Colonel
Henri JEAN
Souvenirs
des vieilles guerres
Chroniques
du temps de paix et du temps de guerre
1935
– 1945
Préambule
Les chroniques figurant dans ce recueil sont regroupées en deux parties :
-
Les « Souvenirs des Vieilles
Guerres »,
-
Une série d’anecdotes plus brèves.
Toutes ces histoires sont authentiques et ont été vécues par
mon père Henri JEAN, entré à l’Ecole de l’Air en 1935,
et qui a participé à l’ensemble de la seconde guerre mondiale de 1939 à 1945.
La période couverte par ces récits va essentiellement de 1935
à 1945 : entrée à l’Ecole de l’Air, dont ce fut la première promotion,
attente en Algérie pendant l’été 1939, puis campagne de France en 1940 au
sein du groupe 2/38,
épisodes vécus dans le Groupe de Transport 3/15
de 1941 à 1943 et missions de bombardement au sein du Groupe Tunisie
, l’un des deux Groupes de Bombardement Lourds qui avaient
été intégrés à la Royal Air Force en 1943.
Ces récits étaient rédigés sous forme d’articles qui ont
été publiés dans la revue de l’Ecole de l’Air, entre 1978 et 1999. Ils sont
donc écrits dans un style très direct, comme un militaire parlant à d’autres
militaires. On y trouve donc certaines constantes :
-
des termes techniques qui ne sont pas
explicités, vu que l’on s’adresse à un public d’initiés,
-
quelques « coups de griffe » envers
les autres armes (Marine, Armée de Terre), ce qui est traditionnel et que les
autres armes pratiquent également en toute équité...
-
des railleries envers les diverses hautes
autorités hiérarchiques militaires, ce qui plaît généralement bien aux
officiers opérationnels qui aiment critiquer les décisions des Etats-majors
-
quelques bonnes « vacheries » envers
les Anglais, l’Ennemi Héréditaire depuis le Moyen-âge, car même si les deux
nations étaient alliées pendant la guerre, l’entente n’était pas toujours totalement
cordiale…
On aura compris que les textes qui suivent ne sont pas
précisément politiquement corrects, mais on y trouve la force du vécu, et même
si une certaine ironie n’est jamais absente, l’auteur partage de vrais moments
émouvants voire réellement poignants.
Mon père a exécuté des missions difficiles, notamment
pendant la Campagne de France en 1940, puis terminé son tour d’opérations de la
R.A.F. avec l’ensemble des membres de son équipage. Les missions de bombardement
de 1944 à 1945, même si l’Allemagne s’affaiblissait, restaient dangereuses
comme le montre le taux de perte des équipages. Mon père s’est toujours efforcé
d’être proche des hommes de l’équipage et de les aider à garder le moral.
Ses actions de guerre ont été récompensées par la Légion
d’Honneur, la Croix de Guerre, cinq citations et deux distinctions britanniques
(Distinguished Flying Cross
et Distinguished Service Order).
Cependant, j’ai avant tout souhaité rassembler ces
souvenirs au titre du devoir de mémoire : je ne veux pas prétendre indûment
que mon père était un héros, mais je souhaite mettre en valeur sa contribution
en tant que témoin qui a pris le temps de rédiger des récits sur ce qu’il a
vécu, en n’oubliant pas de citer ceux avec qui il était plus particulièrement
lié.
J’espère que ce recueil remplira son office :
témoigner de moments de vie d’un aviateur engagé dans la Seconde Guerre
Mondiale.
Les notes de bas de page qui ont été ajoutées cette année,
lorsque j’ai rassemblé tous ces textes, sont suivies de la mention « Note
2019 ». Les autres étaient présentes dans les textes d’origine.
Sonia Frelot-Jean – Janvier 2019
Epître
dédicatoire
Les récits qui vont suivre, du temps de guerre ou du temps de paix, je les
dédie pour l’ensemble à la mémoire de René Guastalla,
professeur de français, latin et grec des classes de troisième et seconde
au Lycée Saint Charles à Marseille en 1929 et 1930,. Ce maître admirable,
qui nous fit jouer Antigone dans le texte au théâtre de Gémenos, le 26 juin
1930, nous emmenait les dimanches de beau temps sur les plages de ma Provence
natale avec un livre de grec sous le bras… Souvenirs inoubliables…
Aussi ai-je beaucoup de mal à saisir, intellectuellement
parlant, la grande mascarade de 1968 ! Avais-je tant vieilli ou
l’Université avait-elle tellement changé ?
Chaque récit particulier : les ponts de Sedan (14 mai
1940), les perchettes de l’Oued Tenafodh (Rio de Oro, 1942), les champs de « flak »
de la Ruhr (Gelsenkirchen, 11 septembre 1944), etc…
porte en tête le nom d’un ancien élève du Piège, mort au Champ d’Honneur.
Ces morts de leur vivant je les ai tous connus et aimés. Je
ne les oublie pas…
Lueurs
sur un titre
Ces récits du passé portent un titre qui m’a été inspiré
par un poème de Victor Hugo que René Guastalla avait
lu à sa classe, pendant cette période floue de juillet qui n’était déjà plus
l’année scolaire et pas encore les vacances…
Souvenirs
des vieilles guerres
Pour la France et la République,
En Navarre, nous nous battions,
Si parfois la balle est oblique,
Tous les rocs sont des bastions.
Notre chef, une barbe grise,
Le capitaine, était tombé,
Ayant reçu, près d’une église,
Le coup de fusil d’un abbé.
Le croissant brillait sur nos têtes.
Et nous, pensifs nous croyions voir
Tout en cheminant dans la plaine
Vers Pampelune et Teruel
Le hausse-col du Capitaine
Qui reparaissait dans le ciel.
Victor Hugo
Chansons des rues et des bois
Chapitre
1 – Les ponts de Sedan (14 mai 1940)
A la mémoire du sous-lieutenant Vial, de la promotion Astier de Villatte [1]),
mort au Champ d’Honneur le 16 mai 1940 [2]
Le 14 mai
1940 au petit matin, après l’atterrissage au terrain de Chaumont-Semoutiers, les équipages du Groupe de Bombardement 2/38
qui venaient de pilonner des carrefours de routes et des voies ferrées à Recogne (Belgique) reçurent l’ordre d’attendre sur place et
donc, par conséquence directe, de ne pas rejoindre leurs cantonnements, à
Chaumont ou dans les villages voisins.
Je
logeais chez un couple de cultivateurs sexagénaires au village de Villiers-le-Sec
(à portée de bicyclette du terrain), où dès potron-minet le tintamarre des
coqs, des tracteurs allant aux champs et de tous les travaux matinaux des
campagnes, rendait tout sommeil impossible. La veille, au retour d’une
précédente mission de nuit, mon hôte, plein d’une inquiète sollicitude, m’avait
accueilli à quatre heures du matin avec un verre d’une eau de vie qui devait
titre dans les soixante degrés ! Par courtoisie j’avalai sans broncher ce
tord-boyaux trop matinal, mais j’insistai fermement auprès de ce brave homme
pour qu’il ne se dérangeât plus, mes heures de retour étant fantaisistes, voire
soumises aux hasards de la guerre : en fait j’appréhendais à sa juste
mesure, le risque routinier du petit verre du matin.
L’attente
sur place au terrain était motivée par de très graves événements : la
situation militaire devenant rapidement catastrophique à Sedan, les Amiot 143
étaient appelés à une mission de jour sur les ponts de la Meuse.
Ecoutons
le lieutenant Christophe (1935 [3]),
qui rédigea en septembre 1940 l’historique du G.B. 2/38 :
« Le 14 mai au matin, au retour des missions,
les équipages sont avertis qu’ils doivent se tenir prêts à repartir à l’aube.
Les avions sont rechargés aussitôt, les équipages essayent de se reposer un
peu, allongés sur des matelas pneumatiques. Malgré la fatigue, on dort peu.
Chacun réfléchit : pour que l’on envoie des Amiot 143 en mission de jour, il faut vraiment que la situation
soit tragique.
Au matin, les ordres se précisent, l’objectif
est fixé : il s’agit de bombarder des ponts de bateaux que les Allemands
établissent sur la Meuse, vers Sedan. Le décollage, fixé d’abord à six heures,
est retardé peu à peu jusqu’à onze heures. Chacun profite de ce délai supplémentaire
pour se réconforter au mess et donner la dernière main au réglage des mitrailleuses.
Mais se défend-on vraiment sur Amiot 143 ? L’espoir que l’on pouvait
avoir de ne pas rencontrer la chasse adverse, s’il était permis à six heures,
ne l’est plus à midi. A onze heures enfin les six avions décollent et prennent
la direction de la Fère, où ils doivent rencontrer la chasse amie. L’ordre
de marche est le suivant : capitaine Destannes,
capitaine de Contenson, lieutenant Christophe dans
la première section, lieutenant Marey, lieutenant Jean et lieutenant Jeanne
dans la deuxième section. Dès l’arrivée à La Fère, les chasseurs décollent
et viennent prendre place à la gauche des bombardiers. Quatre Amiot 143 viennent
se place devant ceux du G.B. 2/38. Ce sont des avions de la 34ème escadre, sous les ordres du capitaine Véron.
L’ensemble – 10 avions au total – prend la route
de Sedan, accompagné par les chasseurs. D’après les renseignements donnés
avant le départ, les Allemands venaient d’atteindre la Meuse et personne ne
les supposait installés. Les «équipages sont vite détrompés : à peine
arrivé sur Sedan, un avion de la 34ème escadre, ailier gauche,
est abattu en flammes. Les autres continuent vers l’est, à 800 mètres d’altitude,
au milieu d’une nappe de flocons noirs. Les tirs sont parfaitement réglés
et les éclats martèlent les tôles des plans et des fuselages. A leurs postes,
les mitrailleurs et les radios tirent chaque fois qu’un Messerschmitt passe
à leur portée, tandis qu’à l’avant, le commandant d’avion attend pour bombarder
le signal du chef de section. Les Bloch assurent la protection d’une façon
impeccable, mais ne peuvent empêcher que deux avions de la 34ème
escadre soient abattus et qu’un avion du G.B. 2/38 ait un moteur touché.
Cet avion, contraint d’atterrir, réussira à
atteindre la région de Mourmelon. Dès que les bombes
sont larguées, les rescapés piquent jusqu’au sol et quittent au plus vite cette
zone peu hospitalière. A treize heures trente, cinq avions atterrissent à
Chaumont-Semoutiers.
Il est remarquable qu’au cours de cette
expédition, il n’y ait eu au G.B. 2/38 aucune perte en personne, ni même la
moindre blessure. Dans tous les avions, les planchers étaient transpercés de
part en part et il est miraculeux que personne n’ait été touché. Miraculeux
aussi fut le retour de deux appareils dont les câbles de commande étaient
endommagés… »
Ce que le
lieutenant Christophe ne dit pas, je vais l’écrire, dût sa naturelle modestie
en souffrir ; j’ai retrouvé, avec un immense plaisir il y a quelques mois
dans la grande cité phocéenne, ce camarade de promotion.
N’ayant
pas fait partie de la vague de nuit des équipages qui avaient bombardé Recogne, le lieutenant Christophe avait été réveillé aux
aurores – à son logement – sur ordre de son commandant d’escadrille, le
capitaine de Cotenson. Les équipages pour
l’expédition de Sedan étant désignés, il tint à son capitaine ce langage
cornélien : « Mon capitaine, si vous êtes descendu au cours de cette
mission, je n’aurai demain aucune autorité morale pour vous succéder au
commandement de l’escadrille. Il faut donc que je fasse cette mission ».
Le capitaine, qui prenait toujours rapidement ses décisions, donna son accord
et fit savoir à l’adjudant-chef W. que son équipage n’était plus désigné. Je ne
sais quelle fut la réaction de l’adjudant-chef mais lorsqu’au début de
l’après-midi anxieusement attendus, se posèrent cinq des six Amiot 143 – saufs
et presque sains malgré quelques sévères écorchures – il eut ce mot
charmant : « Ah ! mon lieutenant, vous avez pris ma place pour avoir plus vite
la Croix de Guerre ! »
Le
sixième avion, avec le lieutenant Jeanne chef de bord – un moteur en feu –
avait été superbement posé par l’adjudant-chef Boussicut,
pilote d’une rare maîtrise, près de Tahure, à vingt
kilomètres environ au nord-est de cet affreux « port de mer » de Mourmelon où la promotion Guynemer avait fait, en 1937,
trois longues semaines de très poussiéreuses manœuvres. A Mourmelon,
au premier tiers du XXème siècle, les douches étaient selon l’expression
consacrée, remplacées par un coup de sifflet long : Gloire à l’Armée
Française !
Le commandant
de groupe, le capitaine Destannes,
était on le devine tout heureux d’avoir tiré tout son monde de cet infernal
guêpier. Il écrivit, le 15 mai, au lieutenant-colonel d’Aribaud,
commandant la 38ème escadre, la lettre qui suit – émouvant souvenir,
car il devait se tuer, à la suite d’une panne de moteur au décollage, avec
le sous-lieutenant Vial, le 16 mai au soir à quelques kilomètres du terrain :
15 mai 1940
Mon Colonel
Hier, je m’excuse de ne pas vous avoir attendu
à La Fère ; j’ai suivi la 34ème escadre qui a quitté La Fère à
midi vingt-deux minutes. Je ne regrette pas d’avoir fait cette mission (puisque
j’ai eu la chance de ramener tout mon monde) parce que j’ai pu me rendre compte
du danger de ce genre d’opération, où l’on expose un grand nombre d’équipages
pour un résultat médiocre et nul. De nuit, nous aurions fait beaucoup mieux le
même travail avec des risques infiniment moins grands. J’ai l’impression que
ces attaques de jour ne sont pas payantes, lorsqu’elles sont faites avec du
matériel comme le nôtre.
Dès l’arrivée sur l’objectif, nous avons été
pris à partie par une D.C.A. extrêmement dense – canons et mitrailleuses – et
quelques secondes après, la chasse.
Sur quatre avions de la 34ème
escadre, l’un a été descendu par la chasse juste derrière moi, en territoire
occupé, je crois, par les nôtres. J’ai vu trois parachutes descendre avant que
l’avion ne s’écrase.
Pour nous, tous nos avions ont été touchés et
par une chance inouïe, ni les équipages ni les organes essentiels des avions
n’ont été atteints… Il vaut mieux, si c’est possible, ne pas recommencer ce
genre d’expédition qui ne paye pas, car j’insiste, les résultats des bombardements
m’ont paru médiocres. La 12ème escadre, avec ses LéO 45, a peut-être pu faire mieux, car allant plus
vite, elle a dû être moins embêtée que nous…
Enfin, j’ai l’impression que nous étions
attendus sur l’objectif (c’est également l’impression de tout le monde
ici) : il nous a paru invraisemblable qu’il y eût une pareille concentration
de D.C.A. et de chasse ennemie, par hasard, à cette heure-là…
J’ai ramené mon groupe à dix mètres d’altitude
par un piqué aussi rapide que possible, dès que le bombardement a été exécuté
et je crois que c’est à cette manœuvre que je dois, en partie, d’avoir évité
les Messerschmitt.
Tout mon groupe m’a suivi et très bien collé,
ils ont tous conservé le plus grand sang-froid et bombardé avec calme. Vial, en
particulier, qui était dans mon appareil, a effectué la visée comme au champ de
tir…
Pour être
tout à fait clair, il faut dire que les six Amiot 143
du G.B. 1/38,
partis de Troyes avec en tête du dispositif le lieutenant-colonel Aribaud,
avaient, à la suite d’une erreur de navigation, manqué le rendez-vous avec
la chasse à La Fère, et n’avaient donc pas exécuté la mission.
Le
lieutenant-colonel Aribaud, en dépit de ses cinquante
ans bien sonnés, était toujours sur la brèche. Il fut un admirable et
infatigable chef de guerre. Il écrivit, après l’armistice l’historique de la 38ème
escadre. J’en extrais ces lignes relatives à l’affaire de Sedan : « …la situation est dramatique à Sedan.
L’ennemi a créé une tête de pont sur la rive sud de la Meuse. Il s’agit de
détruire à la bombe de 50 et 100 kg les ponts du temps de paix et les nouveaux
ponts établis par l’ennemi, de part et d’autre de Sedan, entre Vrigne sur Meuse et Bazeilles. Ces noms propres nous
remettent à l’esprit la triste capitulation du 2 septembre 1870.
Prendront part à l’expédition d’appui
immédiat :
-
6 Amiot 143 du groupement
9,
-
12 Amiot 143 du
groupement 10.
