La recherche "Gonio" aérienne au GCREO et la CAER

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Responsable de la publication : Général (2s) Jean-Marc Degoulange (Président)
Auteur : Éric Kersch

 Créée en 1948, la Compagnie Autonome d'Écoute et de Radiogoniométrie (CAER), devient l'unité militaire de recherche de Renseignement Technique en Indochine. Cette unité, armée par des personnels de l'Armée de Terre (Métro et colo), de l'Armée de l'Air, de la Gendarmerie et des personnels civils, est répartie en petits détachements sur l'ensemble des provinces (Tonkin, Laos, Annam, Cochinchine et Cambodge).

 Mise en place à partir du Groupement des Contrôles Radioélectriques en Extrême Orient (GCREO), sa principale activité consiste à rechercher et à intercepter les réseaux radio Vietminh. Cette recherche comporte plusieurs variantes telles que les organismes de propagande en radiodiffusion, les liaisons radio à grandes distances et les réseaux des unités militaires. Pour les deux premières catégories, la position des émetteurs ne présente pas un intérêt important car, d'une part elle est  généralement connue et de surcroit, elle est fixe.

En revanche, les émetteurs militaires sont mobiles, mais surtout, ils sont attachés en permanence au poste de commandement qu'ils desservent. Si ce poste se déplace parce que son unité est mise au repos, l'intérêt de sa position subsiste, mais dans une moindre mesure, alors que, lorsque son unité effectue un large mouvement de contournement pour venir attaquer là où on ne l'y attend pas, elle devient déterminante.

La technique qui permet de suivre la mobilité géographique d'un émetteur radio s'appelle la radiogoniométrie. Néanmoins, cette technique, pour efficace qu'elle puisse être, ne peut pas œuvrer seule. Les Écoutes, dont elle est le complément, assurent la veille permanente des réseaux 24h sur 24h afin de ne pas perdre le fil de qui est qui.

Les multiples changements de fréquences et d'indicatifs (les noms des stations) ainsi que les changements d'horaires de travail ou les modifications dans les niveaux des liaisons, toutes pratiques ayant pour but d'égarer l'écouteur, nécessitent une attention constante incompatible avec les nombreux déplacements des rares stations gonio mobiles.
Autres éléments très contraignants dans ce jeu du chat et de la souris, les magnifiques paysages indochinois mêlant montagnes calcaires, deltas immenses, végétation luxuriante ainsi que l'omniprésence d'eau dans tous les fonds de vallées sont autant d'obstacles naturels au déplacement automobile.

Difficultés notablement renforcées par les aménagements en tous genres fruit de l'ingéniosité Vietminh. Mines, pièges, inondations, touches de piano (succession de trous de forme et d'espacement régulier dans les routes) ou ponts détruits transformant le quotidien des conducteurs en calvaire sans fin, voire définitif.
Afin de remédier à toutes ces contraintes, il a été décidé de faire de la radiogoniométrie par avion! Excellente idée qui va devenir une source de renseignement de très haute qualité mais au prix d'un long et douloureux développement et ce, d'autant plus pour l'Armée Française, que les recherches techniques sur ce domaine se sont arrêtées en juin 1940.

La première tentative revient au GCREO en 1947 avec un radiogoniomètre mobile SFR RG1 à bord d'un Morane Saulnier MS 500 "Criquet" aussi connue sous son appellation d'origine Fieseler Storch FI 156. Cette première méthode n'est pas nouvelle car elle était régulièrement utilisée par les services de la radiogoniométrie nazie KWÜ (Kurz Wellen Überwachung) pour la recherche des radios clandestins en France durant l'occupation. Activité parfaitement connue par le lieutenant Lassalle lorsqu'il était lui-même opérateur radio clandestin en zone sud en 1943.

