Adieu
à Louis Chartoire
Dernier
As de la Grande Guerre (1895-1992)
(Source
: Air-Actualités n°458 - janvier 93
- page 42 et 43)
De
1914 à 1918, huit millions et demi de Français furent mobilisés. Parmi
eux, un peu plus de vingt mille navigants, pilotes et observateurs,
firent la guerre dans les airs. Cent quatre-vingt sept de ces aviateurs,
pilotes de chasse, méritèrent le titre d'As de guerre pour avoir abattu
au moins cinq appareils ennemis en combat aérien. Louis Chartoire était
l'un d'eux ; il était même le dernier survivant de cette chevalerie
qui collectionna les victoires et personnifia la gloire. Il vient de
rejoindre, le 8 novembre 1992, le paradis des pilotes. Il avait 97 ans
et demi et son départ marque la fin d'une époque.
Aucun des As de la Grande Guerre ne combattait en vue du
trophée du meilleur buteur ou pour les honneurs du communiqué. Ce sont
les circonstances de cette guerre, pendant de longs mois immobile et
extraordinairement meurtrière, qui firent porter l'accent sur des combats
aériens singuliers et distinguer des héros parmi ceux qui menaient ces
combats. On se mit donc à décompter, selon des critères de confirmation
dont la rigueur était extrême, les avions abattus, alors même qu'on
songeait à peine à totaliser les heures de vol. Etre As de guerre signifiait
qu'on appartenait à une élite qui représenta, en tout, moins de un pour
cent des aviateurs, lesquels furent, tous, des guerriers valeureux.
Louis
Chartoire entra dans cette cohorte le 17 octobre 1917, jour de sa première
victoire. Il était aviateur depuis avril et breveté pilote à la date
du 26 juin. Mobilisé quelques jours avant Noël 1914, à l'âge de 19 ans
et demi, il s'était déjà distingué dans l'infanterie et avait été gravement
blessé en juillet 1915. En septembre 1917, il avait rejoint l'escadrille
des Archers
(la N, puis Spa 31) avec laquelle il fit la guerre jusqu'à l'armistice.
En 450 heures de vol de guerre et 198 patrouilles de chasse, il y obtint
les cinq victoires qui firent de lui un As, titre concrétisé par trois
citations à l'ordre du corps d'armée et deux à l'ordre de l'Armée. Il
termina la campagne avec le grade de sous-lieutenant et fut fait chevalier
de la Légion d'honneur en juin 1920.
Un
des avions SPAD
en service dans "l'escadrille des Archers".
Démobilisé,
il continua à se dévouer à la cause de l'aviation, fondant en 1920,
avec Gilbert Sardier,
autre As aux quatorze victoires, l'aéro-club d'Auvergne dont il fut,
à la tête de son conseil, un administrateur des plus actifs. De même,
président de la Chambre de commerce de Clermont-Ferrand-Issoire, il
fut un artisan majeur du développement de l'aéroport de Clermont-Ferrand.
Sur le terrain d'Aulnat, à l'aéro-club, à l'aéroport et même à la base
aérienne où sa chaude amitié lui ouvrait toutes les portes, la sagesse
de son expérience et son affabilité faisaient autorité.
Dans
l'entre deux guerres, i1 accomplit des périodes annuelles au "Cercle
aérien régional d'Aulnat";
il en fut, avec le grade de capitaine de réserve, commandant en second,
puis commandant et y fut rappelé au moment de la crise de Munich. En
1939, jugé à la fois trop âgé et plus utile au pays à la tête de ses
usines, il ne fut pas remobilisé.
Dans
le civil, Louis Chartoire avait en effet créé et dirigé un nombre impressionnant
d'entreprises d'importance. J'ai connu le président Chartoire en prenant
le commandement de la base aérienne d'Aulnat.
Il avait, en 1976, 81 ans déjà et dirigeait encore les ateliers mécaniques
du Centre ainsi que les entrepôts frigorifiques d'Auvergne, comme ils
présidait avec une autorité souriante et ferme le conseil d'administration
de l'aéroport. il accueillait d'emblée avec
le rang d'ami chacun des commandants de base qui se sont succédé à Aulnat.
Il était lui-même considéré avec la plus respectueuse affection par
tous les aviateurs de la base et il avait table ouverte à la salle à
manger du colonel. J'ai souvent regretté que la chère n'y pût se comparer
avec celle qu'on trouvait chez lui, d'une somptueuse simplicité. Il
me confia un jour comment il s'était lancé dans les affaires avec son
ami et complice de toujours, Gilbert Sardier.
