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Lieutenant-colonel Pierre Colin

11/08/1900 - 21/02/1944

3ème RAC Châteauroux
1ère escadrille du 37ème RAO (Maroc)
1ère escadrille VR 551
2ème RAC (2ème Groupe) (Strasbourg puis Tours)
6ème escadrille SPA 84
Groupe de Chasse I/8 Marignane (à l'origine)
3C2 "Trident ailé" - Escadrilles 4C1 "Lion bondissant

(article extrait de la revue des Vieilles Tiges "Pionniers" d'avril 1993 - publié "traditions-air" avec la volonté de son petit-fils Benoît Colin)

Hommage au Commandant Pierre Colin (1900-1944) fusillé par les allemands à Lyon-La Doua le 21 février 1944

Jeunesse

Né à Toul, en Lorraine, le 11 août 1900, le commandant Pierre Colin était le sixième et dernier enfant d'une famille alsacienne lorraine protestante. Son père, d'origine lorraine, capitaine d'infanterie, vient de mourir prématurément, peu avant sa naissance. Il ne le connaîtra donc pas.

Par sa mère, il était petit-fils d'alsaciens, son grand père, François-Xavier Schaal, maréchal-ferrant militaire et patriote fougueux, est né à Geispolsheim et sa grand-mère, Emilie Jung, à Offendorf. L'annexion de l'Alsace par l'Allemagne après la défaite de 1870, leur interdisait le retour au pays, et au moment de la retraite, ils s'étaient fixés à Toul, au plus près de la nouvelle frontière, face à « la ligne bleue des Vosges » pour attendre l'heure tant espérée de la délivrance et du retour au pays chéri. C'est donc très naturellement que, veuve avec six enfants et peu de moyens, leur fille vient s'installer chez eux avant la naissance, dès 1900, d'autant plus que se trouve également à Toul, une sœur de Madame Colin avec son mari médecin et leurs sept enfants. Ainsi, Pierre va passer toute sa jeunesse dans cette ville militaire, où la garnison atteint trois fois le chiffre de la population civile et où naturellement vibre l'enthousiasme patriotique le plus fervent.

Le petit garçon, aux traits fins et aux yeux bleus clairs, va grandir dans l'ambiance joyeuse, sinon facile, et moralement très riche du nombreux clan familial, ou trois générations cohabitent harmonieusement et où on inculque, par l'exemple, les principes qui font les grands caractères. Mais il va aussi grandir en même temps que l'aviation militaire naissante. Comme sa famille protestante, où la foi chrétienne n'est pas une simple façade, cette aviation, qui émerge doucement, va le marquer profondément. L'aérostation et l'aviation militaire, en effet, font preuve, à Toul, d'une grande activité dans les années qui précèdent 1914 . Des dirigeables y sont basés et les premiers aviateurs militaires s'y posent dès 1909. Une escadrille de Henri Farman s'installe sur le terrain de la Croix de Metz en octobre 1912 et des meetings d'aviation, où l'on se rend en foule pour attendre des heures le décollage éventuel d'un appareil, s'y déroulent. Quel climat pour un jeune écolier comme Pierre, dont les cahiers et les livres se couvrent de silhouettes d'aéronefs, peu en rapport avec les sujets scolaires. Le rêve est là, qui alimente la pensée ...Il ne le quittera plus.

Août 1914, c'est la guerre. Les frères aînés, Georges, mobilisé, Robert, officier de zouaves, et Jean, préparant Saint Cyr au Prytanée militaire de La Flèche, partent. La famille, elle, restera à Toul malgré la proximité du front et c'est dans l'ambiance du front, au son du canon de Bois-le-Prêtre, sous les premiers bombardements par avions, peu redoutables encore, au spectacle, trop rare à son gré, des premiers combats entre avions, que Pierre poursuit ses études. Il réunit déjà dans un album, méticuleusement tenu, toutes les photos d'avions qu'il peut trouver ou que son cousin germain, Pierre Bouchon, maréchal des logis, pilote sur Maurice Farman VII puis XI et cité trois fois pour sa conduite, en particulier à Verdun, en mars 1916, lui apporte quand il peut venir embrasser sa famille à Toul. On comprend que les récits de ce grand cousin admiré vont nourrir et renforcer une vocation déjà bien établie. Cependant, un jour de 1916, le frère chéri, Robert, lieutenant au 3ème Zouaves, est tué à Douaumont et la tristesse de tous renforce encore la conviction. Pierre sera aviateur et officier, pour venger ce frère bien-aimé, peut-être, encore que vingt-huit ans plus tard, il écrira dans son dernier message « qu'il soit pardonné à nos ennemis et que nos enfants ne soient pas élevés dans la haine », pour servir le pays, sa patrie, sûrement. Opiniâtre, il travaille d'autant plus que sa mère refuse de le laisser s’engager avant ses dix-huit ans et son baccalauréat, qu'il obtient en juin 1918.

