L’Escadre 12
a été formée le 20 Février 1918 sous le commandement du Chef d'escadron
Vuillemin
; jusqu'à la victoire, elle n'eut pas d'autre chef.
Ses incomparables compagnons de l'aviation de corps d'armée, les Lieutenants
Moulines et Dagnaux,
l'avaient suivi dans la nouvelle escadre. Moulines, un .splendide
soldat, à l'esprit droit, animé du plus pur patriotisme, énergique, entraîné
et formé par les sports, avait été longtemps pour le commandant un observateur
à la fois avisé et téméraire, infatigable, soutenu par un courage et une
volonté rares. Il était devenu pilote à son tour. Dagnaux, qui
avait aussi déjà brillamment secondé le commandant dans les missions de
corps d'armée, allait être le bombardier-mitrailleur habile et sans peur
dans les nouvelles expéditions. Beau guerrier, aussi modeste que brave,
déjà trois fois blessé, il était revenu du front avec une jambe de bois,
pour participer de toutes ses forces, avec sa valeur militaire et son
ardeur toujours grandissante, aux durs combats qui libéreraient la terre
française.
L'Escadre était composée du G.B. 5, du G.B. 6 et du G.B. 9. Le G.B. 5,
formé par les escadrilles de jour 117
,
120
,
127
,
provenant du dédoublement de l'ancien. G.B. 5, était commandé par le Capitaine
Petit. Le G.B. 6,
escadrilles 66
,
108
et 111
,
dédoublement du G.B. 3, par le Capitaine de La Morlaix
; et le G.B. 9,
escadrilles 29
,
123
,
129
,
dédoublement du G.B. 4, par le Capitaine de Lavergne.
Tous ces groupes étaient dotés du "Bréguet XIV B2". L'effectif
en personnel navigant était de 300 pilotes et mitrailleurs environ ; à
l'armistice, huit mois après sa composition, l'Escadre comptait 110 tués.
Elle fut composée presque exclusivement de volontaires.
Dès sa formation, l'Escadre reçut une mission de sacrifice. La brusquerie
de l'attaque allemande conduisit le haut commandement à jeter dans la
mêlée son aviation de bombardement de jour, en l'employant à une tâche
pour laquelle elle n'était pas préparée, tâche périlleuse entre toutes
et dont chacun avait pesé (l'avance les difficultés : le bombardement
de champ de bataille. L'aviation ennemie, puissante et mordante ; les
conditions du bombardement, qui exigeaient (les vols à faible hauteur,
ne laissaient aucun doute dans l'esprit des bombardiers sur leur sort
futur. Qu'importe, il s'agissait d'aider les camarades fantassins dans
les circonstances difficiles et de contribuer au salut de la France. Tous
le savaient, tous avaient fait d'avance avec fermeté le sacrifice de leur
vie, et leur attitude ne s'est jamais démentie. Certains équipages s'étaient
entraînés au vol de nuit et utilisaient les qualités de vitesse et de
montée rapide du "Bréguet" pour attaquer à la bombe et à la
mitrailleuse tous les objectifs intéressants.
Les premiers mois furent terribles. Sur les colonnes ennemies qui s'avançaient,
des tonnes de projectiles furent déversées par des temps souvent très
défavorables. A chaque expédition plusieurs équipages manquaient à l'appel,
presque toujours tombés en flammes au milieu de leurs camarades impuissants.
Malgré ces atroces spectacles, les plus poignants des combats aériens,
il n'y avait aucune défection pour un second départ. Rentrés au terrain,
les appareils renouvelaient leur provision d'essence et de munitions,
et les équipages demandaient souvent eux-mêmes à repartir immédiatement
pour venger leurs morts en semant la terreur dans les rangs ennemis.
Du 20 Février au 27 Mars 1918, le G.B. 5 et le G.B. 6, stationnés à Mairy-sur-Marne
et Cernon, opéraient en Champagne, et lançaient sur l'ennemi, en bombardements
de jour et de nuit, 57.059 kilos de projectiles.
De
jour, les expéditions se faisaient à haute altitude (4.000 à 4.500 mètres)
et visaient les gares, les dépôts, les voies ferrées, les terrains d'aviation.
Des équipages faisaient des reconnaissances à vue et rapportaient (les
renseignements précieux. Quand la chasse ennemie parvenait à rattraper
les bombardiers, c'était si haut qu'elle avait perdu sa supériorité de
vitesse et de manœuvre ; les combats se terminaient toujours à notre avantage.