Trente à quarante chasseurs, basés à La Fère,
assureront la protection.
Cette opération va renouveler, dans les airs,
l’ultime charge de la division Margueritte, le 1er septembre 1870.
Le Général Escudier affirme qu’il n’a pu
obtenir du Grand Quartier Général que les vieux et lents Amiot 143 ne
participent pas à cette mission de sacrifice. Le commandement utilise ce qu’il
a sous la main… »
Finalement
les ponts de Sedan avaient été attaqués par 6 Lé O 45 de la 12ème
escadre et 10 Amiot 143 ! C’était lamentablement dérisoire !
« Officier de tir » au groupe, j’avais eu en main en temps de paix
les « tables de consommation » qui donnaient, en fonction de la
taille des objectifs à détruire, les tonnages de bombes nécessaires. Ayant eu
le loisir de traiter quelques problèmes particuliers, notamment celui des
ponts, objectifs ponctuels peu sensibles au souffle si les coups ne sont pas au
but, j’avais vu qu’il fallait des expéditions géantes pour les anéantir. On
était loin du compte avec les seize avions expédiés sur Sedan !
La
présence des six Lé O 45, plus rapides, équipés d’un viseur plus précis que
l’antique viseur à pinnules des Amiot, n’avait rien changé à la face des
choses. Voici le témoignage du Général Genty, trop tôt disparu, alors
lieutenant-commandant d’avion au groupe de bombardement 2/12 :
« …Nous n’en croyions pas nos oreilles, ce
matin-là, 14 mai, lorsqu’on nous avait fixé la mission : attaquer les
sorties Est de Sedan. Comment se pouvait-il que les blindés allemands soient
déjà là ? rien ne tenait donc devant ? s’ils en étaient à traverser la Meuse quatre jours après le
Rhin, où les arrêterait-on ? sur la Marne ? comme en 1914, mais les miracles n’ont lieu qu’une fois,
c’est bien connu. Alors ? c’était à nouveau
l’invasion, mais cette fois menée à une incroyable vitesse par une masse de
blindés, soutenue par une aviation d’appui d’une efficacité insoupçonnée. Le
nombre et la qualité ! Voilà deux atouts dont nous avions bien mal évalué
la puissance. Et pourtant, nous l’avait-on assez répété que la Luftwaffe,
poussée trop vite, souffrait d’une malnutrition congénitale : peu de
pilotes, peu de mécaniciens, peu de réserves. Ce 14 mai 1940, sur Sedan, la
situation avait pris pour moi une douloureuse évidence : la ville déserte,
le vieux « bahut » où j’étais potache quelques années
auparavant ; cette campagne ardennaise que j’avais si souvent parcourue [4],
les hauteurs de Floing, d’où Guillaume en 1870 ne
pouvait s’empêcher d’admirer les charges désespérées des cavaliers de la Garde
impériale : « Ah ! les braves
gens ! » tous ces lieux de mon enfance,
j’avais à peine eu le temps ce jour-là de les reconnaître : seuls
attiraient mes regards les rassemblements sur la Meuse, au sud de notre
objectif ; déjà les Allemands traversaient le fleuve sur des ponts de
bateaux et prenaient pied sur l’autre rive.
Comme les précédentes, la mission avait été
dure. La Flak, dense et précise, nous avait encore
une fois sérieusement éprouvés : un Lé O 45 descendu, tous les autres
touchés, mais le plus douloureux pour nous avait été de croiser au retour une
expédition de 12 [5]Amiot
143, qui montaient vers l’enfer que nous venions de quitter et, comme nous, à
basse altitude. Quelle folie ! et quelle détresse
si le commandement en était à jeter de jour, dans la bataille, ces avions
d’un autre temps, lents, mal défendus,
armés de quelques bombinettes… »
Quelle
émotion et quel style en ces quelques lignes !
Quant à
la 34ème escadre, ses quatre Amiot – avec à leur tête le capitaine
Véron,
qui commandait le G.B. 1/34 – eurent un sort tragique.
L’avion
du commandant de Laubier,
qui au départ de l’Amiot n°56 qui roulait déjà, en avait fait descendre un
mitrailleur pour prendre sa place, fut abattu en flammes. Je le vis, spectacle
terrible, à ma droite et un peu en arrière, piquer vers le sol, boule de feu
qui s’écrasa avec le commandant, le lieutenant Vauzelle et le sergent Occis.
Seuls les sergents Ankaoua et Gelly réussirent à sauter
en parachute.
L’appareil
du lieutenant Foucher, quoique sévèrement touché, échappa à la chasse, au ras
du sol, et put rejoindre sa base.
L’Amiot
du lieutenant Marie est descendu par des Messerschmitt 110. Les cinq hommes
d’équipage quittent le bord en parachute, encore que le commandant d’avion et
le pilote, l’adjudant Speich, chacun revendiquant le
privilège de sauter le dernier, n’aient réussi à évacuer qu’à la dernière
seconde !
Le capitaine
Véron
eut son avion gravement avarié par une rafale d’obus de 20 millimètres. Le
pilote, l’adjudant Milan, réussira à le poser, un moteur coupé, sur un terrain
de campagne.
A l’aube
naissante du 14 mai 1940, l’auteur de ces lignes, (ou de cette compilation de
récits, comme on voudra), avait une furieuse envie de dormir du sommeil du
juste et il n’accueillit pas d’un cœur léger l’idée d’aller larguer ses bombes,
en plein jour, avec un avion de couleur marron foncé, une bien belle cible au
grand soleil du mois de mai !
D’aucuns
criaient à la trahison car, à notre arrivée à Istres le 11 octobre 1939, en
provenance d’Afrique du Nord (où la 38ème escadre avait vainement
attendu à Sétif une éventuelle décision de belligérance de l’Italie), il avait
été dit par le commandement que les lents et vieux Amiot 143
n’opéreraient que de nuit. Mais comment tenir pareille promesse devant l’avance
allemande ? Le jeune exécutant que j’étais – à mille lieues de toute
cogitation stratégique élevée – ne put néanmoins s’empêcher de penser que
les « grands responsables » de la guerre devaient être tragiquement
aux abois pour recourir à ces vieilles machines.
J’appris
après la guerre, de la bouche d’un officier supérieur, qui devint par la suite
un distingué général de corps aérien, que l’envoi des Amiot à Sedan avait fait
l’objet de très âpres et très houleuses discussions entre les hauts
commandements terrestre et aérien, ce dernier refusant d’envoyer ces
cerfs-volants au carnage, mais il avait dû s’incliner : il fallait à tout
prix exhiber les cocardes, à supposer que le combattant au sol ait le loisir de
lever les yeux vers le ciel.
Cette
affaire, mal préparée – il eût fallu des dizaines et des dizaines de bombardier
pour anéantir des objectifs aussi minuscules que des ponts – me laissa une très amère impression.
La
campagne de France continua jusqu’au 13 juin, où commença, via Nuits, Feurs,
Avignon, Perpignan, encore Avignon et enfin Saint Martin de Crau, l’humiliante
fuite vers le sud de la 38ème escadre de bombardement, qui s’était,
certes, battue avec courage mais avec de bien maigres résultats.
Poignant
souvenir : lorsque je quittai Villiers le Sec, les bons villageois qui
m’avaient hébergé durant cinq courtes semaines, comprenant que le sort de la
France était réglé, pleuraient à chaudes larmes. J’avais beau leur dire que
rien n’était encore définitivement perdu, que l’aviation de bombardement était
toujours très en arrière des premières lignes, rien n’y fit… Je les laissai, le
cœur gros, plein de fiel à l’égard des politiciens qui avaient jeté la France
dans cet abîme.
Quatre ans
plus tard, lors de ma première sortie en opération sur Halifax[6]
– sept hommes d’équipage, sept mille deux cents chevaux en quatre puissants
moteurs, quatre cents kilomètres de vitesse horaire, cinq tonnes de bombes,
des appareils de navigation et de bombardement sophistiqués – lorsque je vis
se précipiter vers la cible allemande, six mille mètres plus bas, mes seize
bombes de deux cent cinquante kilos, j’oubliai bien vite – la revanche était
enfin là – la sinistre journée des ponts de Sedan…
Chapitre
2 – Les perchettes de l’Oued Tenafodh (Rio de Oro,
1942)
A la mémoire du capitaine Demoulin, de la promotion Mézergues,
mort au Champ d’Honneur le 21 novembre 1944 [7]
En cette
lugubre année 1942 où se remâchait l’amertume de la défaite, les relations franco-anglaises,
après le drame sanglant de Mers el Kebir et le coup
de Dakar, étaient au plus bas. Aussi le gouvernement français avait-il pu faire
admettre la nécessité de renforcer les unités aériennes stationnées en Afrique,
au cas où Messieurs les Anglais tireraient les premiers.
Le 25 février
1942 décollait de Toulouse un groupe d’avions de chasse Dewoitine 520,
escortés de six avions du Groupe de Transport 3/15
installé à Istres quelques mois auparavant. Le Groupe de Chasse était commandé
par le capitaine Ladousse, dont l’autorité souriante et la compétence technique
faisaient merveille.
Les avions
de transport étaient des Amiot 143,
appareils vieillis et mal adaptés à leur nouvelle mission. Bombardiers capables
d’enlever mille kilos de bombes (on les avait même poussés à mille deux cents
kilos au G.B. 2/38
pendant la campagne de France, au terrain de Chaumont-Semoutiers),
ils n’offraient qu’un volume de soute indigne d’un avion de transport.
Le point
final du voyage était Thies, en Afrique Occidentale
Française, où le groupe de chasse tiendrait garnison.
On avait
entassé dans les transports du matériel radio, sorti de France à la barbe des
commissions allemandes d’armistice et un énorme lot de pièces de rechange. Dans
la tourelle avant, j’avais installé – maintenue par des sandows – une
bicyclette destinée, lors des escales, à faire le plus rapidement possible le
tour des services : météo, soute à essence, etc…
La disposition de tout ce barda donnait l’impression d’une roulotte de cirque.
Cette aviation de 1942 était rustique.
Les
étapes Toulouse – Istres – Ajaccio – Tunis – Alger – Oran – Rabat – Marrakech
se déroulèrent sans incident majeur. Dès Ajaccio je m’étais débarrassé, grâce à
d’excellents restaurants du « marché noir », de tenaces et
lancinantes engelures, résultat des deux atroces hivers faméliques et glacés de
1940 et 1941, subis à Salon et à Istres. A l’infirmerie de la base d’Istres où
j’étais allé déployés mes roses orteils, sujets à d’insoutenables picotements,
le lieutenant-médecin Salvagniac m’avait dit :
« mon pauvre vieux, tu n’es pas le seul, tu manques de matières
grasses ».
Cet impeccable
diagnostic, déjà mis en déroute à Ajaccio, subit une ultime défaite à Tunis
où les « affamés de France », ayant reçu un splendide accueil (il
y avait là une foule de jeunes lieutenants de la promotion Pinczon du Sel
[8],
dont beaucoup devaient disparaître dans le carnage des Groupes de Bombardement
Lourds en Angleterre, en 1944-1945), firent un pantagruélique repas qui se
termina, après le dessert, par un pari – tenu et gagné – de deux œufs au plat
supplémentaires ! Qu’on me pardonne ces souvenirs de mangeaille, je n’ai
jamais pensé qu’il faut « vivre pour manger ». Hélas, comme des
millions de Français en ces années barbares, j’ai eu faim. Que cela fût une
expiation – sans doute méritée – de la défaite de juin 1940 ne changeait rien
aux exigences de jeunes estomacs.
L’étape
Ajaccio-Tunis avait été faite par un temps abominable, avec survol de la mer
à partir de Porto Vecchio, à trente mètres d’altitude
sous stratus bas, voire très bas. Survenant à cette faible hauteur, une panne
de moteur nous aurait immanquablement propulsés au Walhalla des bombardiers
car, avec son énorme train d’atterrissage fixe, l’Amiot 143
était tout disposé à capoter en cas d’amerrissage forcé.
La
navigation à l’estime de l’époque étant ce qu’elle était, au bout de 3 h 30 de
vol il me tardait de voir apparaître n’importe quel bout de la Côte d’Afrique.
Comble de malchance l’opérateur-radio, en dépit d’appels répétés, n’avait pu
obtenir le moindre relèvement entre le sud – estimé – de la Sardaigne invisible
et la côte africaine car ce jour-là, 3 mars 1942, se déplaçait en avion entre
Alger et Tunis le Ministre de l’Intérieur du gouvernement en place et ce très
haut personnage accaparait toutes les maigres liaisons radio disponibles.
Soudain, le radio annonça d’une voix triomphante, qu’il voyait un
« os » à main gauche : c’était l’îlot de Zembra,
cône parfait posé sur la mer, d’où il fut facile de rejoindre El Aouina, le terrain de Tunis.
A Rabat,
à bord d’un Glenn,
piloté par mon camarade de promotion Layec, je fis
une impressionnante séance de piqués et de rase-mottes : un certain nombre
de bourricots vidèrent leurs âniers assez téméraires pour les monter.
A
Marrakech, après quelques heures d’instruction destinée à familiariser les
équipages avec le Sahara, après le chargement des vivres de secours, au matin
du 20 mars tout était prêt pour le départ vers le Sud. L’équipage s’était
enrichi de trois passagers, des mécaniciens d’équipement de la firme Dewoitine,
destinés à parer aux possibles hasards de la traversée saharienne. Ayant reçu
un chargement supplémentaire destiné aux postes de Tindouf et Bir Moghrein – un mouton sur
pattes, une cargaison d’énormes poêles à frire, des cageots de légumes et des
caisses d’apéritifs – l’avion était lourd. Je décidai donc de prendre de
l’altitude dans la plaine de Marrakech, avant de piquer vers le col de Tizi N Test dans le Haut Atlas. Ce fut une sage précaution[9]
car à 2500 mètres, un énorme bruit de ferraille se fit entendre dans le moteur
droit et il fallut regagner dare-dare la base où fut diagnostiquée une des
pannes classiques du moteur K-14, un piston crevé.
Les six
jours nécessaires au remplacement du moteur, je les passai en l’agréable
compagnie du lieutenant Michaud (1937) à visiter de fond en comble Marrakech et
ses environs. Je n’ai jamais fait autant d’heures de bicyclette. En cette
triste période de pénurie générale, c’était le seul moyen de locomotion
possible : il fallait énormément de galons pour prétendre à une voiture.
En
remettant le cap sur Tindouf le 26 mars, je choisis la route plus facile du col
d’Imi N Tanout, au sud-ouest de Marrakech, ce qui
allongeait à peine le parcours. Il suffisait d’une altitude de deux mille (selon
les fortes paroles du capitaine G.. fait dire : « prodigieux, on
n’entend rien… »
Vingt-deux
ans plus tard, en 1964, Colonel en poste à Mers El Kebir,
lorsque j’entendis les gémissements de certains équipages du G.M.M.T.A. (qui
était peut-être devenu le COTAM, je ne me rappelle plus) qui se lamentaient à
propos de l’inconfort – tout relatif – des installations récentes de la base de
Bou Sfer, je pensai que les mœurs avaient bien
changé ! Allons ! un peu de vie spartiate
n’a jamais tué un aviateur…
L’étape
désertique Tindouf-Bir Moghrein,
avec ses rares points de repère, me tracassait quelque peu. En fait, elle
devait se terminer le samedi 28 mars 1942, veille de Pâques, dans le Rio de
Oro. N’étant point prophète, le 27 je n’en savais évidemment
rien. Comme un avion Glenn-Martin
devait faire ce jour-là la liaison Tindouf-Bir Moghrein
et retour dans la journée, je demandai de participer au voyage pour faire
une reconnaissance de terrain. Cet avion faisait une opération logistique
ébouriffante : il transportait dans le réservoir supplémentaire du fuselage,
neuf cents litres d’essance B, destinée aux Amiot
143, pour regonfler les soutes du poste de Bir Moghrein. Le voyage ayant coûté mille litres d’essence C,
brûlée par le Glenn aux moteurs plus gourmands que le K-14, il n’est pas besoin
de dire que ce déplacement de liquide s’était opéré sans aucune publicité.
Installé
dans la tourelle arrière du Glenn, je notai les accidents remarquables du
paysage sur un bloc-notes. Le retour à Tindouf se fit sous un ciel rouge sang
annonciateur – je ne le sus qu’après – de vent de sable pour le lendemain.