Vie militaire

Le 11 août 1918, jour tant attendu de ses 18 ans, il peut enfin s'engager au 135ème Régiment d'Infanterie dont son frère commande une compagnie. L'instruction militaire est très rapide et avec une section d'infanterie, il parvient à partir au front, mais, heureusement, les hostilités se terminent enfin et avec elles un des grands drames de l'histoire. Nommé caporal et démobilisé en novembre 1919, après quelques mois passés de l'autre côté du Rhin, il prépare le concours de l'Ecole Spéciale Militaire de Saint Cyr, où il est admis en octobre 1920, promotion " La Devise du Drapeau ".

Le jeune homme est mûr, volontaire, rigoureux et l'un de ses meilleurs camarades, brillant et héroïque officier lui aussi, le décrit ainsi : " Nous l'appelions le " petit Colin ". Il était l'officier le plus complet de la promotion. Nous avions bien distingué tout de suite qu'il était le meilleur ; Au physique, le visage ouvert, les lèvres serrées, les yeux clairs, calmes et durs, pas un pouce de taille perdu, menton en proue. Au physique comme au moral : tiré à quatre épingles ". Et le ciel ne l'oublie pas, qui permet pour la première fois à une vingtaine de saint-cyriens de sortir directement dans l'Aviation. Ainsi, Pierre voit se réaliser ses rêves de jeunesse, cette vocation aéronautique qui le tenaille depuis l'enfance. Nommé sous-lieutenant le 1er octobre 1922 et classé dans l'Aéronautique, le voilà au centre d'instruction aéronautique d'Avord où il commence à voler, avant de rejoindre Istres comme élève pilote en février 1923. Lâché sur Spad 34 le 4 mai 1923, il est breveté le 8 juin 1923, après 40 heures de vol dont 21 en double commande. Les arrêts de vol, dus au mistral ou aux caprices de la mécanique, n'ont pas entamé sa passion, son calme et sa gaîté. Il poursuit sa formation, toujours à Istres, sur Salmson , Spad 13 et Nieuport 29 , puis au centre d'instruction de tir et de bombardement à Cazaux. Après une dure période sans voler parce qu'il est en stage à l'école des mécaniciens de Bordeaux, d'octobre 1923 à avril 1924, il parfait sa formation au centre d'études de l'Aéronautique à Villacoublay sur Breguet 19 et Caudron 59 et à nouveau à Istres sur Caudron 59 et Nieuport 29.

Le 1er octobre 1924 il est nommé lieutenant et affecté au 3ème régiment d'Aviation de Chasse à Châteauroux sur Nieuport 29 . A cette époque, la situation au Maroc se détériore gravement, Abdel Krim y a soulevé le Rif. L'insurrection s'étend rapidement et face à une situation angoissante, le commandement fait appel à l'intervention de l'Aviation pour soulager les postes, en partie submergés, et les groupements mobiles épuisés. Pierre Colin, qui apprécie peu Châteauroux et son calme, il le dira à ses proches par la suite, se porte immédiatement volontaire et rejoint la 1ère escadrille du 37ème régiment d'Aviation à Fez, en juin 1925. Ce n'est pas de chasse qu'il s'agit mais, avec les vieux Breguet 14, d'appui aux troupes au sol, c'est à dire de reconnaissance photo ou à vue, de bombardements, de ravitaillement en vivres et munitions de postes isolés ou de colonnes mobiles et d'évacuations sanitaires, dans des conditions climatiques difficiles, dans des régions arides et chahutées, et face à un ennemi mordant, au tir précis. Energique et brave, volontaire pour toutes les missions, il fait preuve d'un superbe entrain, disent ses chefs, volant comme pilote et également comme observateur, accomplissant de très nombreuses missions et faisant quotidiennement jusqu'à cinq bombardements. Il est abattu en mars 1926, près de Bou-Redoub en limite de la zone de dissidence, et s'en tire heureusement sans blessures. Trois fois cité par le général commandant supérieur des troupes au Maroc et la situation s'étant stabilisée il peut rentrer en France le 1er juillet 1926.