La nuit, quelques équipages attaquaient, à la bombe et à la mitrailleuse,
les cantonnements, les trains et les terrains d'aviation à très faible
altitude. Le 26 Mars, le Capitaine Moulines est tué ; ce fut le
premier. Magnifique soldat, camarade admirable ; héros de l'aviation d'observation,
aimé et estimé de tous, ayant puissamment secondé le commandement dans
la rénovation de l'aviation de bombardement, il tombait, sans avoir eu
la joie de voir son labeur porter ses fruits. A côté de lui, il faut associer
le Lieutenant Richet dans le même culte. L'estime, la sympathie,
l'admiration que ces deux « as » inégalables avaient l'un pour l'autre
rend leurs noms indissolubles. Tous deux sont tombés sans avoir vu la
victoire de la France, frappés par le même inexorable destin ; Moulines,
de nuit, par la balle aveugle d'un G.V.C. ; Richet, atteint le 29 août
par les bombes d'un camarade.
Tous nos tués (Français ou Américains venus pour combler nos vides) représentent
une phalange de héros qui ont donné leur vie avec un tel esprit de sacrifice
et une telle abnégation, qu'ils ont forcé l'admiration des plus blasés
et des plus sceptiques.
Beaucoup sont demeurés inconnus du commandement et du public, l'aviation
de bombardement (le jour étant devenue l'infanterie de l'air, où l'individu
n'existe plus en dehors de son groupement. Plusieurs étaient déjà des
« as » du bombardement de jour dont les expéditions célébres étaient connues
de tous.
Le 24 Mars, l'armée allemande avait enfoncé le front anglais. Les avions
du G.B.5 allèrent atterrir à Esquennoy, à 5 kilomètres au nord-est de
Breteuil, mais revinrent dans la même journée en Champagne, où l'on craignait
une autre attaque.
Le 27 Mars, l'Escadre se transportait au Plessis-Belleville. Elle arrivait
en pleine bataille et devait garder un poste d'honneur jusqu'au dernier
jour de la guerre. Elle fut rejointe par le G.B. 9 et entra, avec l'Escadre,
dans la composition du Groupement Ménard. Immédiatement engagée
dans la bataille sur le front des 1e, 2e et 6e armées, l'Escadre participait
à l'arrêt des troupes ennemies sur le front Moreuil, Montdidier, Ressons-sur-Matz,
inaugurant le bombardement et le mitraillage en masse à très faible altitude.
L'ardeur, le dévouement des équipages permettaient de lancer 73.517 kilos
de projectiles et de retarder l'avance ennemie sur un front de 25 kilomètres
sans troupe. Nos bombes et nos mitrailleuses remplaçaient l'artillerie
et l'infanterie pendant trois ou quatre jours. Sept avions ennemis étaient
sûrement abattus. Il ne s'agissait plus d'aller à grande altitude atteindre
au loin chez l'ennemi ses grandes gares régulatrices. On bombardait les
arrières immédiats du champ de bataille : les cantonnements, les bivouacs,
les convois, les troupes en marche, toujours entre 200 et 1.800 mètres,
pour que le tir soit plus précis sur ces objectifs mobiles et de surface
restreinte, et pour que la mitrailleuse puisse compléter l'œuvre des bombes.
Ham, Guiscard, Roye, Jussy, Tergnier, les cantonnements de Hangest et
le Quesnel, la gare de Saint-Quentin, furent aussi bombardés. Le temps
nuageux et la pluie empêchaient souvent la marche en gros pelotons. Les
appareils partaient et se battaient par petits groupes de deux ou trois.
Les incursions de nos avions avaient obligé l'ennemi à masser des forces
d'aviation considérables. Les combats se multipliaient et devenaient acharnés.
Le monoplace avait repris sa supériorité de vitesse et de montée rapide
: les pertes étaient lourdes. Le 28 Mars, le Maréchal des logis Audinot
était tué; trois jours après, deux équipages étaient abattus; Baleaud,
excellent pilote ; Polonceau, jeune caporal observateur, s'écrasaient
au sol chez l'ennemi. Le 10 Avril, le Sergent Sauvaget, mitrailleur
de la 129, était tué; le 12 Avril, c'était le Sergent Mitrailleur Frédières,
du G.B. 6. Le lieutenant Abadie, commandant la 117, héros modeste
et consciencieux ; le Lieutenant Mativon, son frère d'armes qu'il
venait d'appeler à son escadrille, tombaient glorieusement le 21 Avril.
Le même jour, le Maréchal des logis Pinatel était mortellement
blessé.
Par ordre du 21 Avril, le G.B. 5 était cité à l'Ordre de l'armée dans
les termes suivants.
« Le Général de Division de Castelnau, commandant le Groupe d'armées
de l'Est, cite à l'Ordre de l'armée :
Les escadrilles 117, 120 et 127 du 5e groupe de bombardement.
Sous la vigoureuse impulsion du Capitaine Vuillemin, commandant
le groupe, et du Capitaine Petit, commandant les escadrilles de
jour de ce groupe ; des Lieutenants Richet, Lemaitre et Abadie, chefs
d'escadrilles, se sont fait remarquer par leur allant, leur audace et
les grandes pertes qu'elles ont infligées à l'ennemi, lançant en plein
jour près de 110 tonnes d'explosifs sur des objectifs souvent très éloignés
des lignes.