Le désert
appartenant aux hommes qui se lèvent tôt (selon les fortes paroles du capitaine
G…, bien incapable de décoller avant dix heures du matin), au très petit jour,
le 28 mars, j’attendis la météo, laquelle, chose étonnante, était mijotée à
Casablanca sur renseignements en provenance des postes sahariens. Cette
procédure prenait beaucoup de temps et nous fit décoller trop tard. La première
partie du voyage s’effectua par beau temps. Grands comme Notre Dame de Paris,
les rochers noirs du Tirsal El Khedra
à deux cent dix kilomètres de Tindouf se détachaient superbement sur le sable
et constituaient un point tournant idéal. Je vis bien, sur la droite, le poste
d’Ain Ben Tili. Je remarquai ensuite que des filets
de sable se détachaient des moindres obstacles au sol. Aux rochers du Tam Reikat, quelques dizaines de kilomètres avant Bir Moghrein, l’affaire était
jouée : la visibilité était pratiquement nulle et l’avion se déplaçait
dans une fine poussière jaune, dont il ne sortit qu’à deux mille mètres pour trouver
le ciel bleu.
En
liaison par signaux Morse avec la radio d’Air France (Bir
Moghrein servait d’escale de secours sur la ligne
civile Casablanca-Port Etienne-Dakar), je demandai qu’on allumât, sur un des
pitons près du poste, un feu de chiffons gras pour essayer de retrouver le
terrain. Ce qui fut fait : nous
descendîmes et ne vîmes rien. Comme il était peu sensé de faire avaler du sable
aux carburateurs des K-14, l’avion reprit le ciel bleu. Je décidai de quitter
la zone de poussière, après être passé autant que possible à la verticale du
poste (sur avis du sol qu’on entendait bien les moteurs, au maximum de leur
vacarme), de tenir un cap afin d’estimer avec toute la précision désirable, le
point d’atterrissage « dans le bled ». En tournant en rond en attendant
l’allumage du feu, j’avais constaté que l’ouest paraissait plus dégagé. Ce fut
donc au cap 270 que l’avion laissa derrière lui la zone contaminée. Pendant la
descente le moteur droit – changé à Marrakech – eut quelques passages à vide.
Décidément il devenait urgent d’atterrir.
L’Amiot
143 abattant royalement ses cent soixante kilomètres à l’heure, après trente
minutes de vol depuis la verticale supposée de Bir Moghrein, il suffisait d’un coup d’œil à la carte pour voir
que nous étions, bel et bien, dans le Rio de Oro.
Le
terrain dur, plat à l’infini, parsemé de rares cailloux, avec quelques pitons
noirâtres dans les lointains, je le décrivis – en liaison radio - au lieutenant
d’infanterie coloniale, chef de poste de Bir Moghrein, qui confirma que nous étions dans la Guelta du Zemmour, au relèvement
260 du poste, le radio d’Air France ayant suivi jusqu’à la limite possible, la
descente de l’appareil.
Il ajouta
qu’il enverrait quelques vivres et de l’eau, dès que la position des avions
serait connue avec précision. Car il y avait deux Amiot ! Le lieutenant
Fuchs (1937), en panne de radio, ne m’avait pas lâché d’une semelle, si l’on
peut oser cette figure de style, pendant toute l’affaire du vent de sable.
Décision judicieuse : seul en effet il risquait de se poser dans le désert
sans pouvoir émettre le moindre signal de secours.
Finalement
nous étions quatorze – huit membres d’équipage et six mécaniciens civils de
Dewoitine - en villégiature désertique.
Un vent
terrible soufflait et déplaçait à l’horizontale de minuscules cailloux qui
cinglaient la peau. Il fallut rester dans les avions où régnait une bonne
température de trente degrés. Seul le mouton, triste comme un bonnet de nuit,
fut laissé dehors, plus ou moins abrité du vent derrière un capotage de roue.
La pauvre bête devait en vouloir aux barbares humains qui l’avaient transportée
dans ces solitudes désherbées.
Le
casse-croûte du soir fut vivement expédié : les vivres sahariens de
secours – sardines en boîte, corned-beef, pains de sucre, biscuite de mer et
vingt litres d’eau par personne – ne faisaient pas un menu gastronomique. Le
biscuit de mer était dur comme du bois. Je rationnai l’eau au volume d’une
boîte de « singe » - une fois vidée de la viande - par personne. On
peut rester le gosier plus ou moins sec à côté d’une bouteille d’eau : on
sait qu’il suffit d’un geste pour étancher la soif. Chose bizarre, rationner
l’eau donne très soif !
Le
lendemain, dimanche de Pâques, le vent était tombé, il faisait un temps
magnifique. A la vacation radio du matin, nous apprîmes que deux Glenn en route
pour l’A.O.F. feraient des recherches dans l’après-midi. En effet vers quinze
heures, nous entendîmes des bruits de moteurs/ Dans le désert pour se faire
repérer, il faut s’agiter et créer du mouvement. Je fis accrocher, au tronc
squelettique d’un arbre mort, les suspentes d’un parachute qui se gonfla
doucement sous le vent léger. Les uns projetèrent en l’air des pelletées de
sable, d’autres se mirent à courir dans tous les sens.
Les deux
Glenn,
en un réconfortant rase-mottes, passèrent à quelques mètres du campement.
Les deux pilotes – capitaine Barrault et lieutenant Védrine – déclarèrent
par radio qu’ils avaient vu le parachute, bien repéré sur carte la position
des avions, qu’ils ne prenaient pas le risque d’atterrir près des Amiot et
retournaient à Bir Moghrein.
Le 30
mars fut une journée agitée. De bon matin au nord, nous vîmes trois silhouettes
se diriger vers nous, non pas en ligne droite, mais selon un trajet courbe qui
les amena qui les amena par le nord-est auprès du campement. C’étaient trois
femmes, couvertes des pieds à la tête de cotonnades bleues, l’une assez jeune, les
deux autres ridées comme de vieilles pommes. Comme elles n’étaient pas
parfumées au n°5 de Chanel, il fallait soigneusement éviter de se tenir sous le
vent.
Incapables
de saisir un traître mot de leur dialecte, nous les laissâmes partir lestées
d’un pain de sucre et d’une bonne moitié de l’indigeste provision de biscuit de
mer. Qui oserait dire qu’en France l’intendance ne suit pas ?
Concluant
que les visiteuses avaient été envoyées sur ordre pour renseigner qui de droit,
nous nous attendions à d’autres visites mais n’anticipons pas…
Dans
l’après-midi débouchèrent un énorme camion-citerne et une camionnette en
provenance du Poste. Ils apportaient, outre l’essence, un fût de deux cents
litres d’eau, quelques vivres et des outres en peau de chèvre. Ces outres,
suspendues à l’ombre des plans, mouillées extérieurement, donnaient un semblant
de fraîcheur à l’eau ; malheureusement le goudron qui en assurait
l’étanchéité donnait au liquide un goût bien particulier.
A la
longue, on s’y faisait… Cette soudaine richesse en eau nous donna l’envie de
raser des barbes de trois jours, exercice de patience dans le désert où le
savon à barbe sèche immédiatement sur la peau.
A
l’atterrissage, par une malchance insigne, le pneu droit de mon avion avait
rendu l’âme sur l’une des rarissimes pierres de l’endroit. Le mécanicien décida
d’utiliser le gonfleur mont sur le moteur de la citerne. Malheureusement la
nouvelle chambre à air, stockée pendant des années au parc de Casablanca, nous
joua le mauvais tour de s’ouvrir sur toute sa circonférence à trois kilos de
pression (il en fallait 3,3). Enfin après trois heures d’effort – car le tuyau
reliant le gonfleur à la valve éclatait à chaque instant, il fallait le couper,
le fixer avec du fil à freiner, le recouper, le refixer… - la réparation fut
jugée réussie, avec une nouvelle chambre gonflée à un peu moins de trois kilos.
La tentative ne pouvait être poursuivie plus loin, le tuyau – qui mesurait
plusieurs mètres au début de l’opération – étant réduit à l’état de confetti.
Il ne
restait plus qu’à abandonner ces lieux inhospitaliers. L’avion du lieutenant
Fuchs avait déjà regagné Bir Moghrein,
emportant le triste mouton qui avait obstinément refusé de boire l’eau contenue
dans une poêle à frire qu’on lui passait sous le museau.
Le
décollage tant attendu ne se fit pas : le moteur droit qui avait eu
quelques ratés avant l’atterrissage, baissait brutalement de régime, donnait
l’impression de tourner à vide, reprenait des tours, en reperdait… Ce genre de
panne paraissait incompréhensible. Avec l’assentiment du pilote, compte tenu de
l’immensité du terrain et de la légèreté de l’avion, vidé de tout son
chargement mis à bord des véhicules terrestres, fut tenté un décollage de
patience en jouant sur les régimes des moteurs, car l’appareil avait une
furieuse tendance à s’embarquer, lors des étouffements subits du moteur droit.
Comme il
fut finalement impossible de prendre l’air, cette tentative n’aboutit qu’à
déplacer le campement de quelques kilomètres. La place ne manquait pas ! la panne était vraisemblablement due au mauvais
fonctionnement du carburateur, diagnostic fait après élimination cartésienne
des autres causes possibles (arrivée d’essence, allumage, etc…).
Il n’y avait qu’une solution : récupérer sur l’autre Amiot un bloc
carburateur complet (il n’était pas question de faire de la quincaillerie de
détail dans le désert), le ramener, le monter et s’évader du Rio de Oro.
Le
départ, par voie terrestre, fut décidé pour le lendemain 31 mars. Les dernières
heures du jour furent mises à profit pour brêler avec soin le chargement des
véhicules et démonter le bloc-carburateur malade. Le soleil disparu, morts de
fatigue, engoncés dans nos vêtements de cuir, nous regagnâmes l’avion pour y
dormir à l’abri du vent glacial de la nuit.
Episode
héroï-comique, je fus réveillé vers deux heures du matin par l’adjudant-chef Chattenet, pilote, qui me dit à voix basse :
« mon lieutenant, il y a quelqu’un sous l’aile droite ! ».
Etouffant un juron, je jetai un coup d’œil par la vitre de la
« baignoire » de l’Amiot, et après quelques secondes d’émotion,
éclatai de rire : dans la nuit claire, une serviette de toilette pendue au
support de la bombe Michelin donnait très exactement en se profilant sur le
sable, la silhouette d’un guerrier en cotonnade !
Au matin,
l’expédition allait se mettre en route lorsque trois chameaux montés, à peu
près au même azimut que les dames visiteuses de la veille, se profilèrent dans
le lointain. Piquant droit sur le campement, ils étaient là une demi-heure
après.
La
présence d’un sous-officier de l’Infanterie Coloniale simplifia les
choses : il dit aux visiteurs (de splendides homes tout en muscles, aux noires
chevelures verticales) que nous étions en territoire français. Dans un pays où
les frontières ont été taillées à coup de méridiens et de parallèles plus ou
moins bien relevés par visées astronomiques, ce pieux mensonge[10]
ne parut pas choquant.
Il fut beaucoup
plus scabreux de leur dire, en réponse à leur demande, qu’il n’y avait pas de
radio à bord alors que l’antenne extérieure, qui courait de la tourelle avant à
l’empennage, se voyait comme le nez au milieu du visage. Ces hommes discrets –
ou peu compétents en matière technique – n’insistèrent pas et s’en allèrent
après avoir reçu les cadeaux de tradition, pains de sucre et biscuits !
Ils piquèrent vers le Nord, sans doute vers le poste espagnol de la Guelta.
La camionnette,
chargée à bloc, prit la direction de Bir Moghrein.
Je laissai le campement au lieutenant Demoulin (1937)
qui, par son inlassable bonne humeur et son dynamisme, avait réconforté ceux
que ce séjour forcé dans le désert rendait moroses. Personnellement, je n’avais
pas le temps d’avoir du vague à l’âme, pressé que j’étais de faire réparer
l’avion en panne et de rejoindre le poste le plus rapidement possible.
Après
deux heures de route, la camionnette s’enlisa. Nous étions devant l’Oued Tenafodh, complètement à sec, bien entendu, large de huit
cents mètres, avec des zones sableuses pleines de pièges. A l’aller le
véhicule, beaucoup plus léger, était passé sans trop de mal.
Le
sous-officier de la Coloniale annonça qu’on allait se servir des perchettes.
Jamais diminutif ne fut plus menteur. Je vis sortir du logement ad hoc, sous la
camionnette, de solides poteaux de trois mètres de long, de dix centimètres de
diamètre et pesant un bon poids. La méthode paraissait d’une simplicité
biblique : on les glissait sous les jumelages des pneus arrière, le
chauffeur emballait le moteur, les pneus prenaient appui sur les perchettes. Il
y avait alors deux solutions : la bénéfique, lorsque les roues trouvant un
terrain assez dur, la voiture se mettait à rouler sans nouvel enlisement
immédiat, la maléfique, qui se terminait par une nouvelle plongée dans le sable
dès que les roues avaient avalé les trois mètres de perchettes, ce qui était
vite fait !
Dans
l’hypothèse numéro un, la récupération des perchettes posait un problème :
les hommes qui les avaient relevées couraient après le véhicule mais il fallait
bien s’arrêter pour les reprendre à bord. Le chauffeur avait normalement
tendance à rouler le plus vite et le plus longtemps possible en évitant les
zones sableuses. Compte tenu de la largeur de l’Oued, il fut décidé de limiter
la course de la voiture à cent mètres et de mettre quatre hommes pour se
relayer aux perchettes. Bien entendu tout le monde – officiers, sous-officiers,
caporaux et soldats – participait à la manœuvre. L’anonymat des grades était garanti
par la légèreté des tenues : caleçon de bain et mouchoir noué sur la tête.
Seuls les indigènes [11]
avaient conservé leur tenue « d’hommes bleus ».
Dans
l’hypothèse numéro deux, il n’y avait plus qu’à recommencer. J’ai oublié le
compte des réussites et des échecs successifs. Dans les cas les plus
favorables, la voiture ne parcourait jamais plus de vingt ou trente mètres d’un
seul jet. C’est dire que les perchettes furent manipulées quelques dizaines de
fois avant de voir défiler sous les roues les derniers mètres de la
« vallée » de l’Oued Tenafodh.
Le
franchissement demanda deux bonnes heures, mais une récompense inattendue était
au bout : à quelques trente kilomètres de Bir Moghrein nous vîmes le plus splendide mirage qui se puisse
rêver. Le poste était là, avec ses Koubbas blanches. On les touchait :
vision superbe qui ne dura qu’un instant, car un mirage se déplace avec la
courbure des rayons qui le portent.
A Bir Moghrein, c’est un cortège
d’hommes ocres qui débarqua de la camionnette. Le chef
de poste nous offrit ce que, sous ces latitudes, il faut bien appeler un
bienfait des Dieux : des douches ! Lavés, habillés, nous avions
l’incroyable sensation de corps tout neufs.
Je
retrouvai avec satisfaction le chef mécanicien qui, à Marrakech, avait présidé
au changement du moteur droit. Sa conscience professionnelle tracassée par
cette panne d’un moteur neuf, il avait pris le chemin de Bir
Moghrein. Après de patientes recherches, il fanit par découvrir que la capsule anéroïde était crevée,
ce qui rendait le fonctionnement du papillon des gaz totalement aberrant.
Le 1er
avril, nous reprenions le chemin du désert. La camionnette allégée, vidée de
son chargement, franchit l’Oued Tenafodh plus au nord
et il n’y eut que trois ou quatre séances de perchettes, rapidement menées.
Dans le
lit de l’Oued il y avait un troupeau de chameaux [12],
une trentaine de bêtes. On me dit qu’ils étaient « au
pâturage » ! Pour lever le doute, la recette était la suivante :
se mettre à plat ventre sur le sol, et, jetant un coup d’œil rasant, constater
la présence d’une très pâle verdure de plantes grasses de quelques centimètres
de haut. Il fallait le voir pour le croire…
Dès
l’arrivée au campement une bâche fut tendue avec des moyens de fortune pour
travailler à l’ombre sur le moteur en panne.
En fin de
matinée, les deux indigènes préposés aux perchettes, ayant vu dans le lointain
trois autruches, une chasse fut décidée illico. Ces gros oiseaux courent vite.
Il fallut les poursuivre à plus de soixante kilomètres à l’heure. La
camionnette, sautant sur les aspérités du sol, faisait des bonds de cinquante
centimètres. Accroché aux ridelles, je tirai bien quelques coups de mousqueton,
mais tous à côté. Enfin un des indigènes réussit à abattre l’autruche mâle, les
deux autres étant, paraît-il, des femelles. J’admirai in petto cette science
des sexes. La camionnette prit une allure réduite, à mon grand
soulagement : à ce genre de sport on ne ramasse que des bleus !