C'est durant son congé et au moment où il rejoint le 2ème régiment d'aviation de chasse à Strasbourg, qu'il rencontre et épouse à Metz, où se trouvent maintenant sa mère, ses deux sœurs et son frère Jean, en moins de deux mois, celle qui sera sa femme pour le meilleur et pour le pire. Le meilleur, avec une vie familiale particulièrement heureuse et la naissance de deux garçons dont l'aîné portera le nom de son frère Robert, ne durera que treize ans jusqu'à la déclaration de guerre de 1939 et cette femme exemplaire en garde toujours fidèlement la mémoire depuis bientôt cinquante ans.


Le capitaine Pierre Colin au 2ème RAC à Strasbourg en 1926.

Affecté au 2ème groupe , 6ème escadrille, unité qui conserve les traditions de la SPA 84 "Tête de Renard" , le lieutenant Colin vole sur Nieuport 29 et Spad 81 puis, à partir de mai 1929, sur le tout nouveau Nieuport 62. Il prend le commandement de cette 6ème escadrille en décembre 1927, est nommé capitaine à Noël 1929 et chevalier de la Légion d'Honneur cinq jours plus tard.

La vie est belle à Strasbourg pour tous ces jeunes officiers, pleins de santé et de vitalité, et ils ne se privent pas de la dévorer sur le terrain de Neudorf comme à la Maison Rouge, leur lieu de rassemblement préféré.

Demandé pour la Mission Militaire Française auprès de l'armée hellénique, le capitaine Colin quitte, en octobre 1931,avec un peu de nostalgie, son cher 2ème de Chasse pour les cieux plus ensoleillés d'Athènes, où il passera un peu moins d'un an comme instructeur Aviation de Chasse de l'armée grecque. La mission, interrompue faute de moyens financiers du gouvernement grec, il n'est pas mécontent, en octobre 1932, de rejoindre à nouveau Strasbourg et le 2ème de Chasse, comme adjoint au chef du 2ème groupe. L'agréable vie mondaine athénienne n'était pas assez aéronautique et opérationnelle pour son goût

Les conditions générales d'évaluation des menaces conduisant à éloigner des frontières les unités aériennes, le 2ème de Chasse est déplacé en juillet 1933, à Tours , où il prendra en octobre la dénomination de 2ème escadre d'Aviation légère de défense (EALD). Le capitaine Colin est nommé adjoint au commandant d'escadre, poste qu'il conservera jusqu'au 1er janvier 1936, date de sa mutation à Marignane.

Sur ce terrain est, en effet, créé à cette date la 8ème escadre d'aviation légère , nouvelle escadre qui intègre dans l'Armée de l'Air, récemment créée, des escadrilles de la Marine et en particulier celles constituant le groupe 1/8 (escadrilles 3C2 du Trident Ailé et 4C1 du Lion Bondissant ). Pierre Colin est nommé adjoint du commandant du 1/8, groupe qui est équipé de Nieuport 622 , alors qu'arrivent les Dewoitine 501 , monoplans à aile basse.


Alignement de Nieuport Delage Ni-D 622 C1 de l'escadrille 3C3 de l'Aéronautique navale prise à Marignane en 1934. Cette escadrille est transférée à l'Armée de l'air le 01/01/1936. Depuis lors et suite à une erreur (choix d'une appellation antérieure à celle de 3C3), elle a été appelée 4C1 dans l'Armée de l'air..


Dewoitine D.501 n°169 - 2ème escadrille (4C1) du GC I/8 - Marignane - 1937 (zoom ).  