Au cours d'une expédition en Allemagne, ont supporté victorieusement le
choc de nombreux avions de chasse ennemis et en ont abattu trois, dont
un en flammes. »
Le 1er Mai, l'Escadre se transportait à Fouilloy (Somme) pour travailler
sur le front des 1e et 3e armées. Le mauvais temps rendait le déplacement
difficile. La nouvelle zône d'opération était la grande boucle de la Somme,
entre Corbie, Péronne et Ham. Le 3 et le 10 Mai, bombardement de Chaulnes
; le 9, deux expéditions sur Caix et Guillancourt ; le 15, Davenescourt
et Nesle. Le Lieutenant de Sainte-Chapelle était tué le 4 Mai d'une
balle au cœur, après s'être défendu jusqu'au bout, malgré les blessures
déjà reçues. Le 16 Mai, l'Escadre 12 était rattachée à la division aérienne
qui venait d'être créée, le groupement Ménard devenait 1ère brigade
d'aviation sous le commandement du Commandant de Goys. Le 17 Mai,
au bombardement des hangars ennemis de Cappy, le Lieutenant Dusapin
était tué, son appareil désemparé. Le Sous-Lieutenant Tanner, d'origine
suisse, dans un geste splendide de camaraderie, se portait à son secours
et mourait pour la France, qu'il avait choisie comme grande patrie. Dans
la même expédition, le Maréchal des logis Mohr était tué d'une
balle à la tête. 49.026 kilos de projectiles avaient été lancés pendant
cette période et 5 avions ennemis abattus. Le 29 Mai, l'Escadre rejoignait
le Plessis-Belleville et travaillait sur le front des 6e et 10e armées,
participant aux combats du ravin de la Savières.
Dans cette nouvelle bataille, qui commençait entre Aisne et Marne, chacun
se rendait compte que la situation exigeait tous les dévouements, tous
les sacrifices. Il fallait faire face à l'attaque allemande sur le Chemin
des Dames, déclenchée dans la nuit du 26 au 27 Mai. Le 30 Mai, la mort
du Lieutenant Lebarbu, déjà célébre dans l'aviation d'observation,
marquait le début d'une période de durs combats. Le lendemain, l'Escadre
perdait les équipages Artin, Galbrun, Béranger, Wolff,
de la 29 ; Lecomte, Garcette, de la 129. Deux jours après,
c'était Istria qui tombait dans nos lignes ; puis l'observateur
américain Eymann qui était abattu en flammes avec le Maréchal des
logis Contel, de la 129. Le G.B. 5 perdait les Lieutenants de
Loture et Xambo ; les Adjudants Ordronneau et Dupriez,
vieux brave de 45 ans ; le Sergent Gresnal ; le Caporal Guillain.
Le 4 Juin, le commandant de l'Escadre, transmettait par la voie de l'ordre
les félicitations qu'il recevait :
De tous côtés affluent les remerciements des fantassins pour l'aide immédiate
qui leur est apportée par les bombardements de champ de bataille. Hier
encore le bombardement du ravin de « la Savières a enthousiasmé la 128e
division ; il a probablement retardé une forte attaque qui n'a pu être
déclenchée que ce matin et a été repoussée. Les bombardiers forcent l'admiration
de tous.
Le Chef d'escadron commandant l'Escadre adresse ses félicitations à tout
le personnel des groupes, pour le travail considérable qui a été fourni
par eux depuis le début de l'offensive allemande et notamment depuis le
31 Mai.
Pendant les journées des 31 Mai, 1er, 2 et 3 Juin, l'Escadre a lancé 105
tonnes d'explosifs sur l'ennemi et a abattu 13 avions allemands (homologués).
»
Le 4 Juin, le Sous-Lieutenant de La Chapelle et son mitrailleur
de Massin étaient tués. Le 9 Juin, deux appareils du G.B. 5 entraient
en collision au-dessus de l'objectif et les équipages Maréchal des logis
Ropartz et Caporal Milloud ; Maréchal des logis Boulanger
et Sous-Lieutenant Ménand tombaient chez l'ennemi. Le 12 Juin,
au bombardement de Resson-sur-Martz, l'équipage Maréchal des logis Bossard,
Sergent Leyre tombait en flammes près de l'objectif. Le 14 Juin,
le Lieutenant Gicquel, de la 29, était tué au bombardement de Soissons.