Au
déjeuner il y eut donc de la viande d’autruche, cuite sur le sable et dure comme
de la corne de mouflon, arrosée d’innombrables verres de thé à la menthe. Les Bidanes[13]
ayant enterré, pour la protéger de la chaleur et des mouches, la viande
restante, m’en proposèrent aimablement une ration au repas du soir, après en
avoir gratté le sable au couteau. Je déclinai poliment leur offre.
Au cours
du même voyage on servit de la viande de lionne à Atar. Seize ans plus tard à
Iaroslav (U.R.S.S), je dégustai un morceau d’élan. Je peux remercier l’Armée de
l’Air d’avoir apporté une certaine variété – sauf décidément à Istres – à mes
menus.
Consultant
mon carnet de vol, j’y lis que le 2 avril 1942, l’Amiot 143 n°47 volant à 1500
mètres, regagnait en quarante minutes le poste de Bir
Moghrein : il aurait dû s’y poser cinq jours
plus tôt.
Quarante
minutes pour faire quatre-vingts kilomètres, cela peut paraître long : en
fait, ayant pris les commandes, j’essayai de dérouter, par des changements de
cap, les deux Bidanes à qui j’avais offert le baptême
de l’air. Mais ces hommes du désert avec leur sens prodigieux de l’orientation
me remettaient chaque fois dans la bonne direction.
Je posai
l’Amiot à Bir Moghrein avec
un « ouf » de soulagement : cette aventure se terminait bien.
Comme il
fallait attendre un carburateur de rechange en provenance de Casablanca, je
décidai de prendre quelques jours de repos. En ces temps lointains, un
commandant d’avion isolé menait sa barque avec beaucoup de liberté.
La
présence de deux équipages de sept personnes posait au Chef de poste des
problèmes de vivres. Pour étoffer les provisions de viande, plusieurs chasses à
la gazelle et au mouflon furent organisées.
Remembrance
de la chasse aux autruches, je n’y assistai qu’en spectateur non armé,
solidement cramponné au siège voisin du chauffeur. Malgré les soubresauts
infernaux, des chasseurs adroits réussirent à abattre plusieurs bêtes,
spectacle désolant mais commandé par la nécessité.
Les jours
coulaient dans le calme. Les mécaniciens remirent tout en ordre, avec leur
talent habituel. Le soir venu, on « discutait le coup », en savourant
les admirables crépuscules violets du désert. La nuit le ciel d’Afrique, bourré
d’étoiles, couvrait la terre comme une coupole.
Le 8
avril, après avoir vivement remercié le chef de poste pour son assistance, je
poursuivis le voyage vers Atar et Nooakchott, pour
arriver à Thies le 9 avril, l’escale de Nooakchott n’ayant été décidée que pour laisser refroidir
les moteurs dont l’huile montait à 130 degrés, à en croire les thermomètres.
Pendant
les heures d’arrêt à Nooakchott, j’eus l’occasion de contempler
« l’Entreprise », un énorme quadrimoteur anglais de transport civil.
Cet avion, posé subrepticement (probablement à la suite d’une panne), train
rentré, sur la plage de la côte africaine à quelques kilomètres au sud de Nooakchott, avait été découvert par un détachement de la
Légion Etrangère. Le personnel de l’avion avait été évacué à la sauvette, sans
doute par voie maritime par un quelconque navire venu de Bathurst, en Gambie
Anglaise. La Légion, toujours capable du treizième travail d’Hercule, avait
creusé le sable de façon à descendre le train, fait deux tranchées en pente
douce devant les roues baissées pour remettre l’appareil sur la plage. Ensuite
avait commencé le pénible remorquage jusqu’au hangar, de cette masse de trente
tonnes.
L’avion
était là avec ses impressionnantes files de hublots (en 1942 les quadrimoteurs
ne couraient pas les rues), impeccablement briqué par les légionnaires. Je ne
ménageai pas les compliments au lieutenant de la Légion qui m’accompagnait,
pour avoir su mener ces rudes travaux.
A Thies où j’arrivai, sur un aérodrome quasiment désert à
l’heure de la sacro-sainte sieste coloniale, je me vis dans la soirée
possesseur de vingt-trois jours d’arrêt (simples, pas de rigueur) :
-
Huit
par un commandant de groupe, pour avoir osé garer mon Amiot n°47 sale, très
sale (mélange peu esthétique d’huile et de sable sur les plans) à côté de ses
avions étincelants (ou qu’il jugeait tels),
-
Quinze
par le commandant de base, pour atterrissage vent arrière ! En fait la
manche à air, toute molle, était vaguement perpendiculaire à la piste et comme
je n’avais pas de rapporteur pour décider où était l’angle aigu (l’autre étant
forcément obtus), j’avais laissé le pilote libre de choisir le sens
d’atterrissage… Je n’ai jamais su quel imbécile avait pu juger que cette prise
de terrain suait l’hérésie. Il y a des siestes qui se perdent…
Par la
suite tout se tassa et je sortis, blanc comme neige, de ces verdicts un peu
trop hâtifs. Je fus même aimablement sollicité par ces grands chefs pisse-vinaigre
de bien vouloir, au retour, remettre quelques colis de denrées coloniales à
différents destinataires situés en général (sans jeu de mots) dans le haut de
la hiérarchie des trois armées…
Le retour,
avec une escale supplémentaire à Fort Gouraud pour y admirer la Kedia d’Idjil[14],
s’effectua sans incident. Comme le Groupe de Transport 3/15
avait quitté Istres pour s’installer à Oujda, c’est là que se termina ce voyage
de soixante-trois jours (25 février-28 avril) et de soixante-quinze heures
de vol. Quand je feuillette aujourd’hui – en 1978 – les mirobolants programmes
d’agences de voyage, j’en conclus que dès 1942 l’Armée de l’Air, toujours
à la pointe du progrès, nous offrait déjà des voyages de milliardaires !
Dans la
suite des temps, je fis dix autres traversées – allers et retours – sahariennes,
comme passager sur DC3
ou sur Halifax
(en particulier, huit heures dans la tourelle arrière de ce quadrimoteur,
à contempler le sable entre Rabat et Dakar). Aucune ne m’a donné l’intense
sensation de liberté que j’avais ressentie, en ce printemps de 1942, dans
les immenses solitudes désertiques du Rio de Oro.
Chapitre
3 – Les champs de « Flak » de la Ruhr
(Gelsenkirchen, 11
septembre 1944)
A la mémoire du lieutenant Paturle
de la promotion Pinczon du Sel,
mort au Champ d’Honneur le 11 septembre 1944 [15]
En cette
fin de l’été 1944 – le dernier d’une trop longue guerre – le Bomber Command de
la Royal Air Force était devenu, selon les mots du Maréchal Harris[16],
une force écrasante. Cet officier général, à la tête de cet immense
commandement depuis le 23 février 1942, s’était battu comme un lion pour en
arriver là. A en croire une boutade fameuse, Hitler n’arrivait qu’en neuvième
position sur la liste de ses ennemis, loin après le Ministère des Finances, la
Marine Royale, l’Armée de Terre, les routiniers hostiles à une politique de
bombardement lourd, les fonctionnaires incapables et bien d’autres encore…
Certes,
Harris n’obtint jamais les quatre mille quadrimoteurs dont il pensait, dès
1941, qu’ils pourraient mettre l’Allemagne à genoux, tout en économisant des
opérations meurtrières de débarquement. Cette opinion toute douhétienne
n’est pas à rejeter sans examen : en effet aux trois quarts des disponibilités,
soit trois mille avions, l’Allemagne aurait encaissé quelque quinze mille
tonnes de bombes, selon une routine presque quotidienne. Auraient été rayées de
la carte, chaque mois, vingt à trente grandes villes, toutes
objectifs industriels et nœuds importants de communications. Avec les
chargements classiques d’explosifs, mille avions donnaient au sol dix-sept
mille impacts – mille bombes d’une tonne (baptisée « la lessiveuse »,
tellement ses formes étaient peu aérodynamiques) et seize mille de deux cent
cinquante kilos – tous dans la cité, celle-ci dépassant largement par sa taille
le rectangle de dispersion. Un tel régime eût été rapidement insoutenable pour
le Troisième Reich…
Oui mais…
pour appliquer pareille doctrine, il fallait pousser à une retraite prématurée
force généraux de l’Armée de Terre et une foule d’amiraux de la Marine
Royale !!!
Le Bomber
Command avait mis sur pied d’excellentes méthodes d’instruction qui
transformaient, en quelques mois, des employés de banque en équipages de
qualité, à qui il ne manquait plus que de s’aguerrir au jeu terrible des
bombardements de jour et de nuit. Des exécutants prestigieux, des
lieutenants-colonels (Wing Commanders) de vingt-cinq
ans, auréolaient le bombardement lourd anglais. Je n’en citerai que
trois :
-
Gibson,
qui à la tête de vingt Lancaster, dont huit furent abattus, attaqua par nuit de
lune et à très basse altitude les barrages de la Mohne,
de la Sorpe et de l’Eder, le 17 mai 1943. Il y gagna
la Victoria Cross. Il fut tué, dans les dernières semaines de la guerre, alors
que « maître bombardier » il venait d’assurer le succès d’un
bombardement de nuit sur un objectif de la Ruhr. Il avait à sa mort, le chiffre
fantastique de deux cents missions de guerre.
-
Cheshire,
qui reçut lui aussi la Victoria Cross, après sa centième sortie comme
« maitre bombardier » dans le corps d’élite des Pathfinders.
-
Tait,
qui mena un groupe de Lancaster à l’assaut du croiseur lourd Tirpitz embusqué
dans un fjord norvégien, et le coula.
La
splendide efficacité du Bomber Command, je la compris pleinement une nuit du
printemps de 1945. Au cours d’une opération qui accompagnait le franchissement
du Rhin par les troupes de Montgomery, le « maître-bombardier »
donnait ses ordres, en langue anglaise bien entendu. Il fut abattu et s’arrêta,
de ce fait, au beau milieu d’une phrase. Dans la seconde qui suivit, nous
entendîmes une autre voix, un autre accent : le suppléant prévu venait de
prendre la suite. Ce véritable coup de théâtre était saisissant…
Ce 11 septembre
1944, à la base d’Elvington, il faisait un temps
magnifique. L’anticyclone des Açores poussait ses hautes pressions loin sur
l’Europe de l’Ouest. La traditionnelle cértémonie
consacrée à la lecture de l’ultime citation du capitaine Guynemer,
prenait en ce temps de guerre un émouvant relief : les mots célébres
« lutte ardente, énergie farouche, courage sublime » étincelaient
comme des épées nues. Au garde à vous, je regardai les visages graves de mes
compagnons d’armes. Parmi les assistants, vingt équipages des deux groupes
Guyenne
et Tunisie
étaient désignés pour le prochain objectif, une usine d’essence synthétique
de la firme Nordstern à Gelsenkirchen. Avec un temps
pareil, il fallait s’attendre à être reçus, comme les rois de France, avec
les honneurs du canon : la Ruhr en comptait mille quatre cents – de l’excellent
calibre de 88 millimètres – qui fort heureusement, ne tiraient jamais tous
ensemble !
L’escadre noire des cent quatorze Halifax s’enfonçait
vers l’Est, à six mille mètres d’altitude. Haute dans le ciel, la chasse d’accompagnement
veillait. En mission de jour, la chasse allemande ne sortait plus. Terriblement
étrillée en 1943 et 1944 par les expéditions diurnes de l’aviation de bombardement
américaine (Forteresses volantes B. 17
et Liberators B.24), elle ne se risquait plus à attaquer des
meutes de bombardiers protégés par des nuées de chasseurs. Le seul fléau restait
donc la D.C.A. allemande, la « Flak ».
Le survol
de la Hollande se fit dans le calme, mis à part de ci de là quelques flocons
noirs éparpillés, témoins de coups de canon tirés peut-être sans grande
conviction.
L’avion
de tête, piloté par le capitaine Verhille (1936),
guidé par le lieutenant Suveran (1939), navigateur,
allait atteindre le septième méridien de longitude Est, lorsque se déclencha –
à quelques centaines de mètres devant le flot des avions, mais à l’exacte
hauteur – le plus terrible mur de « flak »
jamais entrevu. Sous l’effet trompeur de la perspective horizontale, les
éclatements paraissaient si denses qu’il n’y aurait pas eu la place d’y glisser
un avion d’aéro-club sans que celui-ci ne fût criblé d’éclats.
Mais ce
que l’artillerie allemande ignorait, c’est que la route des avions piquait, par
un virage à droite de quatre-vingt-dix degrés, à cet endroit-là vers le plein
Sud. Ce mur formidable n’arrêta donc aucun avion… Messieurs les Allemands avaient
tiré trop tôt, mais ils rectifièrent le tir dans les secondes qui suivirent et
une « flak » infernale se déchaîna. Comme à
l’accoutumée dans les minutes qui précédaient le largage des bombes, j’écartai
les rideaux noirs de ma caverne platonicienne de navigateur pour assister au
spectacle. Les flocons fusaient devant, dessus, dessous. Ceux de l’arrière je
ne les voyais pas et ils n’étaient déjà plus pour nous ! Soudain je vis un
éclair rouge – le seul que j’aperçus jamais, Dieu soit loué – à quelques mètres
devant mon Halifax. Le bombardier, le sous-lieutenant Robert, s’affala sur le
viseur, puis se releva. Un laconique dialogue s’engagea :
-
Robert,
êtes-vous blessé ?
-
Non
mon capitaine, mais j’ai eu l’impression de recevoir un coup de poing dans le
dos…
Une rapide
inspection me donna la clé de l’affaire : le nez vitré de l’avion avait
un trou circulaire d’environ trois centimètres de diamètre. L’invasion brutale
de l’air avait donné un choc au bombardier. Les lignes de signaux de ma boîte
GEE[17]
étant complètement tordus, je décelai un enfoncement du métal par un éclat
d’obus que je trouvai sur ma table de navigation. Ce morceau d’acier, gros
comme le pouce, nous avait donc ratés de quelques dizaines de centimètres.
L’objectif
approchait. Des drames se nouaient autour de nous. Les deux mitrailleurs, le
sergent-chef Thibeau et le sergent Faivre signalèrent
qu’un avion du Groupe[18]
venait d’exploser, sans doute atteint de plein fouet dans la soute à bombes. « Seul
l’adjudant Oger, mitrailleur arrière, se sauva par miracle : ne pouvant se
dégager de la tourelle, il fit, en chute libre, une vertigineuse descente de
plusieurs milliers de mètres. Sans perdre son sang-froid, il réussit à
commander l’ouverture de son parachute qui l’arracha littéralement à ce bloc de
ferraille quelques secondes avant son contact avec le sol. ».[19]
Dans un
autre appareil, le sous-lieutenant Rotté, bombardier,
mortellement blessé à l’artère fémorale, expirait dans les bras de son
commandant d’avion, le lieutenant Lac.
Les
secondes se traînaient, interminables. Le bombardier annonça enfin qu’il allait
nous débarrasser des quatre tonnes de foudre que nous avions sous nos pieds.
Le
sergent-chef Daniel, pilote impavide, tenait dans ses paumes adroites les
trente et une tonnes du Halifax et modifiait, selon les indications du
bombardier par d’imperceptibles coups de palonnier, le cap des ultimes
secondes.
La croix
lumineuse du viseur, épée vengeresse, courait sur le sol à la rencontre de
l’objectif. C’est avec un intense soulagement que tout l’équipage entendit les
mots tant espérés « bombes larguées ». Les seize bombes de deux cent
cinquante kilos filaient toutes noires vers l’usine à détruire.
Encore
trente secondes de ligne droite pour prendre la photographie des impacts et
l’on pourrait peut-être sortir de cet enfer !
… Et l’on
en sortit, après dix minutes de « flak »
diabolique, le temps de traverser la Ruhr du Nord au Sud. Le passage du Rhin,
entre Düsseldorf et Cologne, fut un ravissement : il n’y avait plus dans
le ciel aucun flocon noir !
En
mission de jour, j’essayai systématiquement de faire du retour à la base un
chef d’œuvre de « décontraction » : après la tempête, la bonace
est indispensable. Assis près du pilote, je laissai le bombardier tenir le
journal de bord. Il s’exerçait, utilement et avec talent, au petit jeu d, e la
navigation aérienne. Je contemplais le ciel, les autres avions. Il suffisait de
suivre le flot, emmené par le responsable de l’expédition. Je revivais les
minutes passées, j’avais eu peur, réaction normale d’un capitaine de vingt-neuf
ans : comme la « Jeune Captive », je ne voulais pas mourir
encore...