C'est en juillet 1937 qu'il prend le commandement du groupe de Chasse 1/8 , unité à laquelle il se dévouera corps et âme durant plus de trois ans, donnant le meilleur de lui-même et qu'il conduira au combat en 1939-1940. C'est là, sans doute, la période la plus exaltante et enrichissante de la vie du commandant Colin, malgré la terrible et douloureuse campagne de France. N'est-il pas, en fait, chef de bande, entraînant une équipe très compétente et particulièrement soudée que la guerre, ses misères, ses deuils et ses actions d'éclat unira encore plus.

Victime d'un grave accident sur multiplace Bloch 200 en août 1938, il reprend son commandement dans les plus brefs délais, malgré ses souffrances, et assure en même temps l'intérim du commandant d'escadre, le titulaire, le colonel Dugand, venant de se tuer. C'est la période de l'alerte de Munich. Il est nommé commandant en septembre 1938 et va dorénavant se consacrer, avec encore plus de fougue, à la préparation du groupe à la guerre, qui parait inévitable.

A la déclaration de guerre, le 1/8 est concentré sur le terrain de Hyères-Palyvestre depuis le 25 août 1939 où il a pour mission, avec son matériel Dewoitine, d'assurer la défense aérienne de Toulon. Le commandant Colin juge la situation du personnel navigant très brillante avec 29 pilotes, dont une bonne moitié particulièrement bien entraînée pour le combat, de jour comme de nuit. L'ensemble des personnels au sol, spécialistes brevetés, est très bon. La véritable anxiété est que le matériel avion, très bon, est périmé même si la conviction est que son emploi peut tout de même donner de bons résultats, comme l'a confirmé la récente campagne de tir. Malgré tout, on envie fort les unités favorisées et on se demande bien quand le tour du 1/8 viendra pour l'équipement en avions modernes. Groupe de coopération maritime, il n'est pas prioritaire.

La situation reste calme et le commandant Colin s'emploie, comme il le fera toujours, à entretenir la motivation en tenant en permanence son monde en haleine et en faisant fermement la chasse au désordre et au désœuvrement. En janvier et février 1940, les Bloch 152 tant attendus sont progressivement livrés et le groupe, porté à l'effectif de 36 avions, procède à sa transformation et à la prise en main de ce matériel dont la mise au point, armement en particulier, n'est hélas pas terminée.

Après un crochet par Cherbourg-Maupertus, (couverture des embarquements prévus pour la Finlande qui n'auront pas lieu) terrain boueux dont il ne pourra décoller que pour partir définitivement dans l'Est, le groupe rejoint le terrain de Toul Velaine , aux ordres du groupement 22, le 1er avril 1940. L'activité en avril est médiocre, en raison des conditions atmosphériques et de la mise au point du matériel nouveau perçu, Bloch 152 modifié, version N49, dont l'armement laisse toujours à désirer.

Vient la brutale offensive du 10 mai 1940 qui précipite le groupe, comme toutes les armées françaises, dans la tourmente. Face à une supériorité numérique écrasante, de nombreuses missions sont effectuées et les premières victoires remportées, en même temps que surviennent les premières pertes. Missions incessantes de protection des bombardiers, de couverture, de destructions même, sur la Meuse, sur l'Aisne, sur la Somme, sur la Loire et jusqu'à Bordeaux et Toulouse. La Chasse allemande, Messerschmitt 109 et 110 en particulier, est partout présente et le combat est farouche. A l'écrasante fatigue de ces combats, s'ajoutent les difficultés dues aux replis très fréquents, souvent dans des conditions acrobatiques, la faible autonomie du Bloch 152, par ailleurs apprécié de ses pilotes pour sa solidité et la puissance de son armement (une fois au point), obligeant à rester le plus près possible de la ligne des combats. Le commandant Colin décroche toujours au dernier moment. Ainsi, durant la période du 10 mai au 24 juin, dix déplacements sont opérés et des avions en panne au moment du départ récupérés dans des conditions acrobatiques et dangereuses. L'ardeur de la lutte et la désorganisation générale ainsi que l'inertie de certains, ont fait que le groupe a rapidement pris l'habitude de vivre seul, ne comptant que sur ses moyens qu'il a adaptés en conséquence. Le commandant Colin qui met un point d'honneur, avec la complicité active et efficace des mécaniciens, à avoir la disponibilité maximum, donne tout ce qu'il peut de lui-même. Entraîneur d'hommes, modèle de fermeté et très proche de ses personnels, il sait galvaniser les énergies et ses ordres sont toujours nets et précis. Particulièrement exigeant, quelquefois sec mais généreux, il sait toujours, à l'occasion, récompenser le dévouement et la peine qu'on se donne par un sourire ou un compliment. Il était un chef par le cœur et par l'esprit et dans l'adversité et la tristesse, il a su impassiblement communiquer à tous sa volonté et son obstination. L'un de ses très jeune et très brillant pilote résume ses attitudes en disant : " Le 1/8 était comme une grande famille qui avait trouvé en Pierre Colin l'autorité paternelle ".