L'ennemi, qui avait découvert le nid de ses redoutables adversaires, bombardait
3 nuits de suite le terrain du Plessis Belleville, sans grand dommage
pour l'Escadre. Dans cette dure période, 191.330 kilos de projectiles
avaient été lancés, 17 avions ennemis abattus. L'attaque allemande était
enrayée. Le 4 Juillet, l'Escadre rejoignait Saint-Dizier et y procédait
à la reconstitution des unités éprouvées et à l'entraînement des éléments
nouveaux. Le Capitaine de La Morlaix, prenant le commandement de
l'Escadre 13, était remplacé au G.B. 6 par le Capitaine Roux. Le
15 Juillet, la période des opérations offensives commençait. En Champagne,
elle s'effondrait dans notre première position ; mais, entre Dormans et
Jaulgonne, elle réussissait à passer la Marne. L'Escadre bombardait alors
les ponts et passerelles jetés sur la Marne par les boches, réussissait
à en couper plusieurs et mitraillait les convois qui engorgeaient les
débouchés des ponts intacts. Le 17 Juillet, elle recevait les félicitations
du commandant de la 1ère brigade de bombardement, transmises par le commandant
de l'Escadre en ces termes : « Le commandant de l'Escadre est heureux
de transmettre à tout le personnel sous ses ordres les félicitations du
commandant de la 1ère brigade, pour le beau travail qui a été accompli
pendant les 2 premiers jours de l'offensive et particulièrement dans la
journée du 15. »
Les 15 et 16 Juillet :
1° Plus de 50 tonnes d'explosifs ont été lancées avec efficacité sur les
passages de la Marne et les rassemblements de troupes.
2° Des renseignements importants ont été rapportés par les équipages.
3° 5 avions ennemis ont été abattus.
Le commandant de l'Escadre est heureux de ce beau résultat et il est fier
de commander à des équipages qui, tous les jours, remplissent leurs missions
avec entrain, courage et adresse.
Le 18 Juillet, les 6e et 10e armées passaient à l'offensive. Les missions
de l'Escadre avaient alors pour but d'aider l'artillerie à interdire la
retraite aux troupes allemandes aventurées sur la rive sud de la Marne.
Les immenses approvisionnements qu'elles avaient entassés pour leur offensive
commençaient à refluer vers l'arrière. Les gares devenaient des objectifs
intéressants. Celle de Fère-en-Tardenois était attaquée le 19 ; puis,
c'était les dépôts de Romigny, et les cantonnements de Rosnay, Grieux,
Janvry, Courcelles, Sopicourt, Savigny-s/-Ardre, où les troupes épuisées
et venues au repos croyaient trouver la sécurité momentanée.
Des améliorations avaient été apportées dans les conditions du bombardement.
La protection immédiate était assurée par des groupes d'appareil R. XI,
fournis par les escadrilles 239 et 240, qui avaient été rattachées à l'Escadre
et dont les équipages accomplissaient des prodiges d'adresse et de courage.
Les "Bréguet" étaient munis de sièges blindés pour le pilote
; des mitrailleuses étaient placées sous le fuselage pour battre l'angle
mort. Le 28 et le 29 Juillet, bombardement de Fismes, Jonchery-s/-Vesle,
Savigny-s/-Ardre. Au cours du bombardement le Sous-Lieutenant Delval
avait ses commandes coupées en combat ; il réussissait à revenir au terrain,
mais, à 40 mètres du sol, l'appareil s'effondrait brusquement ; Delval
mourait de ses blessures.
Le Sous-Lieutenant Delaitre de la 123
effectuait son 150e bombardement. Le 7 Août, la division aérienne était
massée derrière le front des 1e et 3e armées, pour participer à l'attaque
franco-anglaise de Picardie. Le 11 Août, au cours des bombardements de
Guiscard, Beaurains, Porquericourt, Genvry, les groupes avaient de nombreux
et durs combats : 6 avions ennemis étaient abattus, mais la 239 perdait
2 équipages, la 108 un (Lieutenant Barber, Adjudant Rivière)
et la 117 perdait en même temps que l'Adjudant Cambray,
le Sous-Lieutenant Kaciterlin,
chevalier téméraire pour lequel le danger n'existait plus lorsqu'il s'agissait
de protéger un camarade retardataire. Après quelques jours de répit employés
à l'entraînement au tir et au vol en groupe, l'attaque de la 10° armée
se déclenchait le 20 Août entre Oise et Aisne. Dans cette première journée,
l'Escadre comptait 148 sorties, 26.800 kilos d'explosifs lancés, 6.600
balles tirées sur objectifs terrestres, 2 avions ennemis descendus. L'escadrille
108 perdait son chef, le Lieutenant Marquès et le Lieutenant Maguet.
La 120 perdait les Lieutenants Gastets et Dufayet. Le lendemain,
deux sorties encore sur l'Oise et l'Ailette où l'ennemi s'approchait.