En 1948, de nouveaux essais sont menés, mais l'avion est abattu le 6 novembre. Le chef de mission, le lieutenant LASALLE et l'opérateur gonio de la CAER, l'adjudant-chef PERROTIN, aidé du pilote, réussissent à détruire l'avion ainsi que les très importants documents utilisés avant de se défendre avec acharnement contre le Vietminh pour finir par devoir se rendre faute de munitions. Fait prisonnier, le lieutenant LASALLE s'évadera le 7 novembre 1950 et rejoindra les lignes françaises. Il sera rapatrié sur la métropole fin 1953. L'adjudant-chef PERROTIN sera cité à l'ordre de l'Armée. [*]

En 1949, le Capitaine ABS, chef des services techniques du GCREO installe un radiogoniomètre SFR 45 à cadre tournant sur un gros C47 Dakota dans la tourelle de navigation. Bien que l'avion ne soit pas un modèle de discrétion, l'écoute est possible et les résultats des essais au sol sont corrects dans l'axe de l'avion.

Au cours des essais en vol à 400 pieds (120 mètres d'altitude) les résultats sont excellents pour un émetteur situé à 40km dans l'axe de vol mais se dégradent très vite avec l'altitude ou le changement de cap. Autre élément remarqué, la nature de la polarisation du champ électrique de l'onde interceptée influe de manière prépondérante sur les résultats, ce qui n'est pas pour faciliter la recherche technique.

Toujours en 1949, une nouvelle tentative est expérimentée sur C47 mais avec un radiocompas BENDIX en ondes courtes jusqu'à 7MHz dont le cadre blindé est positionné sous le nez de l'appareil. Malheureusement, les résultats ne sont pas au rendez-vous, soit parce que les signaux sont trop faibles, soit parce que les résultats souffrent d'une trop grande variation ne permettant pas de déterminer un point.

De 1949 à 1950, les essais sont effectués sur Junker 52 , mais cet avion se révèle bien trop bruyant avec sa carcasse en tôle ondulée qui résonne comme un tambour, empêchant ainsi les opérateurs d'entendre les stations radio à localiser. Néanmoins, quelques résultats satisfaisants furent obtenus mais présentant un caractère occasionnel trop éloigné des besoins de précisions recherchés.

En 1950, le capitaine THOMAS remplace le capitaine ABS comme chef des services techniques du GCREO.
Celui-ci continue les essais en cours, plus particulièrement sur C47 Dakota, mais s'oriente rapidement vers une autre solution. Dans un premier temps, le C47 est remplacé par un Beechcraft D-18S , petit avion de transport bimoteur plus manœuvrant que le précédent. Cet appareil est équipé d'un radiocompas de bord (SCR 269 F) qui permet d'obtenir la direction d'arrivée d'une onde afin, soit de suivre cette direction, soit de faire plusieurs mesures sur des fréquences différentes pour déterminer sa position approchée.

Le premier problème que pose ce radiocompas, est son adaptation aux systèmes aéronautiques de repérage dont les fréquences sont comprises entre 0,2 et 1,7 MHz, une bande de fréquence très basse et très étroite par rapport aux besoins (de 2 à 10 MHz). Le deuxième problème provient de la nature de l'antenne. Le radiocompas est en effet équipé de 2 antennes.

Une antenne "fouet" (verticale courte) pour la recherche des stations d'émission et une antenne "cadre" pour déterminer la direction d'arrivée de l'onde avec 180° d'erreur en raison de l'absence d'antenne de "lever de doute". Le capitaine THOMAS décide de fabriquer un adaptateur fréquentiel pour permettre l'utilisation du radiocompas dans la gamme de 2 à 12 MHz. Cela nécessite de réaliser le changement de fréquence pour les deux antennes en même temps, afin de conserver la cohérence de phase du signal traité provenant des deux antennes sous peine d'erreur de relèvement et de maintenir la sensibilité du radiocompas pour ne pas le rendre "sourd".

Cet adaptateur, conçu et réalisé dans les services techniques du GCREO à Saïgon à partir d'éléments existants (cadre et cordons), est complété par des pièces de récupération provenant d'un radiogoniomètre SFR RG1 et de divers accessoires. Malgré le manque de matériels de laboratoire et de composants électroniques appropriés, l'adaptateur fonctionne mais nécessite une mise au point et des réglages pointus.