Du 10 mai au 25 juin 1940, le 1/8 remportera 40 victoires sûres, perdra 8 pilotes, 4 autres étant blessés et effectuera plus de 1000 sorties. A l'issue de la campagne, le commandant Colin est cité à l'ordre de l'Armée de l'Air et il est promu officier de la Légion d'Honneur à titre exceptionnel " pour avoir remarquablement combattu au cours des opérations de mai et juin 1940 ".

Résistance

Ramené de Toulouse à Montpellier-Fréjorgues, le 1/8, qui ne peut, faute d'un rayon suffisant de ses avions, rejoindre l'Afrique du nord, au grand regret de son chef et de son personnel, passe en 1941 sous l'autorité du commandant Bernard Challes, dans le cadre de l'Armée d'Armistice. Eloigné des avions et de ses pilotes, Pierre Colin, affecté à l'État-major du sous-secteur de défense aérienne sud-ouest à Montpellier, souffre beaucoup de la situation où se trouve le pays, lui dont l'enfance a été bercée par le souvenir de l'Alsace annexée et de la grande guerre. Il songe, dès 1940, à rejoindre la France Libre et s'en est ouvert à son frère Jean, en garnison à Clermont-Ferrand, qui l'en a dissuadé : il a une famille et surtout les jeunes, qu'il vient de conduire brillamment au combat, ont encore besoin de lui ; il est plus utile là qu'ailleurs. Sa femme et ses fils, auxquels il s'ouvre largement de ses pensées, seront les témoins attentifs et émus de ce rude combat intérieur qui le ronge. Il ne peut et ne veut rester spectateur. La mélancolie et l'amertume ne durent pas, et déjà l'action le ressaisit. Le choix est fait dans la joie, il faut continuer coûte que coûte, comme officier de l'ombre, la bataille à l'intérieur du pays occupé, avec les pauvres moyens dont on dispose. L'objectif est double : d'un côté, disperser et mettre à l'abri, en vue de l'avenir dont il ne doute pas un instant qu'il sera victorieux, le maximum de spécialistes formés et compétents et de matériels sensibles - armes, munitions, postes radio... - de l'autre, nuire par tous les moyens à l'ennemi. Alors que la zone sud est encore réputée libre, il s'attache à la première de ces tâches, s'occupant tout particulièrement de ses anciens sous-officiers, pilotes ou non navigants spécialistes, dont beaucoup porteront témoignage. Puis dès 1942, il entre en contact avec les réseaux de renseignement, les services de renseignement alliés se préoccupant particulièrement des questions aériennes pour lesquelles il est orfèvre. En novembre 1942, à la suite de l'occupation de la zone libre par les armées allemandes, il se lance dans la résistance active, passant, sous le pseudonyme de Georges Robert (les prénoms de ses frères aînés), dans la clandestinité complète début 1943, suite à une altercation avec un officier allemand.

Son activité, déjà grande, se développe alors considérablement et on le voit beaucoup circuler de Toulouse à Marseille et dans l'arrière-pays languedocien, en moto et en voiture. Dans le domaine du renseignement militaire, il recueille des informations sur les installations et le déploiement de l'aviation allemande, par l'intermédiaire de tous ses anciens sous-officiers qui ont suivi son orientation. Il les transmet par le canal du chef du secteur de Montpellier des réseaux Ajax et Mithridate, avec lequel il est en relation depuis l'été 1941. Parallèlement, et toujours compte tenu de son expérience aéronautique, il participe à l'organisation de l'atterrissage clandestin de nuit d'appareils venus d'Angleterre, amenant et ramenant des agents en mission. Combien de fois rentrera-t-il à Montpellier, le regard brûlant de fatigue, disant presque à regret qu'il aurait pu être à Londres aujourd'hui. Il reprend toujours, avec courage et détermination, le travail obscur entrepris.