Le 22, Anizy-le-Château, Margival, Vauxaillon avaient la visite des groupes,
mais l'Escadre une fois de plus était frappée douloureusement encore :
Le Lieutenant Richet, commandant l'escadrille 117, est tué : une
intelligence magnifique et une volonté toute puissante dans un corps frêle
en apparence, la vivante incarnation du devoir. Le boche, qui l'avait
blessé deux fois, n'avait pu l'abattre ; les bombes d'un camarade, lâchées
au-dessus de lui, mirent son appareil hors de combat : il descendait doucement,
en spirales, mais les boches, furieux, l'achevèrent ainsi que son mitrailleur,
le Sergent Lods, à coups de fusils et de mitrailleuses.
Le 29 Août, Anizy-le-Château et Brancourt. Au cours de ce bombardement,
5 avions ennemis étaient sûrement abattus, 4 probablement. Le G.B. 6 perdait
le Sous-Lieutenant mitrailleur Bonfils. Le 31 Vauxaillon, Nanteuil-la-Fosse,
Neuville-s/- Margival étaient encore bombardés.
Pendant toute cette grande bataille, l'Escadre avait lancé 127.540 kilos
de projectiles, Elle recevait les félicitations du commandant de la 1ère
brigade aérienne, pour le beau travail effectué dans la journée du 29
Août.
« Le chef de bataillon, commandant la 1ère brigade aérienne est heureux
de porter à la connaissance de la 12e Escadre que le général commandant
en chef vient de citer cette unité à l'ordre de l'armée pour l'admirable
travail quelle a accompli depuis sa formation. » Par suite de cette citation,
la fourragère couleur croix de guerre est accordée aux escadrilles 117,
120, 127, 108, 111, 29.
Le commandant de la brigade décide que lecture sera donnée dans toutes
les unités de l'Escadre du rapport ci-joint établi à l'appui de la proposition
de la citation, en attendant que le motif lui-même paraisse au Journal
officiel.
Pour appuyer l'attaque que l'armée américaine allait faire sur St-Mihiel, toute la D.A. se déplaçait vers l'Est le 6 Septembre.
Le 12 et le 13, malgré la tempête, les bourrasques et les nuages très
bas, Chambley et Mars-la-Tour étaient bombardés.
Mais
cette expédition coûtait cher à l'Escadre ; le G.B. 9 était particulièrement
atteint ; au départ, le Lieutenant Quatrebarbes, pris dans un violent
remous, faisait une chute (le 100 mètres, l'appareil s'écrasait sur le
sol, prenait feu ; le Lieutenant Quatrebarbes était carbonisé,
son passager très grièvement brûlé.
Au retour, le Lieutenant Mariage pilote et le Lieutenant Lavidalie,
observateur, faisaient une chute ; l'avion s'écrasait sur le sol, prenait
feu et l'équipage était carbonisé ; 6 autres appareils se brisaient sur
le terrain. Ces sorties; effectuées dans d'aussi mauvaises conditions,
valaient à l'Escadre lés félicitations du Général Tranchard,
commandant l'aviation anglaise et du Général Pershing, transmises
le 16 Octobre par le commandant de la 1ère brigade aérienne et dont voici
le texte :
" Le chef de bataillon, commandant de la 1ère brigade de bombardement,
vient de recevoir du Général Tranchard,
commandant les forces indépendantes aériennes anglaises, la lettre suivante
:
« Mon Commandant,
« Je viens d'étudier une photographie indiquant les résultats du bombardement
effectué par la 1ère brigade aérienne le 10 Octobre. Permettez-moi, mon
Commandant, de vous faire part de mes plus chaleureuses félicitations.
Je vous envie de tels résultats et je suis convaincu que votre vaillante
brigade ne manquera pas de répéter la dose en l'augmentant.
J'espère que ces félicitations du grand chef de l'aviation alliée, grand
maître en matière d'aviation, sont des plus flatteuses et je m'empresse
de les porter à la connaissance de toutes les unités de la 1ère brigade
auxquelles revient tout l'honneur du travail accompli.
Le commandant de la 1ère brigade a reçu la lettre officielle suivante
du Major Général Patrick, chef du service de l'air du corps expéditionnaire
américain :
1° Nous avons eu le plaisir pendant quelques mois de pouvoir vous envoyer
un grand nombre de pilotes pour prendre part au remarquable travail de
vos groupes de bombardement et pour partager avec eux le péril et la gloire
de leurs missions.
2° Il a été prouvé que tous ces pilotes grâce à votre assistance et à
votre bon vouloir de leur laisser tenter la fortune avec les meilleurs
de vos équipages, ont été capables d'acquérir une certaine somme de succès
et sont arrivés à compter parmi les pilotes les plus valeureux du service
de l'air américain.