Le survol
de la Belgique, le franchissement de la côte française en évitant les poches
résiduelles encore aux mains des Allemands – un mauvais coup de « flak » est vite arrivé – la traversée de la Mer du
Nord, tout cela se passa en douceur. Orfordness, sur
la côte anglaise, accueillit les cent sept rescapés de ce raid. Trente minutes
plus tard apparurent les verts gazons de la base d’Elvington…
Après
cette très chaude affaire, qui n’était que la troisième sortie de l’équipage,
nous eûmes à camionner vers l’Allemagne nazie vingt-huit autres cargaisons de
bombes, avant d’être libérés le 18 avril 1945. Mais, chose parfaitement
compréhensible, cette sortie du 11 septembre 1944 servit de mission de
référence et de consolation : même après une dure opération, il était
volontiers admis que tout s’était assez bien passé et qu’on avait été bien
moins secoué qu’à Gelsenkirchen.
Il faut
dire, en toute sérénité, que jamais plus les dieux de la météo ne furent aussi
favorables à l’artillerie anti-aérienne allemande qui ce jour-là, en ciel
parfaitement clair, abattit sept avions et en toucha cinquante-trois !
Ce même
jour, à dix-huit heures, heure rituelle d’ouverture des bars sur les bases
de la Royal Air force – au Mess des officiers d’Elvington,
même les plus sobres des capitaines et des lieutenants commandèrent un double
whisky.
Octobre 1944 - Squadron 347 Tunisie basé à Elvington (Groupes Lourds) - L'équipage de renfort du Cne Henri Jean pose devant un Halifax Le Cne Henri Jean (de la promotion EA 1935) est sur la photo le deuxième en partant de la gauche Composition de l'équipage : Pilote : Sgc Daniel - Navigateur : Cne Henri Jean. (Cdt d'avion) - Bombardier : Slt. Robert - Radio : Sgt Haas - Mécanicien-navigant : Sgc Ricaud - Mitrailleur supérieur : Sgt Faivre - Mitrailleur arrière : Sgc Thibeau. |
Chapitre
4 – Les braises rouges du châtiment
(Duisburg, 14 octobre
1944)
« Tout le monde sait aujourd’hui que le
champion, le pilier de la force aérienne, c’est le bombardier lourd. L’avion de
chasse, l’avion torpilleur, l’avion d’observation ont des fonctions
spécialisées, fort nécessaires, essentielles dans l’ensemble de l’Armée de
l’Air, mais l’avion capable d’asséner le coup, c’est le bombardier
lourd. »
John Steinbeck – Bombs away - 1942
A la mémoire du capitaine Laucou
de la promotion Astier de Villatte,
mort au Champ d’Honneur le 6 mars 1945 [20]
Ce samedi
14 octobre 1944 à l’heure de midi, je savourais un délectable bain chaud dans
une de ces vastes baignoires que le Bomber Command de la R.A.F. dispensait
généreusement sur ses bases. Je fredonnais « O sole mio »,
plein de contentement à la pensée de la mission exécutée quelques heures
auparavant, sur Duisburg. Le même jour à deux heures du matin, les équipages en
alerte avaient été éveillés pour apprendre que 1001 quadrimoteurs étaient
envoyés sur cette ville de la Ruhr pout y déverser cinq mille tonnes de bombes…
L’immense
flot des avions couvrait le ciel. Un trou parmi les nuages au-dessus de
l’objectif permit de faire une bonne visée : ce trou fut vite comblé par
l’énorme fumée noire provenant des explosions. La ville flambait… il était neuf
heures du matin.
Je
pensais disposer d’au moins vingt-quatre heures de calme avant la prochaine
mission, d’autant qu’une sortie de mille avions n’était pas chose
courante : le Bomber Command devait se donner le temps de souffler.
Eh bien,
non ! A peine avais-je entamé le dernier couplet du célébre air italien
que le « Tannoy », sonorisation des bases
de la R.A.F. qui portait la voix dans les recoins les plus reculés, voire les
plus intimes, annonça selon la formule habituelle, l’alerte à la prochaine
mission. Mon équipage étant sur la liste, je n’avais plus qu’à m’intégrer dans
le classique circuit : repas, réunion des navigateurs, réunion générale
des équipages. Ce scénario routinier demandait de quatre à cinq heures , avant que le pilote ne mette les gaz pour arracher
l’avion à la terrestre pesanteur.
Grande
fut la surprise de voir que l’objectif s’appelait encore Duisburg[21].
La seule différence était que la prochaine attaque aurait lieu de nuit et qu’il
n’y avait plus que six cent cinquante quadrimoteurs au lieu des mille du matin.
Les habitants de la ville ne s’attendaient sans doute pas à deux déluges de
bombes, à moins de vingt-quatre heures d’intervalle.
Je
constatai avec amusement et une certaine dose de philosophie, que la liste des
équipages engagés dans cette deuxième sortie n’était pas tout à fait la même que
la précédente. Comme le samedi soir il y avait quelques bals dans la bonne
ville d’York voisine, j’en conclus que d’aucuns préféraient faire danser les
Anglaises qu’aller « au charbon » sur la Ruhr…
A
Valenciennes, que nous survolions à quelque cinq mille mètres, le bombardier
m’annonça qu’il voyait dans le lointain une lueur rougeâtre. Nous avions le cap
sur Duisburg, mais à deux cent cinquante kilomètres de l’objectif, j’étais loin
de penser que les incendies du matin pouvaient encore faire rage au point
d’être décelés à pareille distance. Je dis donc au sous-lieutenant Robert de me
confirmer, de dix minutes en dix minutes, s’il continuait à voir cette tache
rouge. Au bout de vingt minutes, il n’y avait plus aucun doute, la cible
n’était plus qu’à une centaine de kilomètres et le rougeoiement était de plus
en plus intense…
Comme
l’avion était au cap d’attaque, j’éteignis ma lampe de navigateur, écartai les
rideaux noirs pour assister à la féérie lumineuse : les nuits sur la Ruhr
offraient – gratuitement – un flamboyant feu d’artifice. Défilaient en un lent
balancement les projecteurs, dégringolaient en grappes rouges ou vertes des
marqueurs d’objectif lancés par l’armée des avions-éclaireurs de la R.A.F. La
chasse allemande larguait des fusées parachutées, à descente lente, qui
faisaient d’inquiétants boulevards de lumières. Parfois d’immenses flammes
rouges remplissaient le ciel : une collision de deux avions qui allaient
s’écraser quelques milliers de mètres plus bas…
La nuit,
la « flak » perdait beaucoup de son
efficacité, grâce aux tonnes de paillettes métallisées que les opérateurs radio
lançaient toutes les minutes : ces rubans argentés brouillaient les appareils
de repérage allemands. Bien que Goering ait promis cinquante mille marks de
récompense au savant qui trouverait la parade, la science germanique demeura
impuissante devant cette contre-mesure.
…L’objectif
était là. Je contemplais, fasciné, à côté du bombardier, le spectacle au
sol : c’était comme des braises rougeoyantes. On avait l’impression de
voir – toutes proportions gardées – un de ces feux de bûches calcinées qui,
dans les foyers de cheminées, restent longtemps ardentes avant de mourir…
Ce
brasier avait quelque chose d’hallucinant, dont le regard ne pouvait se
détacher…
Une
nouvelle averse de bombes s’abattit sur Duisburg et nous prîmes le chemin du
retour.
Pendant
la campagne de France de 1940 j’avais vu brûler – pendant mes sorties nocturnes
sur Amiot 143
– Laon, Sainte Menehould, Vitry le François et bien
d’autres villes encore…
En Angleterre,
j’avais vu les ruines de Londres, Liverpool et Coventry. En juin 1944, à
Londres, j’avais assisté à l’arrivée des premières bombes volantes – les V.1 –
qui firent par la suite d’immenses dégâts.
Juste retour
des choses d’ici-bas, l’Allemagne nazie qui avait semé le vent, récoltait
enfin la tempête.
Chapitre
5 – Un journal de bord pestiféré
(Boulogne, 17 septembre
1944)
A la mémoire du capitaine Brachet
de la promotion Mézergues,
mort au Champ d’Honneur le 13 janvier 1945 [22]
Comme les
jours, les missions de guerre se suivent et ne se ressemblent pas. Après le
raid agité sur Gelsenkirchen, une opération de tout repos fut déclenchée, six
jours plus tard, sur Boulogne : il s’agissait de déloger les dernières
troupes allemandes qui s’obstinaient dans une poche en bordure du littoral. Le
Bomber Command avait déjà appliqué cette drastique médecine en d’autres lieux,
au Havre en particulier, ou 9750 tonnes de bombes avaient écoeuré
11000 Allemands faits prisonniers.
Le
scénario était immuablement le suivant : quelques milliers de tonnes
d’explosifs persuadaient les Allemands de se rendre le plus rapidement
possible. Ensuite les troupes alliées, l’arme à la bretelle, en faisaient des
prisonniers de guerre inoffensifs. Enfin, un télégramme d’un Très Grand Chef
des Armées de Terre célébrait l’éloge du Bomber Command, quant à la précision
des tirs et l’efficacité de ses équipages.
Comme la
mission était courte, le tonnage maximal – cinq tonnes - avait été empilé dans
chaque avion. Il y avait 762 appareils engagés : c’était donc un déluge
dissuasif de 3810 tonnes de bombes destinées aux troupes entêtées de la poche.
Le temps
était beau, nous faisions partie de la dernière vague et il me prit la
fantaisie – décision fâcheuse comme le prouvera la suite du récit – de
m’installer à côté du pilote, de chausser mes lunettes de soleil et de
contempler le spectacle. La vue des centaines d’avions qui nous précédaient
était en soi un tableau fantastique. Comme le vol, au départ, se déroulait à
basse altitude sur la verte Angleterre, on voyait défiler à toute allure les
fermes, les maisons, les châteaux, les villes, les villages, les usines, les
bois, les prés, les forêts, les fleuves et les rivières… Spectacle
superbe ! Le flot des avions ne prit de la hauteur qu’après l’embouchure
de la Tamise. L’altitude de bombardement était relativement basse, trois mille
mètres seulement. Sur Douvres il y eut un incident qui mérite une
digression : un bombardier – n’appartenant pas heureusement à un équipage
français – en titillant trop tôt son circuit électrique largua ses
bombes ! Ce fut, dans la presse de lendemain, un bien beau tollé ! Je
ne me rappelle plus s’il y eut des victimes ou seulement des dégâts matériels.
Mais même si ces projectiles intempestifs n’avaient retourné que des
plates-bandes de radis, ces radis étaient anglais et n’avaient pas à être
secoués par des engins de mort habituellement réservés à l’ennemi.
La
réaction de l’état-major fut géniale : il fut décidé d’incorporer dans
l’appareillage électrique de largage des bombes un « interrupteur
principal » (master switch) dont la mise en
marche quelques courtes minutes avant le lancement serait, en outre,
soigneusement consignée dans le journal de bord du navigateur. Il va sans dire
que cette astuce mécanique (je n’ose employer le terme de « gadget »,
inconnu à l’époque) apporta quelques désagréments : dans le feu de
l’action, à proximité des objectifs, des bombardiers ayant oublié de manœuvrer
ce fameux interriupteur revinrent à la base avec leur
chargement !!! Moralité : la psychose du système qui contrôle le
mécanisme qui vérifie l’appareil qui supervise la manœuvre est néfaste. Rien ne
saurait remplacer simplicité, calme et réflexion.
L’objectif
était un ancien fort de style Vauban, en forme de trapèze et en dehors de la
ville. Il reçut l’averse de bombes promise et l’expédition s’en retourna. Comme
prévu, la reddition – 8000 prisonniers – se fit dans les jours qui suivirent.
A Elvington, quand je remis au Squadron
Leader B…, chef du service de navigation, mon très laconique journal de bord
qui contenait ces mots et ces chiffres :
Take-off 09.20 hrs
Bombs
gone 11.00 hrs
Landed 12.45 hrs
cet officier supérieur fit
comme Phèdre à la vue d’Hippolyte : « il vit, il rougit, il pâlit à
sa vue… ». Pour l’immoralité de l’histoire, je dois dire qu’au moment du
largage mon chronomètre marquait 10 heures, 59 minutes, 59 secondes. Nous
avions donc bombardé à la seconde près (11 heures étant l’heure officielle),
résultat rarement atteint sauf par les Pathfinders
qui eux, lâchaient leurs marqueurs à l’heure exacte. Cela prouve que le succès
peut parfois accompagner le moindre effort ! Cette précision ne toucha
nullement Monsieur B… et sa réaction me fit pressentir que je m’étais glissé
dans de très mauvais draps. Cet officier, qui ne souriait jamais (après vingt
mois passés en Angleterre, j’ai compris à tout jamais que l’humour anglais, le
gentleman anglais et le fair-play anglais sont surtout des mythes
d’exportation), aurait pu étouffer l’affaire et dire : « Capitaine
pour cette fois ça passe… mais n’y revenez plus ! ». Il n’en fait
rien et dans la soirée je reçus sous enveloppe une Note de Service à caractère
fulminant et dont voici le texte édifiant :
Groupe de Bombardement 1/25
Le 17 septembre 1944
Note de service
Un officier navigateur a cru pouvoir se
permettre de ne pas se conformer aux instructions reçues, au point de
rapporter, à la suite d’une opération, un Log qui est soit une plaisanterie,
soit une provocation. Je ne puis admettre ni l’une, ni l’autre.
En conséquence :
1)
Cet officier encourt
une sanction disciplinaire
2) Son équipage est suspendu de vol opérationnel pour une
durée indéterminée
3) Un cross country de contrôle sera exigé de ce navigateur
avant de pouvoir être à nouveau engagé en opérations
4)
Cet équipage participera
obligatoirement au prochain bull’s eye de diversion.
Nota : au cas où il serait avéré que la
mesure deuxième soit le but poursuivi par le navigateur incriminé, il serait
déféré devant la Justice Militaire.
Signé : X…
(Liste des
destinataires)
Ce papier
contenait trois mots d’anglais – autant d’injures à la langue de Voltaire – et
une faute d’orthographe : le signataire avait écrit de sa blanche main
« pour notification à l’intérressé » (sic,
avec deux « r »). Ma génération, instruite par les excellents
instituteurs de l’Ecole Communale (1922-1925) de la Troisième République, est
excessivement sensible à l’écriture correcte. Je n’y peux rien !
A la
lecture du nota – in cauda venenum – je fus médusé et restai pourtant de
marbre : médusé, parce qu’il me semblait excessif qu’un manque de
formalisme paperassier dégénérât en drame, de marbre, parce qu’en temps de
guerre, seul l’ennemi est à craindre. Je pensai, un peu à la manière de
Monsieur de Talleyrand que tout ce qui est exagéré devient sans importance. Cet
incident n’était pas le premier dans le personnel des Groupes Lourds. A Lossiemouth, par 58 degrés de latitude nord, il y avait eu
de violents accrochages à propos de la désignation des pilotes : tous les
officiers voulaient être pilotes, mais comme il fallait des navigateurs et des
bombardiers, comme il fallait utiliser dans leur spécialité les sous-officiers
pilotes qui n’étaient pas qualifiés pour le métier de navigateur, il fallait
aussi faire contre mauvaise fortune bon cœur.
Personnellement
j’avais plié sans rechigner. Le Commandement, en quelques mots adroits et ien sentis, aurait pu redresser la situation. Bien au
contraire, les discussions s’envenimèrent au point que deux officiers –
particulièrement virulents dans leur obstination – se virent infliger trente
jours d’arrêts de rigueur ! Il faut reconnaître que, perdus dans les
brumes écossaises, loin de la Patrie ensanglantée, sans nouvelles des familles
restées en France ou en Afrique du Nord, les équipages pouvaient se laisser
aller quelquefois à des accès de mauvaise humeur, encore qu’un officier ne
doive jamais trop gémir sur son sort (sinon, il n’a qu’à passer dans
l’épicerie).
A quoi
bon remuer ces pénibles souvenirs ? Sans vouloir jouer au redresseur de
torts, je dis que le Commandement doit, preuve de doigté, préférer le contact
et l’explication directe à la paperasse interposée, laisser passer une première
faute vénielle, mais se montrer impitoyable en cas de récidive. Combien fut
plus habile l’attitude de l’excellent colonel B…., qui
commandait la base d’Istres en 1938 ! Il convoqua un jour de février, qui
avaient abusivement étiré de 24 heures[23]
une permission de fin de semaine – la neige était si belle à Barcelonnette – et
leur tint à peu près ce langage : « Messieurs, je ne veux pas vous
donner votre première punition d’officiers, mais vous m’avez compris…,
rompez ! ». Les fautifs se retirèrent, tête basse, et se tinrent
tranquilles jusqu’à la fin du stage.
