête et demander des explications. « Bombardement
Pointe de Grave et Royan me clame un sous-officier que je « distingue
mal dans la fumée rose. 300 missions de bombardement, 90 mitraillages « au
sol. Et l’on nous a oubliés !
« Et,
ultime protestation, le V6 postiche éclatait à 21 heures au milieu des rires
et de « la fumée emplissant Bordeaux d’un nimbe de conte de fées. Mirette.
Ce que les journaux ne disent pas, c’est que la séance continua par un gros chahut qui se termina dans les cafés et les cinémas de la ville aux applaudissements des spectateurs.
Le 27, alors que l’on apprend l’arrestation et l’exécution de Mussolini, le 2/18 prépare de nouvelles opérations, car il reste d’autres poches sur le front de l’Atlantique. Le 28 au soir une mission a lieu sur l’ile d’Oléron.
Le 29 avril, tout le monde doit être au terrain à 5h30, mais il y a contre-ordre. Ce n’est d’ailleurs que partie remise car le 30, tout le monde se retrouve bien à 5h30. C’est l’attaque et le débarquement dans l’ile d’Oléron. 36 missions sont effectuées par le groupe dans la journée. Le 1er mai, 8 avions sont envoyés en mission le matin. Le soir, c’est la reddition des Allemands d’Oléron.
Pendant ce temps, le poste de Hambourg annonce la mort d’Hitler à Berlin. L’amiral Dœnitz lui succède et continue la lutte contre le bolchevisme. Le 2 mai, Staline annonce la prise de Berlin. Visiblement les évènements se précipitent et la fin des hostilités approche.
Le 3, le dernier Dakota venant de Rouen arrive à Bordeaux amenant le reliquat du matériel au 2/18.
Les jours suivants sont des journées d’attente pour le groupe qui apprend les dernières nouvelles : capitulation des allemands en Allemagne du nord, en Hollande, au Danemark, puis c’est le tour des armées du centre. Enfin le 7 mai, c’est la demande de capitulation sans conditions de l’Allemagne et le mardi 8 mai c’est le jour « V ». les chefs d’états alliés annoncent officiellement cette capitulation à 15h. aussitôt après, les sirènes retentissent annonçant la fin de l’alerte qui a duré six ans.
Jour férié à partir de midi, mais, au groupe, on ne descend en ville qu’à 19 heures. Inutile de dire que la fête de la victoire est célébrée le soir et même tard dans la nuit comme il se doit. Et les uniformes des aviateurs seront partout mêlés à la liesse populaire, dans la rue, à l’Alhambra, au Lion Rouge, au Tourny, au Gobineau.
Le lendemain 9 mai étant également férié, tout le monde dort le matin et l’après-midi la fête continue. Il en est de même le surlendemain qui est encore férié car c’est l’Ascension.
Vendredi 11 mai, la fête est finie et tout le monde se retrouve au travail. Mais on ne sait plus quoi faire puisque la guerre a pris fin. A tour de rôle le personnel bénéficiera de permissions bien méritées.
Petit à petit, le groupe reprend une activité de temps de paix. Mais son rôle à Bordeaux étant terminé, on parle d’un proche départ en Allemagne.
Les 4 et 5 juin, le 2/18 reçoit comme il se doit ses marraines de guerre (de Nanterre). Le 18 juin, jour anniversaire de l’appel du général de Gaulle, le groupe participe au défilé aérien sur Paris ainsi qu’au défilé au sol.
Le GC « Saintonge » est officiellement rattaché au 1er Corps aérien. Début juillet les bruits de départ se précisent. Le commandant Thollon pense transférer son unité à Friedrichshafen avant le 14, mais le capitaine Wagner, de retour d’une liaison à Stuttgart annonce que tout est remis en question. Aussi le commandant repart au Ministère à Paris, mais pour annoncer à son retour que le départ est bien ajourné.
Entre temps, des nominations ont eu lieu, c’est le cas du capitaine Camdessus pour le grade de commandant et celui du lieutenant Jannic pour le grade de capitaine.
Depuis le mois de juin, le personnel en cette saison chaude a adopté le système en vigueur aux colonies et ne travaille que le matin. De ce fait il apprécie d’avoir les après-midi libres Toutefois ces journées sont bien remplies et mises à profit pour préparer le départ.
Puis le commandant Camdessus refait une liaison à Friedrichshafen tandis que le commandant Thollon au retour d’une nouvelle mission à Paris annonce le départ, définitif cette fois. Le 24 juillet les officiers donnent un diner d’adieu au « Moulin Noir » à Blanquefort avec un certain nombre d’invités civils.
Le 28 a lieu un premier départ d’avions pour les rives du lac de Constance. Le 30, l’échelon précurseur part en Dakota et le 31 la deuxième série d’avions s’envole pour la nouvelle base. Le 1er août, c’est le départ d’un second échelon en Dakota et de la dernière série de Spitfire.
Le 2 août commence sur l’embranchement de Beutre le chargement d’un des deux trains du convoi voie ferrée. Le 3, alors que 2 avions retardataires décollent du terrain, les véhicules sont chargés sur le second train en gare de Caudéran-Mérignac.
Enfin le 4 août les deux convois partent pour Friedrichshafen, celui de Caudéran-Mérignac à midi sous les ordres du capitaine Jannic, celui de Beutre à 14h30 sous les ordres du lieutenant Aupied. A part un échelon postcurseur qui reste pour régler les affaires administratives en cours, le groupe Saintonge a quitté définitivement la base de Mérignac qui va retrouver une activité de temps de paix avec de nouvelles unités aériennes.
A
côté d’autres groupes de chasse français, le 2/18 va pendant quelques mois
vivre la période d’occupation en Allemagne – chacun son tour – jusqu’au printemps
1946. Rattaché à la 2ème escadre de chasse en novembre 1945,
il sera, comme beaucoup d’autres unités, dissous à la fin du premier trimestre
de l’année suivante.
(*) Il s'agit de la 3ème
escadre de chasse
qui a participé à la réduction de la poche de Royan et
qui était équipé de P 47 Thunderbolt alors que la 5ème
escadre de chasse
équipée, à l'époque, de P 63 Kingcobra
et de P 39 Airacobra,
n'a jamais possédé de P 47 Thunderbolt.(retour)