3° C'est un grand plaisir pour moi de saisir cette occasion pour vous
remercier sincèrement de votre assistance constante a diriger nos pilotes
et pour vous féliciter des succès qu'ils ont obtenus en travaillant avec
vous, succès qui mesurent à peine les splendides qualités de combat qui
sont devenues une tradition parmi les équipages placé5 sous votre commandement.
La lettre d'envoi qui accompagne ce témoignage officiel atteste en outre
que notre organisation du bombardement est la meilleure que connaissent
les Américains.
En transmettant cette lettre aux commandants des Escadres auxquelles en
revient tout l'honneur, le commandant de la brigade tient à rappeler la
lettre de félicitations que lui écrivait le Général Anglais Tranchard,
chef des forces aéronautiques indépendantes à la date du 16 Octobre, lettre
qui a été communiquée aux Escadres en son temps.
Les bombardiers; de jour peuvent être fiers d'avoir comme attestation
spontanée de leur bravoure, de leur vaillance, de leur organisation et
des résultats acquis, deux témoignages officiels émanant des plus hauts
chefs des armées de l'air de nos deux grandes alliées, l'Amérique et l'Angleterre.
»
Ramenée derrière le front de Champagne, dans la région de Sommesous, l'Escadre
suivait attentivement l'attaque de la 4e armée française et celle de la
1ère armée U.S. qui la prolongeait vers l'Argonne. Le 26, elle bombardait
et mitraillait les troupes dans la région comprise entre Sainte-Marie
à Py, les bois au nord de Somme-Py, le 27 dans la région d'Orfeuil et
de la ferme Medeat, le 25 dans le triangle Marvaux, Vieux-Montois, Sechault,
combattant en liaison intime avec l'infanterie, l'Escadre pilonnait les
abords immédiats de la première ligne où était massées les troupes de
réserve. Le 1er le 2 et le 3 Octobre, l'Escadre donnait littéralement
l'assaut aux lignes ennemies entre St-Etienne à Arnes et Semide, entre
400 et 800 mètres, elle passait au-dessus de notre infanterie, l'entraînait
dans un magnifique élan d'enthousiasme. Le Lieutenant Lemaitre,
commandant l'escadrille 120, avait effectué son 120e bombardement et l'Adjudant
Guignard de la même escadrille son 125e. Le Caporal pilote Aigueparsse
et l'Aspirant Affre se tuaient au départ.
Le 9 Octobre malgré les nuages bas, 85 sorties avaient lieu à faible altitude
; l'Escadre lançait sur l'ennemi 21.900 kilos de projectiles, 10.000 tracts.
6 avions ennemis étaient sûrement abattus, 3 probablement, l’équipage
du G.B. 9, Caporaux Delandier et Corbuzier
tombaient en flammes.
Le 10 Octobre, la 4e armée attaquait ; 20.600 kilos de projectiles étaient
lancés sur Vouziers. Le Capitaine Petit effectuait son 100e Bombardement
et pour la 3ème fois l'Escadre recevait les félicitations du commandant
de la brigade :
« La première phase de la bataille de France se termine par une brillante
victoire après quinze jours de luttes ardentes au cours desquelles les
bombardiers de jour ont écrit une des plus belles pages de leur si glorieuse
histoire.
304 tonnes de bombes, 100.000 cartouches, lancées sur l'ennemi représentent
le travail effectué pendant 12 jours de bataille. Les résultats sont inscrits
sur le terrain conquis : Machault, Cauroy, Semide, se sont en partie écroulés
sur l'envahisseur, les réfugiés français racontent l'épouvante des Allemands
pendant le bombardement de Vouziers, les écroulements de la gare, l'encombrement
des cadavres d'hommes et de chevaux dans la briqueterie. Pour accomplir
ce travail, les escadres de "Bréguet" effectuèrent 1375 sorties.
Les escadrilles de protection R. XI, 209.
Au cours de ces 1584 vols effectués par la brigade, 49 combats furent
livrés, 10 avions ennemis s'écrasèrent en flammes sur le sol. Deux des
nôtres restèrent à l'ennemi, un de nos observateurs bombardiers fut tué
par un éclat d'obus.
Tel est le bilan de la bataille ; nos Morts ont été vengés.
Pendant que nos formations puissantes et ordonnées survolaient les lignes,
en route sur leurs objectifs, un frisson d'enthousiasme courait sur le
sol, ranimant nos troupes fatiguées par la lutte, leur infusant de nouvelles
forces pont se jeter plus en avant. Ce sera pour les bombardiers la plus
haute récompense qu'un de nos grands chefs, dont le regard, pénètre à
fond l'âme du soldat, ait demandé dans la journée du 3 Octobre, de faire
tenir l'air le plus longtemps possible par les bombardiers afin d'enflammer
leurs camarades les fantassins par la vue des escadrilles volant à l'assaut.
Ainsi s'est réalisée l'allégorie des ailes de la victoire.