La société Air France Saïgon, basée sur l'aérodrome de Tan Son Nhut , met à disposition du GCREO sa cabine blindée (cage de Faraday) et ses appareils de mesure afin de finaliser la mise au point de l'appareillage construit qui va prendre le nom d'adaptateur "THOMAS". Le système fonctionne en affichant 472 kHz, qui sert de fréquence d'entrée, sur le radiocompas. "Effectuez ensuite la recherche de la fréquence à mesurer sur l'adaptateur en position "antenne" puis basculez en position "cadre", affinez le réglage puis basculez en mode "radiocompas" sur les deux appareils" et la direction de l'émetteur s'affiche directement sur le cadran du tableau de bord du pilote. Il ne reste plus qu'à prendre ce cap et se laisser tirer vers l'émetteur. Au moment du passage à la verticale de la station radio, l'aiguille du cadran va se retourner de 180° indiquant que l'on vient de la dépasser. Le navigateur peut, dès lors, calculer les coordonnées de l'emplacement sur la carte.
Anecdote: il est à noter que les enseignements de la première guerre mondiale en matière de cartographie adaptée aux positionnements des émetteurs radio obtenus par la radiogoniométrie ne furent pas suivis d'effet après 1918. En effet, le calcul de la position d'un émetteur à partir de relevés de directions "radioélectriques" nécessite un système de projection cartographique conservant les angles et non les distances. La réalisation de cartes à petite échelle (1/50 000) ainsi qu'un bon carroyage n'étant pas compatible avec ce besoin, il a fallu s'adapter.

La mise au point fut longue et délicate mais fructueuse. La distance de début d'audition et de relèvement s'établit entre 40 et 50 km. De 2 à 6 MHz la précision est très bonne car l'aiguille se retourne au passage à la verticale de l'émetteur. De 6,5 à 10 MHz apparait une erreur systématique (environ 3°) positionnant l'émetteur sur la gauche de l'avion avec un basculement de l'aiguille trop tôt.  En ce qui concerne le cap à prendre lors de la première interception d'un émetteur, lorsque celui-ci se situe derrière l'avion l'aiguille du radiocompas oscille de plus ou moins 5 degrés en permanence, indiquant en cela au pilote un changement de cap de 180°. Cette oscillation est probablement due aux doubles dérives du Beechcraft qui perturbent la réception par phénomène de diffraction.

A l'issue de cette mise au point, une procédure de mise en œuvre et de recherche fut rédigée. Les opérateurs gonio et les pilotes ont effectué de nombreux entraînements afin de s'aguerrir sur toutes les variantes rencontrées (altitude, distance, puissance des émetteurs, effets des différentes antennes et/ou polarisation). Les possibilités de calcul de position à partir de relevés lointains furent également développées en utilisant la vitesse de l'avion pour obtenir plusieurs mesures avec une bonne parallaxe à partir de caps stables et connus.

A la fin de l'année 1951, la radiogoniométrie par avion était opérationnelle.  Les derniers tests furent effectués à grande distance sur les émetteurs de radiodiffusion très puissants du Sud-Vietnam. Les premiers résultats opérationnels sont obtenus en avril 1952 par le repérage précis en 4 vols du PC d'un haut commandant Vietminh responsable des forces se dirigeant sur le nord Laos.

Début mai 1952, l'avion est demandé par le général commandant en chef (état-major 2ème bureau) pour être utilisé au Tonkin. Les premiers résultats sont formidables. Sur les 5 émetteurs recherchés, 3 sont localisés sans difficulté et les 2 autres n'ont pas émis assez longtemps pour permettre de finaliser leur position.

En septembre 1952, la brièveté des émissions Vietminh impose la mise en place d'une liaison radio entre le centre d'écoute qui suit le réseau et l'avion qui survole sa zone d'intervention. Cette évolution de la méthode impose le camouflage des éléments transmis, la mise au point d'une nouvelle procédure et un entrainement intensif des opérateurs afin d'optimiser les délais de réaction.

A la fin de l'année 1952, la gonio avion fonctionne très bien mais avec un seul appareil! L'efficacité du système a ouvert des possibilités immenses en termes de renseignement. La montée en puissance des forces Vietminh et le soutien de plus en plus appuyé de la Chine imposent de pouvoir disposer de plusieurs exemplaires d'avion adaptés à la radiogoniométrie afin d'être en mesure de positionner l'ordre de bataille de l'adversaire sur le terrain.