Dans les
affaires humaines, les bonnes comme les mauvaises, tout passe, tout lasse,
tout casse. La Note de Service resta lettre morte. On avait bien besoin de
nous, les équipages combattants, pour en finir avec cette trop longue guerre :
en effet, le Bomber Command fut engagé, quelques jours plus tard, dans des
opérations de ravitaillement en essence, pour permettre aux troupes de Montgomery
de joindre les parachutistes d’Arnhem, en très mauvaise posture près du pont
sur le Rhin (finalement l’opération échoua). Chaque Halifax
emportait 160 jerricans de vingt litres, soit 3200 litres à déposer à l’aérodrome
de Moelsbroeck, près de Bruxelles.
Ces
missions, en principe de tout repos, n’étaient pas sans risques : il y
avait toujours des bidons qui fuyaient et il fallait voler, toutes fenêtres
ouvertes, pour maintenir un courant d’air salvateur qui chassât les vapeurs de
carburant. A Bruxelles, c’étaient les équipages qui coltinaient les récipients
et les déposaient en bordure de piste. Comme nous n’avions aucun entraînement
de déménageurs, nous retournions les muscles raides. Enfin on touchait avec
émotion la vieille Europe – l’Angleterre est une île, disait Michelet – et on
entendait parler français avec ce si bel accent belge ! Les équipages,
avec une saine émulation, faisaient la course : le record Elvingtion-Bruxelles-Elvington
fur de trois heures quarante minutes. Le 28 septembre, mon équipage ne fit pas
mieux que trois heures cinquante. De mauvaises langues prétendirent que
l’équipage vainqueur avait légèrement poussé les manettes à gaz.
Du 26 au
30 septembre nous fîmes quatre voyages au cours desquels, avec des crayons bien
taillés et de couleur, une gomme bien propre, je rédigeai des journaux de bord
dignes d’un rond-de-cuir ou d’un dessinateur professionnel. Au retour je les
remettais, l’air glacial, au Squadron Leader,
toujours aussi renfrogné, en lui disant : « Sir, est-ce que ce
travail de paperassier est bien à la hauteur du Bomber Command ? ».
Je finirai par croire que j’ai toujours été quelque peu anglophobe. Est-ce que
Trafalgar et Waterloo me seraient restés sur l'’estomac ?
Au cours
d’une de ces livraisons d’essence, un quadrimoteur près de Dunkerque, ayant
chatouillé de trop près la garnison allemande (la poche ne fut réduite que plus
tard) reçut à l’aller un mauvais coup de flak :
l’avion, le carburant et l’équipage furent instantanément transformés en
chaleur et lumière, en un immense et tragique flamboiement. Ces missions si
« faciles » avaient leurs désagréments.
Mon
intense travail de scribe me lava enfin de tout péché et, dès le 7 octobre,
l’équipage participa au bombardement de Clèves. L encore, je peaufinai un
journal qui, s’il y avait eu une justice en ce bas monde, aurait dû me faire gagner
hauts la gomme et les crayons, la coupe Wallis qui récompensait les bons
navigateurs !!!
L’horizon
s’éclaircit avec le départ de l’acariâtre et venimeux Squadron
Leader. S’il eut droit à un « pot de départ », je n’y fus pas invité.
Un officier français prit sa place – naturellement de la « mafia »
des navigateurs – qui apporta une touche plus humaniste et plus débonnaire au
problème de la correction des journaux de bord. Cet épisode fâcheux fortifia,
s’il en était besoin, ma haine viscérale des paperasses et des paperassiers qui
s’un délectent, s’en rassasient, tels des insectes coprophages sur leur fumier.
Après la
mutation du Squadron Leader, les navigateurs vécurent
des jours heureux… et rédigèrent placidement beaucoup de journaux de bord.
Chapitre
6 – Vol à voile sur un quadrimoteur
(Retour de Witten, 19
mars 1945[24])
En cette
nuit du 19 au 20 mars 1945, le Halifax C « Charlie »,
volant à sept mille pieds, s’en retournait placidement vers sa base d’Elvington.
La
mission, bombardement de Witten (Ruhr) avait été calme, en cette fin de guerre.
Tout laissait à penser que cette vingt-troisième sortie sur l’Allemagne allait
s’achever sans accroc, lorsqu’en l’espace de quelques secondes, las quatre
moteurs s’éteignirent.
Avant
même que j’aie pu manifester, de mon poste de navigateur-commandant d’avion, la
moindre interrogation, le mécanicien annonça d’une tranquille voix :
« Mon capitaine, je remets en route ». J’en conclus qu’il connaissait
parfaitement la cause de ce très fâcheux contretemps.
Le
sergent-chef Daniel, pilote impavide et précis, dut prendre la main, un Halifax
sans moteurs ayant plus l’aérodynamisme d’un fer à repasser que d’un planeur de
compétition.
Les
quatre moteurs vrombissant à nouveau, je demandai l’altitude : deux mille
pieds. Nous avions perdu cinq mille pieds ! Six cents mètres seulement
nous séparaient d’un possible écrasement sur le sol anglais. Oh ! j’imaginais la future oraison funèbre : « Hier, Jean
et son équipage se sont cassé la g…, on n’y a rien compris ! ».
Je
voulais comprendre et j’appris que les mécaniciens – à leur réunion
préparatoire – avaient reçu l’ordre de faire des essais de consommation séparée
des moteurs droits et des moteurs gauches. Si j’avais connu cette consigne,
j’aurais impérativement – seul maître à bord – donné le controdre :
s’il n’y avait qu’une chance sur un milliard – voire plus – que, les
consommations droite et gauche étant égales, les quatre moteurs devinssent
muets au même instant, il était stupide d’assumer pareil risque.
Mais où
était donc le farfelu d’état-major qui, alors que les Halifax volaient depuis
des années et que leurs consommations étaient connues au centilitre près,
avait, jouant avec la vie des équipages, osé pondre cette ineptie ?
Quarante-huit
ans ont passé depuis cet évènement qui, lorsqu’il m’arrive de m’en souvenir, me
donne encore froid dans le dos. La mule du Pape[25]
eut plus de chance, elle n’attendit que sept ans pour se venger de son
tortionnaire. Je n’ai jamais connu le nom du mien.
Chapitre
7 – Promenade en mer du Nord, beaucoup de bombes à l’eau
(Heligoland,
18 avril 1945)
« La vie n’est rien, mais rien ne vaut la
vie »
André Malraux
A la mémoire du lieutenant Leroy de la promotion Pinczon du Sel,
mort au Champ d’Honneur le 24 décembre 1944 [26]
En ce
mois d’avril 1945, point n’était besoin de consulter une voyante extra-lucide
pour deviner qu’il n’y aurait pas une septième année de guerre : l’Allemagne
nazie craquait à toutes ses jointures.
Le Bomber
Command de la Royal Air Force assénait ses derniers coups. Au fil de 56 mois de
guerre, il y avait perdu 56000 hommes et 8300 avions, dont 4900 quadrimoteurs.
Près d’un million de tonnes de bombes avaient été larguées sur les objectifs
d’Allemagne et des pays occupés. En ce dernier printemps des hostilités, cette
lourde machine avait beaucoup de peine à suivre l’avance des Armées
Alliées : la ligne de sécurité de bombardement courait en effet plus vite que
les plans d’opérations des têtes pensantes de l’Etat-Major
du Maréchal de l’Air Harris et les cibles valables devenaient rarissimes…
Le 11
avril 1945, 140 bombardiers avaient attaqué l’ultime objectif utile : la
gare de triage de Nuremberg. Cette longue mission de sept heures trente minutes
s’était faite sans aucune perte. Les marqueurs d’objectif étant tombés à 15
heures précises, les premières bombes les avaient immédiatement suivis. Sur les
photographies des impacts, exposées le lendemain à la salle de renseignement de
la base d’Elvington, on pouvait admirer cette
fulgurante séquence : à quinze heures une minute, un wagon d’un train de
munitions explosait, expédiant des gerbes d’éclats dans tous les azimuts. Sur
les clichés pris à quinze heures deux, trois, puis quatre minutes on pouvait
suivre – comme sur un film de cinéma – le développement de la catastrophe. Le
train entier sauta, et à mon passage à quinze heures quatre minutes (j’ai
précieusement conservé cette photo de guerre), un énorme nuage blanc s’était
formé : armé des éphémérides astronomiques, compte tenu de l’échelle du
cliché, de la position de l’astre du jour qui donnait l’ombre portée du nuage,
je calculai que celui-ci faisait près de neuf cents mètres de hauteur !
L’organisation Todt [27]
dut certainement consacrer quelques longues semaines à remettre les voies en
état…
Les jours
suivants, plusieurs missions furent annulées, la ruée des troupes américaines
du Général Patton avalant les objectifs désignés avec une colossale boulimie.
Le Bomber Command se rabattit alors sur l’île d’Heligoland.
Pouquoi ? Plus de trente ans après, je me le
demande encore… Evidemment, comme il était hors de question que les Alliés y
débarquassent un jour, l’objectif restait disponible. Cette île, danoise en 1714,
passa en 1807 à l’Angleterre qui l’échangea à l’Empire Allemand en 1890 contre
l’île de Zanzibar. On peut imaginer qu’une vieille et hypocrite rancune
britannique, mâtinée de complexe colonial, ait fait choisir cet objectif. Il y
avait quand même – pour la justification des Etats-Majors et des buts de guerre
– quelques citernes de carburant[28],
situées sur la partie de l’île constituée de falaises, l’autre partie, basse et
sableuse, comportant le village et un petit port.
Un
scénario phénoménal fut mis sur pied : 961 avions participaient au raid et
comme il fallait éviter que la fumée noire des explosions et des incendies des
soutes gênât la visée des bombardiers, la meute des quadrimoteurs avaient été
découpée en six vagues de plus de 150 avions chacune, bombardant à quatre-vingt-dix
minutes d’intervalle, le temps de laisser se dissiper les nuages noirs entre
deux vagues successives. Des bimoteurs « Mosquito » lançaient, avant
l’arrivée des avions d’attaque, des bombes de deux tonnes à quelque vingt kilomètres
au nord de l’ile, donc en pleine mer. Ces bombes tombant en eau peu profonde –
au nord des îles Frisonnes Néerlandaises, les fonds sont inférieurs à vingt
mètres – y soulevaient des montagnes de sable. La mer, autour des impacts,
bouillonnait en immenses cercles concentriques, colorés en jaune par le sable
remué. C’était là un point tournant idéal, à partir duquel, piquant plein sud,
il était facile de repérer l’île. Décidément en cette fin de guerre,
l’Angleterre ne savait plus que faire de ses bombes !
Le trajet
de l’opération se déroulant entièrement en Mer du Nord, d’Ouest en Est, à
l’aller – Elvington et Heligoland
sont à epsilon près voisines du cinquante-quatrième degré de latitude nord – je
passai plus de temps à contempler la mer et le ciel qu’à « fignoler »
le journal de bord. Comme j’étais devenu, à l’ancienneté,
« leader-navigateur », je corrigeais tous les journaux de bord… et le
mien en particulier. Cette promotion m’évitait à tout jamais de renouveler la
sombre mésaventure de l’expédition sur Boulogne du 17 septembre 1944. Si
j’étais resté cloîtré, cerné par les rideaux noirs de ma caverne de navigateur,
je n’aurais jamais rien vu des spectacles extérieurs. La guerre finie, je
rencontrai par hasard en mai 1945 à Londres le « staff-sergeant »
H…, sous-officier anglais qui à Dumfries (Ecosse) avait fait partie de ma
classe d’entraînement de navigateurs. Après nous être mutuellement félicités
d’avoir terminé cette longue guerre avec nos deux bras et nos deux jambes, il
m’avoua, chose incroyable, qu’il n’avait jamais, durant son tour d’opérations,
quitté son siège et sa table de travail. Il avait ainsi obéi à cent pour cent
au Règlement – King’s Regulations
– mais il s’était privé de solides émotions et de spectacles uniques :
cette façon de voir les choses de la guerre me laissa pantois !
Ayant savouré,
à côté du pilote, la promenade de six cents kilomètres en mer, je m’installai
près du bombardier pour la phase finale. D’énormes panaches de fumée noire
se déployaient en bas mais, déportés par le vent, ils laissaient l’objectif
en bonne visibilité. Le point tournant, martelé par les bombes des Mosquito,
était passé et nous volions plein sud. Soudain, deux minutes environ avant
le largage des bombes, un hurlement poussé par le mitrailleur de la tourelle
supérieure se fit entendre dans l’interphone. Je demandai des explications
immédiates : le mitrailleur répondit qu’un Halifax,
toutes trappes ouvertes, s’apprêtait à nous survoler. Comme je ne tenais pas
à recevoir les neuf bombes de 500 kilos et les quatre de 250 du chargement
de ce malappris, le pilote déboîta légèrement pour s’éloigner de l’importun.
L’appareil portant les marques du groupe « Tunisie »
,
je fis relever son numéro, me promettant à l’atterrissage de passer un « savon »
de premier ordre au commandant d’avion. Je ne pus m’empêcher de pester contre
l’imbécile de bombardier qui, l’œil rivé à son viseur, ne voyait plus rien
de ce qui l’entourait : en aviation, s’il faut toujours se concentrer
avec application sur le détail, on ne doit jamais négliger l’environnement
général. En bonne justice, j’adressai une verte semonce à mes deux mitrailleurs :
cet avion menaçant n’était pas sorti du ciel par génération spontanée et aurait
dû être détecté bien avant de nous passer dessus…
L’incident
était d’autant plus regrettable que c’était probablement notre dernière
sortie : avant le départ, le Commandant Puget, qui commandait la base,
m’avait dit : « Je vous parie une bonne bouteille que votre tour tire
à sa fin ». Il n’en dit pas davantage, mais la nouvelle était de bon
augure. Certes dans toute guerre il y a les morts des dernières heures avant
l’armistice, mais il aurait été absurde de périr stupidement sous des bombes
anglaises larguées par un équipage français : tel était du moins mon égoïste
jugement…
Quand mes
treize bombes filèrent vers l’île, je vis qu’une foule de projectiles étaient
inutilement répandus en mer, les impacts étant rendus parfaitement visibles par
les taches de sable soulevé par les explosions. A vue de nez, une moitié
seulement des bombes tombaient sur les soutes de carburant. Quel
gaspillage ! [29]
Le retour
se fit dans un calme serein, avec une bonne séance – non prévue au programme
officiel – de vol au ras de la mer, avant de repasser la côte anglaise à une
altitude décente. Au bercail, parole tenue, le sous-lieutenant B… pilote et
commandant d’avion du Halifax trouble-fête, s’entendit dire à très haute voix,
qu’il n’aurait pas fait de vieux os, lui et sa bande de gens distraits, si la
guerre avait continué…
Le
Commandant Puget avait dit vrai : selon le jargon franglais utilisé sur
place, mon équipage était « scriné » (screened, en langage plus orthodoxe de la R.A.F.),
c’est-à-dire libéré des opérations. Cette bonne nouvelle nous laissa, tous les
sept, désemparés : le contraste, entre les huit derniers mois de tension
soutenue et une nouvelle existence sans danger, était trop violent.
Sans mot dire, je quittai les lieux, enfourchai ma bicyclette et regagnai ma
chambre solitaire…
En
parcourant le couloir de la barque qui abritait les capitaines, je songeai
combien nous étions devenus, les mois passés, craintivement superstitieux, au
point de laisser vide la chambre du Capitaine Marin, tué à Magdebourg le 15
janvier 1945. Personne ne voulait prendre la place d’un mort…Et pourtant cette
chambre était la plus confortable du bâtiment : un sybarite aimant le
confort y avait construit – ou fait construire – un plafond en plaques
d’isorel. Las autres chambres n’avaient pour protection que le toit pentu, en
« éverite » ondulée, qui laissait toujours
passer le vent et quelquefois la pluie et Dieu sait si le Yorkshire est venteux
et pluvieux ! Enfin, au début du mois d’avril, le Capitaine Jacquot se
décida et prit cette chambre [30].
Il fut abattu le 25 avril 1945, lors de la dernière sortie du Bomber Command
sur l’île néerlandaise de Wangerooge ! Un obus
de « flak » coupa le Halifax en deux, à la
hauteur de la tourelle supérieure : tout l’équipage périt… Je perdais,
outre le Capitaine Jacquot, un autre excellent ami, le Capitaine Hautecoeur, polytechnicien aimable et courtois, avec qui
j’avais passé bon nombre d’heures à rédiger les citations des membres de
l’escadrille, travail de longue haleine où il fallait essayer le difficile
mariage de la froide justice et des éloges dithyrambiques.