En regardant derrière eux, les bombardiers des escadres 12 et 13 peuvent
être fiers de l'œuvre qu'ils ont accomplie. Tous à la 1ère brigade y puiseront
la flamme et l'ardeur nécessaires jusqu'aux derniers : combats qui achèveront
la victoire. »
Le 27 Octobre, la 5e armée attaquait ; 89 avions lançaient sur Seraincourt
23.400 kilos d'explosifs et tiraient 9.750 cartouches dans les ravins
entre Séraincourt et Saint-Ferjeux.
Le 29 Octobre, au bombardement de Reinaucourt, l'Escadre lançait 22.700
kilos de projectiles, tirait 11.040 cartouches et jetait 30.000 tracts.
D'après une déclaration de prisonnier, de grosses pertes avaient été infligées
du fait, de ce bombardement et la relève n'avait pu avoir lieu. L'ennemi
reculait, mais défendait ses positions avec l'énergie du désespoir. La
division aérienne revenait. Le 1er Novembre à la 4e armée et opérait en
même temps avec la 1ère armée U.S. qui mordait sur le massif boisé à l'est
de Vouziers. Dans la région de Noirval et Châtillon-sur-Bar, des convois
auto qui encombraient la route étaient démolis, les troupes ennemies mitraillées,
80.000 tracts étaient lancés. Le 3 Novembre, Le Chesne, Tannay et les
rassemblements des troupes des environs étaient bombardés et mitraillés,
47.360 kilos de projectiles étaient lancés, 23.920 cartouches tirées.
; 3 avions sûrement abattus. Le lendemain sur Stonne, Le Besace et les
environs, 25.710 kilos d'explosifs lancés, 9.450 cartouches tirées, 2
avions ennemis abattus. A partir du 5, un mouvement de repli de l'Escaut
à la Meuse était signalé. La 4° armée était en marche sur Sedan.
Le 6 Novembre, l'Escadre bombardait Faissault et Launois ; le 8, à une
altitude variant entre 100 et 500 mètres, les groupes mitraillaient les
rassemblements de troupes sur les routes de Saint-Marcel à Grève. Ils
remarquaient que des draps blancs étaient accrochés aux clochers, et aux
maisons de Boulzicourt, Saint-Marcau, Francheville, Marnecourt. Le 10,
Mariembourg (à plus de 20 kilomètres à l'intérieur des lignes) et les
convois sur la route de Mariembourg à Philippeville étaient bombardés,
la gare de Fagnolle était atteinte. Le boche se retirait, un fouillis
inextricable de convois encombrait toutes les petites routes. Tous ces
objectifs recevaient 23.890 kilos d'explosifs et 12.750 cartouches.
Le 11 Novembre, l'armistice arrêtait les opérations et l'Escadre se transportait
dans la région de Neufchâteau à la place d'honneur qui lui était encore
réservée dans l'offensive préparée en Lorraine.
Ainsi, après avoir vaillamment contribué à arrêter l'offensive ennemie
en Avril, Mai, Juin et Juillet, l'Escadre 12 fut de toutes les grandes
attaques, soit pour y participer directement par le bombardement immédiat
du champ de bataille, soit pour les préparer par la destruction systématique
des voies ferrées, des magasins, des cantonnements de l'ennemi, soit encore
pour exploiter le succès par le harcèlement des troupes en retraite. L'apparition
d'avions survolant le champ de bataille à basse altitude, et leur participation
aux combats terrestres par le feu de leurs mitrailleuses et par l'attaque
à la bombe, exerçait au point de vue moral une influence considérable
sur les troupes. Ils portaient la confusion derrière la ligne de combat
ennemie, troublaient les communications et infligeaient des pertes sensibles
aux renforts amenés vers le champ de bataille.
Pour récompenser tant d'ardeur et de dévouement, pour honorer tous les
courageux équipages de cette valeureuse formation, le commandant de la
1ère brigade de bombardement transmettait à l'Escadre 12 deux citations
à l'ordre de l'armée.
« Je transmets aux commandants d'escadre les citations que leurs unités
viennent d'obtenir par leur courage, leur audace, « leurs sacrifices.
En accrochant la fourragère sur la poitrine de tous, ces citations sanctionnent
en fin de campagne l'œuvre magnifique des bombardiers de jour. C'est un
honneur bien mérité et que le Commandant de la brigade ressent avec la
légitime fierté d'être à la tête de cette superbe phalange.
BOMBARDIERS DE JOUR
Dans les heures les plus graves,
vous avez été jetés dans la mêlée, sans souci pour vos pertes, qui furent
cruelles, vous avez largement contribué arrêter la marche victorieuse
de l'ennemi. Pendant les mois qui suivirent, vous l'avez harcelé sans
aucun répit jusqu'à l'heure glorieuse où, battu il dut abandonner le sol
national et se rendre à merci.