A partir de 1953, plusieurs actions vont être menées pour répondre à cet emballement. En attendant de pouvoir faire construire en France un appareil dédié à cette fonction, l'adaptateur "THOMAS" sera construit rapidement en plusieurs exemplaires. Il est prévu d'utiliser (à partir de décembre 1952) des avions Grumman "Goose" de l'escadrille 8S de l'aéronavale (Cat Laî) équipés de l'adaptateur "THOMAS" car ils possèdent le même radiocompas que le BEECHCRAFT D18S fourni par l'Escadrille de Liaison Aérienne 52 (ELA 52 Tan Son Nhut) .

Du 1er au 8 février 1953, le D18S gonio effectue 50 heures de vol en 13 missions de localisation. Sur les six derniers jours, les résultats sont tellement remarquables qu'il n'est plus envisagé d'autres méthodes pour répondre aux immenses besoins en localisation des émetteurs Vietminh. L'escadrille du Haut-Commissariat Français (HCF) en Indochine (ELA 52 ) dispose de 3 D-18S qui vont tous acquérir la capacité "THOMAS" afin de garantir au minimum un appareil disponible quotidiennement. L'adaptation d'un appareil photo est également requise afin de mieux préciser les emplacements détectés.

L'évolution des besoins en avions équipés entraine parallèlement un besoin accru en pilotes possédant une solide formation sur la région et détenant la qualification au vol sans visibilité. Seuls les pilotes des avions de transport déjà sur le théâtre indochinois répondent à ce besoin, ce qui pose un gros problème de priorité opérationnelle dont la décision revient au « Généchef » ! Le 2ème bureau s'est déjà positionné à ce moment-là en faveur des avions gonio en raison des renseignements apportés, susceptibles d'orienter la manœuvre terrestre comme aérienne.

Pour mai 1953, 4 autres adaptateurs "THOMAS" supplémentaires doivent être livrés par la France mais les services techniques du GCREO, ne sont toujours pas en mesure de réaliser la mise au point des appareils en raison du manque de cabine blindée (cage de Faraday) alors que le HCF a commandé d'autres Beechcraft. Parallèlement, le Ministère Français des relations avec les États Associés doit verser 3 millions de francs au Centre National d'Études des Télécommunications (C.N.E.T) pour faire étudier un nouvel appareil reprenant les principes du système "THOMAS" soit un radiogoniomètre décamétrique de bord!

Au 7 novembre 1953, 4 avions Beechcraft D-18S sont équipés et 5 Beechcraft C45 doivent être livrés par les États-Unis pour recevoir le système "THOMAS" et devenir opérationnels début 1954.

En décembre 1953, l'utilisation intensive des avions de l'ELA 52 nécessite une importante maintenance. Pour les révisions générales, les avions sont déséquipés de leurs système "THOMAS" avant d'être envoyé sur Hong Kong ou Manille. En revanche, pour l'entretien courant, les matériels spécifiques ne sont pas démontés,  on ne peut donc pas faire appel à du personnel civil local pour des raisons de confidentialité. Cette nécessité de protéger l'avion et son équipement inclus également une zone de stationnement et d'entretien gardée, ce qui ne facilite pas la mission.

Auteur : Éric Kersch

Citation à l'ordre de l'Armée :

Adjudant-chef PERROTIN Jacques de la Compagnie Autonome d'Ecoute et de Radiogoniométrie.

Volontaire pour accomplir en avion une mission spéciale particulièrement dangereuse, son appareil ayant été abattu le 6 novembre 1948 par le feu des rebelles, a montré les plus belles qualités de courage et de sang-froid. Avec l'aide de ses deux camarades d'équipage, a détruit l'avion et les importants documents qu'il contenait, puis a opposé une violente résistance aux nombreux rebelles qui les attaquaient, tuant un des assaillants et en blessant deux. N'a été capturé que succombant sous le nombre après avoir épuisé ses moyens de défense.