Revenant de la guerre, ils étaient allés tous les deux trouver en ces
termes le propriétaire d'une usine à vendre "Nous voulons acheter
votre usine ; nous n'avons pas d'argent mais nous sommes As de Guerre".
L'affaire fut faite et on en conclura ce qu'on voudra, peut-être au
patriotisme de ce propriétaire... Une autre conclusion est qu'on n'est
pas As de guerre par hasard et qu'il y faut, entre autres ingrédients,
du caractère et le sens de l'initiative.
Louis
Chartoire, le 31 mai 1978, la veille de ses 83 ans
Louis
Chartoire était un homme de caractère, d'initiative et d'amitié. La
fortune lui sourit parce qu'il fut audacieux et sage. Grand officier
de la Légion d'honneur et Grand croix de l'ordre national du mérite,
il fut honoré à la mesure de ses capacités. Il mérita la considération,
l'affection et la fidélité. Lors de ses obsèques, à Chamalières, le
10 novembre dernier, l'Armée de l'air, qui est fidèle, était là. Son
escadrille était présente, en la personne de son commandant et d'un
officier, porteurs des fanions de la Spa 31
et de la Spa 48
(celle de Sardier). La base la plus proche,
Varennes-sur-Allier,
colonel en tête, rendait les honneurs. Les As de guerre étaient là,
avec leur drapeau, et leur président fit, de tous les discours prononcés,
le plus émouvant. Les pilotes de chasse aussi étaient présents, avec
leur président et leur drapeau. Le directeur de l'AIA et l'un des anciens
symbolisaient l'attachement de l'aviation militaire locale. Les commandants
successifs de la base aérienne d'Aulnat étaient représentés par le chef
du Service historique de l'Armée de l'air, lequel attestait aussi, par
son uniforme, que c'était bien un personnage historique de l'aviation
militaire qu'on célébrait.
Le
président Louis Chartoire, capitaine de l'Armée de l'air, dernier pilote
de chasse As de la Grande Guerre et président d'honneur de l'association
nationale des As, était né le 1er juin 1895.•
Auteur
de l'article : Général Lucien Robineau, Directeur du Service historique
de l'Armée de l'air.
Louis
Chartoire, à Aulnat, le 28 mai 1978, lors dune journée portes ouverte.
De
gauche à droite : Jean Salis, Louis Chartoire, Gilbert Chartoire
et le colonel Robineau, commandant la base aérienne 745 d'Aulnat. |
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Date
et lieu de naissance : 1er juin 1895 à Marsat (Puy de Dôme).
Venant
de l'infanterie, après avoir été grièvement blessé, Louis-Antoine
Chartoire demande à être incorporé dans l'aviation. Il y réussit
et remporte cinq victoires officielles, comme pilote à la Spa
31.
Il
sera fondateur de l'aéroclub d'Auvergne qui se nomme depuis peu
aéroclub d'Auvergne "Gilbert Sardier", en souvenir de
l'un des plus grands pilotes de France.
Il
était caissier de l'association nationale des as 1914 - 1918 et
depuis la mort de son ami Gilbert Sardier, c'est lui qui assumait
les difficiles devoirs de délégué général. Il fut ensuite président
d'honneur de l'association nationale des as.
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Tableau
des victoires homologuées de Louis Chartoire |
Numéro d'homologation
|
Dates |
Lieux |
1
|
17/10/1917
(1) |
Région
de Bruyeres (Drachen) |
2
|
04/08/1918
(2) |
(Avion) |
3
|
28/09/1918
(3) |
Région du bois du Bouc (Avion) |
4
|
02/11/1918 |
(Avion) |
5
|
Date
inconnue |
|
(1) Avec l'adjudant Blanc.
(2)
Avec l'adjudant Deley et le maréchal
des logis Gerbault.
(3)
Avec le sous-lieutenant Portron et le
maréchal des logis Jacquet.
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(Source: «Les
As français de la Grande Guerre», O. Perret S.H.AA.)
Photo
symbolique par excellence : Le dernier As de la Grande Guerre, Louis Chartoire,
son avion, le SPAD, l'nsigne de son escadrille "L'Archer Romain de la
SPA 31" monté sur un minéral d'Auvergne, sa province natale.
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