Ce sont de belles pages que vous
avez écrites, parfois hélas, avec beaucoup de sang. N'oublions pas nos
morts !
Au moment où la conclusion de la paix va rendre à leurs foyers beaucoup
d'entre vous, votre fourragère formera le lien qui doit vous unir tous,
bombardiers de jour, dans le souvenir des équipées aériennes glorieuses
et douloureuses."
PREMIÈRE CITATION
« Entraînée par l'exemple magnifique de son commandant, le Chef d'escadron
Vuillemin, et de ses chefs de groupes, les Capitaines Petit,
de La Morlaix, de Lavergne, constitue par son entrain et
son audace, une unité d'aviation redoutable. A maintes fois fait sentir
à l'ennemi la valeur de son esprit offensif en le mitraillant et le bombardant
près du sol. Du 27 Mars au 27 Mai est intervenue dans la bataille de Picardie,
lançant 122 tonnes de projectiles. Du 29 Mai au 7 Juin, a participé aux
opérations entre Aisne et Marne, lançant plus de 191 tonnes de projectiles.
S'est distinguée particulièrement le 4 Juin en arrêtant dans son germe
une attaque allemande, par le bombardement en masse des troupes ennemies
rassemblées en vue de l'action dans le ravin de la Savières. Depuis le
15 Juillet, a contribué puissamment à rendre très difficile à l'ennemi
le passage de la Marne, lui coupant les passerelles par ses bombes. vigoureusement
poursuivi les troupes allemandes dans leur repli, lançant 147 tonnes de
projectiles. Au cours de ces diverses opérations, a abattu 43 avions ennemis
qui cherchaient à lui barrer la route de ses objectifs. »
DEUXIÈME CITATION
« Magnifique escadre sous les ordres du Chef d'escadron Vuillemin,
secondé par le Capitaine Petit, commandant le G.B. 5 (escadrilles
B.R. 117, 120, 127), le Commandant Roux, commandant le G.B. 6 (escadrilles
B.R. 66, 108 et 111), le Capitaine de Lavergne, commandant le G.B.
9 (escadrilles B.R. 29, 123, 129) et protégée par les escadrilles triplaces
de combat R. 239 commandée par le Capitaine de Verchère ; R. 240,
commandée par le Capitaine de Durat.
A été engagée sans arrêt depuis le 1er Août 1918 dans toutes les phases
de la bataille, y a puissamment fait sentir son action, a rempli ses missions
avec un courage et une abnégation sans borne. Jusqu'au dernier jour de
la guerre, n'a cessé de poursuivre l'ennemi de ses coups, semant le désordre
dans ses rangs et coopérant ainsi avec les autres armes à mettre l'ennemi
en déroute. Notamment : le 19 Août 1918, a jeté 37 tonnes de projectiles,
abattu sûrement 7 avions ennemis et probablement deux autres ; le 20 Août
a fait deux expéditions à-moins de 300 mètres d'altitude et jeté 27 tonnes
d'explosifs. Le 12 Septembre, malgré un temps absolument défavorable,
a bombardé les cantonnements de la Woevre, coopérant à l'attaque américaine
sur Saint-Mihiel ; le 25 Septembre n'ayant pu être employée de jour, a
bombardé de nuit des terrains d'aviation ennemie et attaqué des trains
; le 3 Octobre, a effectué trois expéditions dans la journée et abattu
3 avions ennemis ; le 10 Novembre dernier jour de la guerre, a bombardé
et mitraillé les convois embouteillés à Mariembourg, pénétrant ainsi,
à basse altitude, à 25 kilomètres dans les lignes ennemies.
Au cours de ces opérations, a jeté 611 tonnes de projectiles, tiré 218.000
cartouches, pris 797 clichés photographiques, livré 105 combats, abattu
officiellement 41 avions ennemis et désemparé 25 autres. »
A la suite de ces citations, les escadrilles 29, 66, 108 et 111 accrochaient
à leurs fanions la fourragère couleur de la médaille militaire.
Landau (Palatinat), le 15 Août 1919.
VUILLEMIN.
Fanion
de la Br. 120 (G.B. 5)
Insigne de la Br. 117 (G.B. 5).
Fanion de la Br. 127. (G.B. 5)
Avant
le départ
Au_decollage
Fanion
de la Br. 66 (G.B. 6)
Fanion
de la Br. 111 (G.B. 6)
L'Insigne
de la Br. 108. (G.B 6)
Br.
29 (G.B. 9)
Br.
123. (G.B. 9)
Br.
129. (G.B. 9)
Fanion
de l'escadrille R. 239 (Protection)
Fanion
de l'escadrille R. 240 (Protection)
Le
Commandant Vuillemin remet la rosette au Lieutenant Dagnaux.
(© Documents Jean Pieribattista) |