Seul dans
ma chambre, je songe… La Victoire est enfin là, mais de quel prix l’avons-nous
payée ? Des 22 équipages ayant entamé – au Groupe Tunisie – leurs tours
d’opérations en juillet et août 1944, 13 ont été abattus. Quelques prisonniers
attendant en Allemagne une prochaine libération, les pertes s’étalent à
cinquante pour cent…
…Anciens
du « Piège », broyés, déchiquetés, brûlés dans tous les cieux de
bataille ou écrasés au sol, Capitaines Laucou (1936),
Brachet (1937),
Lieutenants Allègre (1937), Condé (1937), Dabadie
(1938), Balas (1939), Chapron (1939), Leroy (1939)
et Paturle (1939),
où êtes-vous ?
Et vous
autres, les 160 tués ou disparus des Groupes « Guyenne »
et « Tunisie »
,
des sergents de vingt ans aux commandants de trente-cinq, où êtes-vous ?
Je ne dormis
guère dans la nuit du 18 au 19 avril 1945. Et cependant, le lendemain, la vie
continuait…
Chapitre
8 – Une vocation d’aviateur
(Avril 1935 : la
boucle est bouclée)
A la mémoire de mon camarade de « Taupe » (1932-1935)
Albert Preziosi
de la promotion Guynemer,
Capitaine au régiment de chasse Normandie-Niémen,
mort au Champ d’Honneur lors de la bataille d’Orel (U.R.S.S) le 28 juillet
1943 [31]
Il y a des enfants précoces, voire prodiges, qui dès leur
plus jeune âge, devant les yeux émerveillés de leurs parents béats, proclament
bien haut en se frappant la poitrine : « Je serai un grand
chirurgien…je serai amiral… je serai un écrivain illustre… etc… ».
Pour rétablir un juste équilibre, d’autres ne se décident qu’à la dernière
minute : ce fut ma catégorie.
En avril 1935, « cube de taupe »[32]
au Lycée Thiers, à Marseille, je n’avais pas la moindre idée sur un futur
métier. Selon la routine des élèves de Mathématiques Spéciales, je m’étais
inscrit pour le mois de mai, aux concours d’entrée à l’Ecole Polytechnique et à
l’Ecole Normal Supérieure, section Sciences.
Dans les classes précédentes j’avais toujours considéré
comme une abominable corvée l’annuel et sempiternel sujet de composition
française : « Que ferez-vous plus tard ? ». Je n’en savais
rien et je n’étais pas le seul, au point qu’en classe de Seconde A
(latin-grec), une délégation d’élèves alla voir notre professeur René Guastalla pour lui faire part de l’indécision qui nous
tenaillait, quant au choix d’une carrière future. D’un abord facile, ce professeur
voulut bien admettre notre point de vue et avec un sourire en coin
riposta : « Je vais vous donner un autre sujet… Puisqu’Andromaque est
au programme, vous imaginerez les adieux de cette dame à Hector, aux Portes Scées. Interdiction, bien entendu, de vous inspirer de l’Illiade ! »
D’aucuns gémirent que nous étions tombés de Charybde en
Scylla, mais nous jouâmes le jeu : s’il n’était pas facile à des potaches
de quinze ans de recréer, de toutes pièces, les épanchements de cœur du
guerrier troyen et de son épouse éplorée, cela valait mieux que de se casser la
tête à s’inventer une profession qu’on n’exercerait sans doute pas !
…Tournant imprévisible du destin, je trouvai, dans les premiers
jours d’avril, traînant sur une table délabrée de la classe non moins délabrée[33]
de Physique et Chimie, un livret à couverture blanche donnant le programme
du concours d’admission à l’Ecole de l’Air. Il y avait donc une Ecole de l’Air…première
nouvelle ! Le livre portait au crayon le nom de Preziosi.
J’allai immédiatement le voir. Il avait bien l’intention de se présenter à
ce concours. Pourquoi n’en ferai-je pas autant ?
En feuilletant de plus près le document, nous constatâmes
avec effroi que la date limite du dépôt des dossiers était passée de quelques
jours. Nous fonçâmes, sans perdre une minute et en petites foulées, à la Préfecture
des Bouches du Rhône, pour y voir le fonctionnaire préposé à la réception
des dossiers des candidats aux Grandes Ecoles : c’était un petit homme
chafouin, véritable rat de bibliothèque, les bras corsetés de manches de lustrine.
Ô mânes de Courteline, il ne lui manquait qu’une toque noire sur son crâne
déplumé… Il nous dit, avec une satisfaction visible et un sourire goguenard,
que nous n’avions plus qu’à repasser avec nos papiers… en 1936 ! J’étais
sur le point de passer aux injures quand, son tempérament corse prenant le
dessus, Preziosi lança à cet affreux bonhomme une bordée d’invectives qui
fit lever la tête à quelques ronds-de-cuir répandus
dans la vaste salle. Pressentant que les choses pourraient aller trop loin,
je tirai mon camarade par la manche et lui dis : « Retournons au
Lycée, mettons l’Administration (la « strass »
en argot de Taupe) dans le coup. Elle doit nous sortir de ce pétrin, ayant
été incapable de nous informer au sujet de l’Ecole de l’Air ».[34]
Revenus, toujours en petites foulées, au Lycée,
l’administration fut mise au courant de notre démarche. Consciente de son
incurie, elle se démena tant et si bien – c’est assez rare, il faut le signaler
– que la paperasse fut prête le lendemain, les actes d’état-civil et les autres
documents ayant été puisés par un secrétaire plein d’audace, dans les dossiers
scolaires individuels.
Restait la très redoutable épreuve de la visite médicale.
Là, à l’inverse du combat de Rodrigue contre les Maures, nous partîmes huit et
revînmes quatre, deux élèves ayant eu la désagréable surprise d’apprendre
qu’ils étaient daltoniens et deux autres qu’ils n’avaient pas l’acuité visuelle
suffisante…
C’est à Paris, au restaurant Capoulade
(menus à six francs), que mon professeur de Mathématiques qui avait suivi les
admissibles à Normale Supérieure, m’annonça mon succès à l’écrit du concours de
l’Ecole de l’Air. Je venais de terminer la dernière interrogation orale rue
d’Ulm, n°45 – une assez désastreuse « planche » de chimie sur les
propriétés oxydantes de je ne sais plus quel métalloïde – et mes chances
d’admission à « Gnouf » étaient ténues. L’Ecole de l’Air me parut
donc le havre de salut : il ne me restait plus qu’à revoir tout le programme
d’histoire et de géographie, sciences inconnues en classe de Taupe.
Comme j’étais hébergé à la Cité Universitaire, chez un
ancien condisciple du Lycée Saint Charles [35],
lequel faisait son droit à Paris , nous bâtîmes ensemble un programme
hâtif de révision… avec quelques solides impasses. J’eus la chance, à l’oral de
géographie de tirer « la côte méditerranéenne de Perpignan à Nice ».
Je fus plus terne en histoire sur les prémices de la guerre de 1914, le plan
VII, le plan Schlieffen et autres calembredaines qui n’avaient jamais tellement
attiré mon attention. Ce camarade de lycée [36],
athlète aux longues jambes, me rendit l’immense service de m’entraîner sur la
piste cendrée – la plupart du temps déserte – de la Cité Universitaire, à
atteindre le bout du 800 mètres plat, qu’il fallait courir en 2 minutes 20
secondes pour obtenir la note maximale de 20. Au premier essai, je dus
m’arrêter, avec un terrible point de côté, au bout de 400 mètres et m’affalai
sur la pelouse. Peu à peu, tout se tassa au fil d’un entraînement soutenu, tôt
le matin et tard le soir. Lors du concours, je réussis 2 minutes 35 secondes
(ce qui m’assura 17 points sur 20), courant derrière ce grand diable de Lamaison (1936), qui faillit plusieurs fois planter les
pointes de ses chaussures de course dans mes rotules ! Il mena le train de
bout en bout. C’était un splendide garçon…
Comme je fus reçu sans éclat – mais le recul du temps, la
chose n’a plus d’importance – 56ème sur 60 admis, je me demande si
cet « exploit »[37]
sportif ne fut pas l’élément décisif de mon entrée à l’Ecole de l’Air !!!
C’est ainsi qu’en l’espace de quatre mois, d’avril à juillet
1935, je me métamorphosai lentement en futur aviateur…
Galerie de portraits et
d’anecdotes
1935 - 1945
De l’emploi des
chiffres arabes sur la base aérienne de Sétif
(Août 1939) [38]
En cet été
très chaud de 1939, la 38ème Escadre de Bombardement,
habituellement installée à Metz Frescaty, séjournait en Algérie, au terrain
d’Ain Arnat, à quelques kilomètres de Sétif. Ce
mois d’août avait une forte odeur de guerre : personne n’avait plus aucun
doute sur les visées du dictateur allemand. Seules les intentions de l’Italie
restaient floues. La 38ème Escadre était en position d’attente :
au cas où la sœur latine suivrait l’Allemagne, l’Escadre opérerait à partir
d’un terrain près de Kairouan et irait jeter ses bombes sur la Sicile et le
sud de la péninsule.
Les Amiot
143
reposaient, masses sombres et vieillottes, sur les flancs du fuselage d’énormes
chiffres romains à côté des insignes d’escadrilles. Pourquoi des chiffres
romaines ? Mystère ! Peut-être sont-ils plus lisibles à distance.
Le 25
août fut décrété l’état d’alerte. Le sergent-chef X reçut l’ordre de remplacer
les chiffres romains par des chiffres arabes. Ce sous-officier, brave garçon
qui n’avait pas inventé la poudre, avait le grave défaut d’être pris, dès
l’aurore, entre deux vins. En Algérie, il avait opté pour l’anisette.
L’officier mécanicien du groupe lui avait ôté le souci de maintenir un avion en
bon état et confié la fonction moins responsable de magasinier.
Chargé
donc, avec l’aide de quelques soldats-peintres, de refaire le chiffrage des
Amiot, il s’esclaffa : « Ca alors ! C’est un peu fort !
Parce que nous sommes en Algérie, il faut peindre des chiffres
arabes ! ». Goguenards, ses camarades plus futés lui expliquèrent que
depuis l’ «école communale, il n’avait compté que de cette façon-là !
Un
« Ah bon ? » fut son seul commentaire.
L’Italie
n’ayant pas bougé un cil à la déclaration de guerre du 2 septembre 1939, quelques
jours plus tard la 38ème Escadre, via Tunis, Bastia et Istres,
allait prendre ses quartiers d’hiver à Auxerre.
La débâcle (Juin 1940)
La rosette[39]
du Sous-Lieutenant Carlier [40]
Au
lendemain de l’armistice nous tentions, tant bien que mal, de percer le trouble
avenir qui se dessinait pour la France et pour nous. Il y avait, dans ce petit
groupe de Lieutenants un officier-pilote de la 4ème escadrille, le Sous-Lieutenant Carlier.
Né en
1897 dans le Nord, le jeune Carlier avait passé les premiers mois de la guerre
de 1914 caché dans un grenier, chez des parents à Maubeuge. Au printemps de
1915, il réussit à franchir les lignes. Solide paysan, il n’eut aucune peine à
affirmer les dix-huit ans qu’il n’avait pas encore, pour prendre un engagement
volontaire. Cité trois fois dans l’artillerie, il passa en 1918 dans
l’aviation.
En 1925,
adjudant-pilote en Syrie, lors du soulèvement du Djebel Druze, il obtint six
autres citations. Il m’avait raconté comment, en survolant un petit groupe
de Bédouins, une balle ennemie avait crevé le radiateur d’eau de son Potez
25.
Quelques secondes plus tard, le moteur se bloquait. Commençait alors la descente
en vol plané qui impliquait pour le pilote prisonnier une mort tellement affreuse
que la consigne avait été donnée de tirer au revolver, jusqu’à l’avant-dernière
balle et de garder la dernière pour l’usage qu’on devine.
Miracle
de la dernière minute, au moment de toucher le sol Carlier vit surgir d’un
mamelon de terrain une auto-mitrailleuse française en
patrouille qui liquida les Bédouins en un tournemain. Il était sauvé et il
racontait que, sorti de l’avion, il s’agenouilla…
Tel était
l’homme qui venait, à quarante-trois ans, de faire sa troisième et dernière
guerre. Avec l’insouciance et l’inconscience de nos vingt-cinq ans, nous
plaisantions : « Alors Carlier ! Tu as gagné deux guerres et tu
perds la troisième ! »
Comme il
se mit à pleurer, nous comprîmes qu’il fallait changer de ton. Sans aller
jusqu’à dire que la France n’avait perdu qu’une bataille, nous fîmes de notre
mieux pour lui donner le courage de faire face aux événements. Ce furent-là
d’amères minutes.
Les hostilités
terminées, il m’arriva de moisir (quelques mois seulement) dans un minuscule
Etat-Major, à Salon, lorqu’un
jour je fus appelé par un Officier du 1er Bureau. Il avait en main
le dossier du Lieutenant Carlier, proposable pour la rosette. Je n’eus aucune
peine à lui dire que la rosette de Carlier était méritée dix fois plutôt qu’une.
J’annonçai la nouvelle à ce valeureux soldat, alors retiré dans sa campagne
natale du Nord. Il eut sa Légion d’Honneur et comme il avait une âme simple,
s’en trouva fort heureux.
(1941 - 1944) [41]
Au printemps
de 1941, après avoir langui quelques mois dans un Etat-Major
à Salon, je repris la bonne voie des unités navigantes et fus affecté au Groupe
de Transport 3/15,
à Istres. Comme cette commune ne pouvait absorber tous les personnels de la
Base, des cars militaires faisaient la navette entre Salon et la capitale
du mistral[42].
Un beau
matin, au départ de Salon, je m’assis près du Commandant Dagan,
commandant le Groupe de Transport 1/15,
équipé de Farman quadrimoteurs.
Un cahier sur les genoux, le Commandant « faisait » des maths !
Un autre coup d’œil un peu plus appuyé m’assura qu’il s’agissait de géométrie
analytique. Ayant le virus de cette science exacte – c’est la seule discipline
humaine où l’on soit sûr de ce que l’on avance – je ne pus m’empêcher de lier
conversation pour en savoir plus. Le Commandant s’était attaqué au problème
du billard circulaire qui s’énonçait ainsi : soit deux points A et B
(les boules de billard) à l’intérieur d’un cercle (le billard). On frappe
la boule A, trouvez le ou les points M du cercle tels que la boule poussée
– obéissant à la loi de réflexion optique sur la tangente en M – touche la
boule B. Pas de rétros ni de massés !
« Je
subodore, me dit le Commandant, une courbe du troisième degré qui serait le
lieu du point M quand varie le rayon du billard, mais j’ai un tel fatras de
termes que rien n’est clair ».
Je me mis
au travail. Au bout d’une semaine, j’avais noirci un cahier de brouillon et si
j’avais bien vu pointer la fantasmatique courbe, le résultat était encore trop
compliqué pour être acceptable. Enfin, à force de patience, à la suite d’un
chanceux changement de coordonnées, tout s’éclaira : une superbe
strophoïde oblique s’étalait, avec ses termes simples des
troisième, deuxième et premier degré et une constante numérique. Le
rayon du billard avait disparu dans la tourmente, ce qui signifiait qu’un petit
billard coupait la boucle (ou ses environs immédiats) en quatre points et qu’un
grand billard coupait les branches asymptotiques en deux points seulement. Il y
avait deux coups qu’aucune académie de billard ne pourra jamais réaliser, les
points cycliques (imaginaires à l’infini) communs au cercle et à la
strophoïde !
Je fis
part au Commandant du résultat de mes calculs. Il avait déjà un autre souci, le
problème de la brachystochrone (cycloïde).
En
septembre 1944, je retrouvai le Lieutenant-Colonel
Dagan, à Londres à l’Etat-Major des Forces Aériennes.
Nous nous avouâmes mutuellement que vu les préoccupations du moment – bouter le
Hun hors de France – nous avions abandonné le violon d’Ingres consolateur des
mathématiques.
Toujours
dynamique et curieux de tout, il m’annonça qu’il avait l’intention de venir
faire aux Groupes Lourds une ou deux missions de guerre, comme passager. Je ne
lui dis pas que personne avant lui n’avait eu pareille idée. Les bureaux
pensaient très fermement que « la vie du soldat est une vie rude, parfois
mêlée de réels dangers »[43].