 Mais tout ceci n'est qu'accessoire, complément, sa préoccupation majeure restant les hommes, qu'il faut, dès 1943, regrouper, cacher, préparer pour la grande revanche, le jour venu. Organisant les regroupements, rassemblant l'armement et les munitions, répartissant les fonds venus de l'extérieur, il est l'âme de la création de l'Armée Secrète dans le département de l'Hérault, au sein de la Région R3 du réseau " Combat " auquel il appartient. Des maquis s'organisent, où il envoie de très nombreux jeunes gens, des groupes de combat se créent, des forces nouvelles se dévoilent, la confiance et l'espoir renaissant sous sa vigoureuse et contagieuse impulsion. Après son arrestation, l'essor donné portera ses fruits. En plus, et toujours avec l'idée bien ancrée de nuire le plus possible à l'ennemi, pensant intensément à ses compatriotes alsaciens, incorporés de force dans la Wehrmacht, il s'intéresse particulièrement aux luxembourgeois qui, il l'a remarqué, sont en nombre significatif dans les troupes d'occupation de la région. Les ayant approchés, il monte une véritable organisation de désertion pour ces étrangers, incorporés de force dans l'Armée allemande. Il réussit ainsi à faire déserter plusieurs groupes de militaires, stationnés à Montpellier, Carnon et Palavas, leur procure des effets civils et les fait héberger chez des sympathisants puis diriger sur des maquis ou des filières d'évasion pour passer la frontière. Cette action est source de graves difficultés pour les autorités allemandes qui redoublent de vigilance. Dans cette période troublée et cette lutte sournoise, le commandant Colin est entouré du commandant Louis Maurel, ingénieur du service des fabrications, du commandant Bernard Challes, du sergent Alphonse Queneler et de l'adjudant Pouponneau, de l'intendance de l'Air. Tous savent les risques encourus et les assument pleinement.

La Gestapo veille, et déjà en juillet 1943, l'étau a failli se resserrer définitivement. Heureusement, une information annonçant l'arrestation de Pierre Colin, la nuit suivante, à son domicile, est parvenue au réseau. Un agent du réseau, polonais réfugié en France, est venu prévenir sa femme, alors qu'il est absent et ne doit rentrer qu'en fin d'après-midi par le train. Moment tragique, il ne faut pas hésiter. Madame Colin, lucide et sereine, envoie son fils aîné Robert prévenir son père à la gare, pendant qu'elle prépare le petit nécessaire pour que Pierre ne rentre pas chez lui, et que son deuxième fils Gabriel remettra à son père sur une avenue de la ville convenue : Il ne doit pas savoir où se cache son père, qui a préparé cette éventualité. La Gestapo viendra la nuit, comme annoncé, et repartira bredouille. Pierre Colin ne reviendra jamais plus chez lui.

Mort

Et voici, alors que la désertion d'un nouveau groupe de luxembourgeois de se prépare, que la Gestapo, dont la surveillance s'est encore resserrée, arrête, le 8 octobre 1943, l'un de ces incorporés de force, qui allait au rendez-vous de l'adjudant Pouponneau, avec lequel les détails de l'opération devaient être mis au point. Remontant la filière, les Allemands arrêtent, le jour même, Pouponneau, puis, à son domicile clandestin, le commandant Colin ainsi que Maurel, qui tombe dans la souricière tendue par la police allemande. Tous les trois, réunis dans l'action et l'arrestation, le resteront jusqu'à la mort. Pendant des semaines, personne ne saura ce qu'ils sont devenus, les autorités allemandes, venues perquisitionner la nuit même chez Madame Colin, ne fournissant aucune explication jusqu'à fin novembre, où parvenait à sa famille une lettre datée " en cellule ". Ce message marquait la fin de la douloureuse période de mise au secret et d'interrogatoires, dont on sait comment ils se passaient entre les mains de la sinistre Gestapo. Il n'avoua jamais rien et aucun de ceux qui étaient en liaison directe avec lui, et avec lui seul, ne furent inquiétés. Finalement, il est incarcéré à la prison militaire de Montpellier, dite la 32ème. Des mains anonymes et généreuses font épisodiquement passer de pauvres messages griffonnés sur de minuscules bouts de papier... Témoignages bouleversants de la vie de proscrit de Pierre Colin, mais aussi de l'humanité de simples particuliers qui transmettent ces reliques. En décembre, la police allemande précise qu'aucune condamnation n'est encore prononcée. C'est l'angoisse pour ses proches, alors que Pierre, lui, sait parfaitement à quoi s'en tenir. Enfin, le 26 janvier 1944, les autorités allemandes autorisent sa femme et ses deux fils à venir le voir à la prison. Entrevue pathétique, en présence de deux policiers allemands, qui durera une heure. On saura plus tard que Pierre était chargé par les Allemands, d'annoncer à sa famille sa condamnation à mort, quelques jours avant, le 17 janvier, par un tribunal militaire. Cet acte lui avait été notifié par un greffier et un interprète, donnant une justification d'apparence légale à un arrêt de mort, décidé depuis longtemps.

Les chefs d'accusation sont les suivants :
1 - Commandant de l'Armée Secrète en zone sud
2 - Espionnage
3 - Détournement de soldats de leur devoir militaire
4 - Préparation d'attentats terroristes.

Naturellement Pierre ne dit rien. Physiquement méconnaissable, le visage particulièrement marqué par ce qu'il vient de vivre, mais le regard toujours aussi étincelant, il garde un courage magnifique et une exceptionnelle maîtrise de lui-même, qui lui permettent de rester serein, souriant et même enjoué, mais méprisant vis à vis des policiers allemands. A la fin de l'entrevue, alors qu'il embrasse les siens, ses dernières paroles, restées gravées dans la mémoire de ses trois proches, seront : " Il faut vivre dans la foi et l'espérance, c'est tout ce que l'heure nous permet. " Alors qu'ils s'éloignent tous les trois dans la cour de la prison, le petit Gabriel, qui se retourne, surprend derrière la vitre, le visage décomposé de son père qui sait, lui, qu'il ne reverra jamais plus sa famille. Ce visage et ce regard, restés à jamais gravés dans son esprit, lui donnent comme à sa maman, l'intuition du drame qui se joue.

Le lendemain, enchaîné à ses deux camarades, Pierre est transféré à Lyon par le train, faisant comprendre à ses amis, qui surveillent la gare, que tout est fini. Il passe les dernières semaines qui lui restent à vivre au fort de Montluc, prison militaire de Lyon, où nombreux, hélas, passeront des résistants sur le chemin de l'exécution ou de la déportation. Ses amis, qui ont vainement travaillé à sa délivrance, n'hésitent devant aucune démarche pour essayer de le sauver. Averti par la police montpelliéraine, le secrétariat à la Défense Nationale à Vichy s'efforce d'obtenir, sinon sa grâce, du moins la commutation de sa peine. Les Allemands se montrent intraitables.

A Montluc, Pierre seul, toujours au secret dans sa cellule noire et froide de condamné à mort, n'est déjà plus de ce monde. Sa pensée, soutenue par sa foi ardente, qui lui vient, on l'a vu, du plus profond de sa famille, est déjà dans l'au-delà. La Bible qu'il a pu recevoir et conserver, est le seul support de sa méditation. Un jeune militaire allemand, pasteur protestant, parlant assez correctement le français, fut autorisé à le rencontrer 20 minutes seulement, le 15 février 1944, à la prison, alors que l'exécution a été reportée du 11 au 21 février. Il sera également là le 21 février. Son témoignage dès avril 1944 à Lyon, forcément réservé, puis plus complet en 1946, après la guerre, permet de savoir quels ont été les derniers instants et les dernières pensées de Pierre. Pour le 15 février, il résume ainsi son entretien : " Au départ, j'eus l'impression qu'il m'avait rendu un plus grand service que moi à lui, par son attitude tranquille, recueillie face à la mort inéluctable et imminente, qui provenait d'une grande force de caractère, de la connaissance claire de la parole biblique et de la foi en Dieu notre Sauveur. Je venais le préparer et je trouvais un homme prêt ".