Le 2
novembre, il fit une mission de nuit avec l’équipage du capitaine Baron (4500
heures de vol), objectif Düsseldorf. Dans l’après-midi du 3 novembre, il me fit
part de l’hallucinant feu d’artifice auquel il avait assisté. Ce surprenant
spectacle l’avait littéralement « survolté » et il se préparait à
faire une deuxième mission.
Le 4
novembre, 703 quadrimoteurs vont bombarder Bochum (Ruhr). L’avion du capitaione Baron est abattu par la chasse de nuit.
Grièvement blessé, le pilote ne pourra sauter. Seuls le navigateur, le radio et
un mitrailleur évacuent en parachute. L’avion s’écrase près de Julich, avec les cinq autres membres de l’équipage.
Ainsi
mourut, brave entre les braves, le Lieutenant-Colonel
Dagan.
A (v)os
rangs, fixe !
(Elvington
1944) [44]
L’histoire
qui suit peut paraître incroyable. Elle est en effet « hénaurme »
comme disait Flaubert. Les incrédules irrésistibles pourront en vérifier
l’authenticité auprès de l’association des Anciens des Groupes Lourds, à Paris.
A Elvington, il y avait un petit personnel chargés de
l’entretien des baraquements, du nettoyage des chambres, des corvées d’eau
chaude matinales (l’eau n’était courante que pendant le court trajet du bric à
la cuvette) et de l’allumage des poêles quand, bien sûr, il y avait du charbon.
La
plupart de ces soldats, en provenance de la base d’oran,
étaient de braves garçons qui n’avaient pas tous inventés la poudre et
n’avaient pas la culture de Pic de la Mirandole.
Un beau
jour – disons plus simplement un jour, compte tenu du climat anglais – le
Colonel B…, commandant la base, suivi du Capitaine L…, officier
des services adminsitratifs, passait une inspection
des chambrées des hommes de troupe.
A
l’entrée d’un des locaux, une voix forte commanda : « A Elvington, fixe ! ». Surprise des deux
officiers !
A la demande
d’explications qui suivit, un soldat répondait qu’en Afrique du Nord, l’arrivée
d’un officier dans un bâtiment était saluée par un « à Oran, fixe ! ».
En conséquence, le changement de localité devait nécessairement impliquer
le changement de nom ! Cette implacable logique laisse quand même supposer
que l’instruction militaire n’était pas faite avec tout le soin désirable…
Pourquoi et comment j’ai
appris le russe[45]
(Pièce en trois actes, sans unité d’action, ni de temps, ni
de lieu)
1.
1932-1933 – Classe de
Taupe[46],
Lycée Thiers, Marseille
Un élève
de la classe, Cyril C., fils d’émigrés russes de 1917, s’était mis en tête
d’apprendre l’alphabet cyrillique à ses condisciples qui avaient fait du grec., arguant du fait que pour passer d’un alphabet à
l’autre, il suffit d’ajouter les lettre ch, tch, chtch, you
et ya. Ces séances d’initiation se déroulaient le mercredi, de huit heures à
midi en classe d’épure où nous coupions des cylindres par des cônes ou des
cônes par des cylindres. Comme la classe avait acquis une grande
« maestria » à ce jeu, à 10h30 toutes les feuilles de papier canson
avaient été remises à l’excellent Monsieur Metral,
qui nous laissait libres de notre temps jusqu’à midi. Il nous racontait
qu’aspirant d’artillerie en 1916, à Verdun, armé d’un téléphone, d’une bonne
longueur de fil et d’une carte précise, il sautait de trou d’obus en trou
d’obus (made in Germany) et en passait les coordonnées aux batteries
françaises ! Nous étions sidérés à imaginer ce professeur, légèrement
bedonnant, jouant à ce sport dangereux. Verdun 1916, quelle tragique
épopée !
Conclusion :
à la fin de l’année scolaire je savais déchiffrer un titre russe, une
inscription russe, sans en deviner le sens.
2.
5 mars 1945, Groupe de
Bombardement « Tunisie », Elvington (Grande-Bretagne)
Capitaine-navigateur,
commandant d’avion sur le C « Charlie », mon équipage est désigné
pour aller bombarder Chemnitz, en Saxe, par 13 degrés de longitude Est. A la
réunion générale des équipages, l’officier de renseignement fait une
hallucinante déclaration : « Si vous avez de gros ennuis sur
l’objectif, piquez plein est pendant dix minutes, jetez-vous en parachute et
vous tomberez au milieu des fantassins russes. Ceux-ci ayant le doigt léger sur
la gâchette de leurs mitraillettes, levez les bras et dites d’une voix
forte : « Ya anglichanine (moi Anglais) », si vous vous trouvez
au voisinage de ces guerriers ».[47]
Grâce à
Dieu, cette longue mission de 8h30 de vol se passa sans trop de casse, bien
qu’il y ait eu à déplorer la perte de l’équipage du sous-lieutenant Fonteix, du groupe frère « Guyenne »
.
Conclusion :
je fis le vœu d’apprendre un jour la langue de Tolstoï.
3.
1952-1955, Centre
d’Enseignement Supérieur Aérien, Paris
Instructeur
de bombardement à l’E.S.G.A. (j’avais succédé au lieutenant-colonel Thiry et
fut remplacé par le commandant Hablot, belle dynastie
des Anciens des Groupes Lourds), je vis passer un jour une circulaire selon
laquelle un certain colonel L. donnerait des leçons de russe, à qui voudrait
s’inscrire. Cet officier, fait prisonnier en 1940 et déporté en Poméranie, dans
un Oflag où « résidaient » de nombreux officiers russes, y avait
monté une véritable Université franco-russe. Libéré, il avait passé plusieurs
années à Vienne (Autriche), dans la Commission interalliée des quatre
Puissances qui administraient ce pays (lequel ne retrouva sa pleine
souveraineté qu’en 1955).
Pendant
trois ans, au rythme de deux leçons, de deux thèmes et deux versions par
semaine, je m’initiai à la langue de Tolstoï.
Conclusion :
Ayant accepté le poste d’attaché de l’air, je débarquai à Moscou en janvier
1958 (moins vingt degrés) et quittai la capitale soviétique en juillet 1961
(plus 32 degrés). Pendant mon séjour se déroula l’affaire de l’U2 du pilote
américain Gary Powers.
Des origines du mot « Piège »
[48]
Dans l’existence
de toute promotion, il y a des hauts et des bas. La promotion « Guynemer »
parquée de 1935 à 1937 à Versailles, aux Petites Ecuries[49],
n’échappa point à la règle. Dans les déprimantes périodes des « bas »
il était courant de dire : « Cette Ecole est un véritable Piégeac ». Cette contraction sémantique de trois mots
en un seul n’exige aucune explication superflue… Cette malédiction était surtout
proférée lorsque le promotion partie, en de cahotants
camions, pour voler à Villacoublay,
y faisait de l’école du soldat, le mauvais temps – Villacoublay
étant un véritable pot de chambre météorologique – interdisant tout vol sur
le célébre Potez 25
de l’époque. Les trois brigades passaient donc quelques mornes heures à faire
des « demi-tour à droite », des « section, halte », etc…
Il faut
dire que cette première promotion, qui comptait bon nombre d’anciens « taupins »
sursaturés de mathématiques, n’aimait pas tellement les études théoriques
et n’était vraiment heureuse qu’en l’air, avec en main, le manche à balai
des bons vieux avions de ces temps très anciens – Morane 315,
Morane 230
et Potez 25.
Par ma foi, ces jeunes gens avaient l’envie toute naturelle d’être des aviateurs…
Aussi étaient-ils très déprimés par les séances de « biffe » devant
les hangars de Villacoublay !
Un jour
de 1936 où la promotion attendait, dans une brume glaciale, je ne sais quoi ou
je ne sais qui, au pied de l’escalier « de Villèle » dans la cour aux
pavés gras des Petites Ecuries, l’élève-officier Marvier,
de la troisième brigade, alla graver avec la pointe d’un canif, sur la pierre
noircie par la crasse des siècles, le mot « PIEJAC » en lettres de
dix centimètres de haut. Sous ces six lettres, il dessina une flèche en
direction de l’escalier qui servait d’entrée officielle aux élèves. Je signale
au passage, qu’avec le temps perdu à… attendre, par la promotion, on aurait pu
faire l’instruction d’au moins deux autres promotions !
Cette
inscription défia le temps et resta là plus de trente ans, se détachant en
jaune clair sur la pierre de plus en plus noire. Seuls quelques très rares
initiés en connaissaient l’existence.
…Elle
disparut dans la grande lessive des bâtiments et monuments publics, entreprise
par Monsieur Malraux : les pierres retrouvèrent leur belle couleur
d’origine, mais le « PIEJAC » en mourut…
Dans la
suite du temps, l’imprécation se civilisa, devint courtoise et il n’en reste
plus que le « Piège »…
[1] Toutes ces références concernent les noms
des promotions d’entrée à l’Ecole de l’Air (Note
2019)
[2] Récit paru dans le n°74 de la revue de
l’Association des anciens élèves de l’Ecole de l’Air, Le Piège, en septembre
1978 (Note 2019)
[3] Idem : promotion 1935 de l’Ecole de l’Air, qui porte le nom de Guynemer et se trouve être la toute première de de l’Ecole qui venait d’être créée (Note 2019)
[4] Le général Genty naquit à Monthermé
(Ardennes).
[5] En fait, il n’y en avait que dix :
six du G.B. 2/38 et quatre des G.B. 1/34 et 2/34
[6] Le 25 août 1944, bombardement de la
forêt de Watten près de Falaise (France) qui ciblait
les rampes de V2 (Note 2019)
[7] Récit paru dans le n°73 de la revue de l’Association des anciens élèves de l’Ecole de l’Air, Le Piège, en juillet 1978 (Note 2019)
[8] Le lieutenant Pinczon du Sel, promotion Guynemer, est mort au Champ d’Honneur le 16 octobre 1939 près de Karlsruhe, son avion descendu en territoire allemand lors d’une mission de reconnaissance (Note 2019)
[9] La montée en altitude rapide permit à
la panne de se déclarer assez tôt pour retourner à la base au plus vite (Note 2019)
[10] Le Rio de Oro
était un territoire espagnol (Note 2019)
[11] Cette dénomination n’est pas ici
utilisée de manière péjorative, c’est le langage de l’époque (Note 2019)
[12] Les populations locales disent
« chameaux » en français mais en toute rigueur il s’agit de
dromadaires (Note 2019)
[13] Bidane est
synonyme de Maure, appellation utilisée à l’époque pour les habitants de cette
région (Note 2019)
[14] Montagne située au Nord de la
Mauritanie actuelle (Note 2019)
[15] Récit paru dans le n°79 de la revue de l’Association des anciens élèves de l’Ecole de l’Air, Le Piège, en juillet 1979 (Note 2019)
[16] Il était surnommé « Bomber
Harris » (Note 2019)
[17] La boîte GEE (General Electric Equipment)
était un récepteur qui permettait au navigateur de faire un point très précis
sur la position de l’avion (Note 2019
– détails sur www.guerrelec.asso.fr )
[18] Equipage : capitaine Hilaire,
lieutenants Berthet et Paturle
(1939), adjudants Madaule et Oger, sergents-chefs Eyrard et Jenger.
[19] Extrait du livre « le Groupe de
Bombardement Tunisie »
[20] Récit paru dans le n°75 de la revue de l’Association des anciens élèves de l’Ecole de l’Air, Le Piège, en décembre 1978 (Note 2019)
[21] Il y aura encore d’autres missions du
Bomber Command sur Duisburg : le 1er et le 12 décembre 1944 (Note 2019)
[22] Récit paru dans le n°78 de la revue de l’Association des anciens élèves de l’Ecole de l’Air, Le Piège, en septembre 1979 (Note 2019)
[23] Une perfide prévision météo était cause
de tout le mal : un furieux mistral, prévu pour durer plusieurs jours
s’était traîtreusement arrêté de souffler dès le dimanche, ce qui avait permis
la reprise des vols le lundi… (Note 2019 :
et donc de repérer les absents)
[24] Récit paru dans le n°134 de la revue de l’Association des anciens élèves de l’Ecole de l’Air, Le Piège, en septembre 1993, donc plus tardivement que les autres chapitres des « Souvenirs », ce qui explique l’absence de dédicace à un camarade mort au Champ d’Honneur (Note 2019)
[25] Lettres de mon moulin – Alphonse Daudet
(Note 2019)
[26] Récit paru dans le n°79 de la revue de l’Association des anciens élèves de l’Ecole de l’Air, Le Piège, en décembre 1979 (Note 2019)
[27] Plus d’un million de travailleurs qui
réparaient les dégâts des aviations alliées (interrogatoire après la guerre du
Ministre allemand Speer)
[28] Heligoland
servait de refuge aux U-Boot (Note 2019)
[29] Par la suite les Britanniques
occupèrent l’île et effectuèrent, le 18 avril 1947, un dynamitage de toutes les
installations de l’armée allemande, ainsi que des 6700 tonnes de munitions
trouvées sur l’ile. La violence de ces explosions a modifié la géographie de
l’île, qui fut rendue à la République Fédérale d’Allemagne en 1952 (Note 2019)
[30] Précision : à l’ancienneté, c’est
le Capitaine Henri Jean qui s’était vu proposer la chambre, mais il avait
préféré refuser (Note 2019)
[31] Récit paru dans le n°79 de la revue de l’Association des anciens élèves de l’Ecole de l’Air, Le Piège, en décembre 1979 (Note 2019)
[32] Jargon des classes préparatoires aux
concours des grandes écoles : Taupe est le surnom de Mathématiques
Spéciales, deuxième année de classe préparatoire aux écoles scientifiques,
« cube » est l’élève qui redouble cette classe, ce qui est fréquent (Note 2019)
[33] Le Lycée Thiers est celui que décrit M.
Pagnol dans « le Temps des Secrets » ; ayant personnellement
fréquenté ce vénérable établissement de 1977 à 1979, également en classes
préparatoires, je confirme que beaucoup de locaux étaient pour le moins
vieillots (Note 2019)
[34] L’Ecole de l’Air, créée par décret en
1933, organisait en 1935 son premier concours de recrutement. Les lauréats y
entrèrent en novembre 1935, à Versailles, dans les locaux des Petites Ecuries.
Le site de Salon ne fut opérationnel que quelques années plus tard (Note 2019)
[35] Les anciens élèves de ce vieux lycée
marseillais, ancien couvent, se nomment « Carolingiens »
[36] René Fortuné, d’origine guadeloupéenne,
département qui a fourni nombre de médaillés olympiques français (Note 2019).
[37] A contrario, mon excellent ami B…
taupin lui aussi de 1932 à 1935, fut « grand bitté »
à l’X, parce qu’il ne savait pas nager ! Quelques points de plus l’eussent
fait intégrer ! Ne pas savoir nager à Marseille c’est un comble !
[38] Récit paru dans le n°102 de la revue de l’Association des anciens élèves de l’Ecole de l’Air, Le Piège, en septembre 1985 (Note 2019)
[39] La « rosette » est le terme
employé par les militaires pour désigner la Légion d’Honneur, en raison de la
forme de la décoration portée à la boutonnière (Note 2019)
[40] Récit paru dans le n°102 de la revue de l’Association des anciens élèves de l’Ecole de l’Air, Le Piège, en septembre 1985 (Note 2019)
[41] Récit paru dans le n°102 de la revue de l’Association des anciens élèves de l’Ecole de l’Air, Le Piège, en septembre 1985 (Note 2019)
[42] 210 km/h le 14 juin 1939 ! Les
anémomètres ne suivaient plus !
[43] A. Maurois, Les silences du Colonel Bramble
[44] Récit paru dans le n°107 de la revue de l’Association des anciens élèves de l’Ecole de l’Air, Le Piège, en décembre 1986 (Note 2019)
[45] Récit paru dans le n°199 de la revue de l’Association des anciens élèves de l’Ecole de l’Air, Le Piège, en septembre 1999 (Note 2019)
[46] En fait, hypoTaupe,
première année de classe préparatoire aux Ecoles scientifiques, on dit
aujourd’hui Mathématiques Supérieures (Note
2019)
[47] Les équipages français ont très peu
apprécié cet « état-civil qui leur était imposé » (voir Le Groupe de
Bombardement Tunisie) et la petite pancarte en russe à porter pendant la
mission « comme des animaux d’un concours agricole » (Note 2019)
[48] Récit paru dans le n°77 de la revue de l’Association des anciens élèves de l’Ecole de l’Air, Le Piège, en juillet 1979. Le Piège est le surnom donné à l’Ecole de l’Air (Note 2019)
[49] Cavaliers et aviateurs ont toujours
fait bon ménage