Le 21 février, deux heures avant l'exécution prévue pour 17 heures et qui vient d'être annoncée aux trois condamnés, Colin, Maurel et Pouponneau, réunis à ce moment, il précise que Pierre " très fort et très maître de lui, n'a jamais manifesté la moindre appréhension. Presque enjoué il parle beaucoup des siens, plus spécialement de sa femme qu'il sait courageuse, de ses fils, de sa mère âgée et de son frère de Clermont ". Avec fermeté, il écrit à son frère et à sa femme son suprême adieu, ses ultimes recommandations. " Cette lettre reflète pleinement l'attitude intérieure que Monsieur Colin montrait pendant ces heures, tout comme à ma première visite du 15 février ", dit le pasteur, qui ajoute, " la teneur sereine et tout à fait biblique de la lettre, dont le contenu fondamental s'est gravé en moi, m'a profondément ému, car je dus aussi la lire ". Cette lettre sera expédiée, deux jours plus tard, à son frère Jean et sera pour sa famille la confirmation de l'exécution du jugement. Les condamnés sont alors transférés de Montluc au stand de tir de La Doua.

Au moment de l'exécution, alors que le peloton est prêt, Pierre, apercevant le pasteur qui vient d'arriver, l'appelle. " Il craignait apparemment, dit-il, de ne pouvoir me transmettre sa dernière parole. M'approchant, je le saisi par le bras, il me regarda avec des yeux rayonnants - jamais je n'oublierai ce regard là - et je ne pus dire aucun mot, alors que lui-même disait " je suis plein d'espérance de la Vie Eternelle ".

Quelques instants après, en même temps que ses camarades de combat, il entrait dans cette Vie Eternelle.

Les autorités allemandes ne rendirent pas le corps et ne fournirent aucune explication. Après la libération de Lyon, des recherches patientes commenceront pour retrouver, autant que possible, les nombreux disparus. Ces recherches, menées par la Croix-Rouge, aidée par la Police judiciaire, permettront enfin, en août 1945, à une équipe conduite par un apôtre, humble frère franciscain, de retrouver et d'identifier, à proximité de la butte de tir de La Doua, le corps de Pierre, à même la terre, soudé à ceux de ses deux camarades. Il a pu ainsi, après les obsèques nationales des 67 victimes retrouvées à La Doua, célébrées le 30 septembre 1945, à l'initiative de la ville de Lyon, recevoir une digne sépulture. En soldat exemplaire qu'il fut, il repose au cimetière militaire, créé sur les lieux mêmes du drame au pied de la butte de tir, à quelques mètres de l'endroit de son martyre.

Le Général de Gaulle le citera à titre posthume :

" Officier supérieur de l'Armée de l'Air, animé d'une indomptable foi patriotique et d'un esprit du devoir élevé. N'a jamais cru en la défaite définitive de la France, et a manifesté dès l'Armistice de 1940 son attachement aux destinées de la Patrie.

Agent d'un service de renseignement dans la région Languedoc-Roussillon, a mis toute son activité et son énergie au service des Alliés, leur fournissant un grand nombre de renseignements concernant l'Aviation.

Un des créateurs de l'Armée Secrète dans la région méridionale, a jeté les bases de l'organisation des maquis dès 1943 et a recruté un nombreux personnel.

Sans souci pour sa sécurité, a organisé des désertions importantes dans les formations allemandes de la région de Montpellier.

Tombé entre les mains de la Gestapo, le 8 octobre 1943, a subi d'innombrables interrogatoires, au cours desquels il s'est confiné dans un mutisme farouche, malgré les tortures qui lui furent infligées. Transféré à Lyon et condamné à mort a été fusillé le 21 février 1944.

Est mort en soldat et en patriote. "

Ainsi vécut et mourut glorieusement l'enfant de Toul, aviateur, officier, patriote et chrétien exemplaire. Il était petit par la taille, mais si grand par le cœur, le courage et le caractère.


Aix en Provence, novembre 1992

Gabriel COLIN Ingénieur Général de l'Armement

Publié dans la revue des vielles Tiges " PIONNERS " en avril 1993



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